« Ce sera la jeune fille à laquelle je dirai : "Incline, de grâce, ta cruche, et je boirai !" qui dira : "Bois, et aussi tes chameaux, j’abreuverai !" C’est elle que Tu auras désignée pour Ton serviteur, pour Its’hak, et par elle, je saurai que Tu as fait une bonté à mon maître. » (Béréchit 24,14)

Quand Eliézer alla à la recherche d’une épouse pour Its’hak Avinou, il se focalisa sur une qualité en particulier ; la bienveillance de la jeune fille. Rachi explique que ce signe serait la preuve de sa bonté et de sa capacité à faire partie de la maisonnée d’Avraham.

Bien sûr, cela nous montre l’importance de cette vertu, mais à un niveau plus profond, Eliézer comprit que l’épouse d'Its’hak devait se distinguer précisément dans ce trait de caractère.

Le ’Hatam Sofer[1] explique qu’une femme doit être une « Ezer Kénegdo » pour son mari. Il précise qu’une femme peut aider son mari en étant différente de lui et que la situation idéale n’est pas de se ressembler en tous points. Il donne l’exemple d’Avraham et de Sarah, puis celui de Its’hak et de Rivka. Avraham excellait dans la bonté, tandis que Sarah se distinguait par l’attribut de Din, de justice. Inversement, Its’hak était particulièrement rigoureux et Rivka brillait par son ’Hessed. C’est la raison pour laquelle Eliézer chercha précisément une jeune fille à la bonté notoire, qui le complète, voire qui atténue sa rigueur.

Où voit-on, dans la Torah, que ces vertueuses femmes complétaient leurs maris ? Prenons l’exemple de Sarah qui enjoignit à Avraham de renvoyer Ichmaël de leur maison, parce qu’il risquait d’influer négativement sur Its’hak. Avraham se montra réticent, mais Hachem lui dit que Sarah avait raison et qu’il devait l’écouter.[2] Dans cet épisode, le ’Hessed d’Avraham fut tempéré par le Din de Sarah.

On trouve moins d’exemples de « Ezer Kénegdo » dans la relation entre Its’hak et Rivka, parce que la Torah ne raconte pas beaucoup d’épisodes les concernant. Le Tiféret Chlomo[3] rapporte néanmoins un passage. Il explique tout d’abord que la Midda de Din sous-entend « barrières » et « crainte de la faute » qui incitent l’individu à éviter certaines situations (qui pourraient s’avérer difficiles à surmonter). En revanche, quelqu’un qui se distingue par sa Midda de ’Hessed déborde de bonté et souhaite utiliser chaque chose pour le bien.

Rav Dessler affirme que l’attribut de Its’hak se manifestait par une focalisation sur son être intérieur et sur la crainte de la faute, ce qui le poussait à éviter de se mettre en contact avec beaucoup de monde et de diffuser la Parole d’Hachem[4]. Cela signifie également qu’il craignait que la richesse matérielle ne représente une épreuve et de ce fait, il s’en éloignait. Le Tiféret Chlomo explique ainsi la raison de son refus d’accorder les bénédictions à son fils Ya'acov. Ces bénédictions étaient principalement matérielles et Its’hak craignait qu’une implication dans le monde physique affecte la spiritualité de Ya'acov. Il voulait protéger ce dernier d’une telle épreuve et préférait donc s’empêcher de lui souhaiter une profusion matérielle.

Rivka, quant à elle, se distinguait par sa bonté et voyait en chaque bienfait physique une opportunité d’améliorer son service divin de diverses façons. Par conséquent, elle savait que Ya'acov pourrait utiliser les bénédictions matérielles pour le bien[5]. Ainsi, le ’Hessed de Rivka tempéra le Din de Its’hak et influa positivement sur lui.

L’un des objectifs du mariage est de travailler sur les qualités qui ne sont pas naturelles chez l’individu. Quand le conjoint est différent dans un domaine spécifique, cela demande souvent que l’autre aille contre sa propre nature pour préserver l’harmonie conjugale. Prenons l’exemple d’un couple, avec un conjoint qui est particulièrement maniaque et l'autre qui ne l’est pas du tout. Tous deux devront s’adapter à la situation : l’ordonné devra se montrer tolérant devant le désordre, tandis que l’autre devra faire des efforts pour ranger ses affaires, même quand il ne ressent pas le besoin de le faire.

Notons que cette idée s’oppose à la conception laïque du « conjoint parfait », qui estime qu’il s’agit de la personne qui correspond et ressemble parfaitement à l’autre et avec qui il n’est pas nécessaire de forger un lien étroit. Bien évidemment, cet « être parfait » n’existe pas et cette attitude est l’une des causes principales du taux de divorce « record » et préoccupant dans le monde laïque. Bien que cette approche soit complètement rejetée par la Torah, elle peut se glisser dans l’esprit de l’individu qui recherche un conjoint, mais également au sein d’un couple déjà marié. L’interprétation du ’Hatam Sofer nous rappelle que la Ezer Kénegdo parfaite n’est pas la personne qui nous ressemble, mais souvent celle qui est très différente de nous et qui complète notre nature, nous permettant de nous élever – dans la vie en général et dans la vie de couple en particulier. 

 

[1] Torat Moché, ’Hayé Sarah, Paracha 4, « Ossa ».

[2] Béréchit, chapitre 21.

[3] Tiféret Chlomo, Toldot, s.v « Vayéhi Kaacher Kila Its’hak Lévarekh ».

[4] Mikhtav Mééliahou, 2e partie, p. 162-163. Rav Dessler ajoute que Its’hak dut surmonter son appréhension naturelle d’être en contact avec le monde, et sortir pour influencer les autres.

[5] Elle comprit également qu’Essav utiliserait mal les bénédictions matérielles qu’il devait recevoir.