« Its’hak aimait 'Essav, car la feinte était dans sa bouche. Et Rivka aimait Ya'acov. » (Béréchit 25,28)

D’après Rachi, qui rapporte le Midrach, « dans sa bouche » se réfère à celle d’Essav qui piégeait Its’hak et le dupait avec ses paroles.

'Essav posait des questions qui montraient sa grande vertu (par exemple, « comment prélever le sel et la paille ? », qui n’ont en réalité pas besoin de prélèvements). Par conséquent, Its’hak croyait que son fils était pieux et il l’aimait. Bien que ce dernier fût aveugle et qu’il ne savait rien des tractations malhonnêtes de son fils, son esprit était très aiguisé ; on comprend donc mal comment il a pu se laisser duper et croire qu’un tel Racha était vertueux.

Le Saba de Slabodka[1] explique qu’Essav ne posait pas ces questions pour tromper délibérément son père. En réalité, à cette époque, il était vraiment vertueux et sincère. Son problème était de ne pas réussir à maintenir sa droiture sur le long terme. Lui-même n’était pas sûr du genre de vie qu’il souhaitait mener et il vacillait donc entre le statut de Tsadik et celui de Racha' ; il posait tantôt des questions montrant piété et bonne foi et il était tantôt poussé par ses désirs matériels qui lui faisaient commettre les crimes les plus abominables[2]. Ceci explique pourquoi Its’hak ne réalisa pas que son fils était Racha' – à l’époque où Its’hak voyait 'Essav, il était vraiment Tsadik ! Selon cette explication du Saba de Slabodka, quand ’Hazal affirment qu’Essav trompait Its’hak, cela signifie qu’il lui faisait croire qu’il était tout le temps vertueux, alors que ce n’était pas le cas.

Cette approche peut nous aider à résoudre une autre difficulté dans cette Paracha. ’Hazal trouvent des allusions dans la Torah concernant le jour où 'Essav vendit son droit d’ainesse à Ya'acov ; ce jour-là, il commit cinq autres graves fautes et l’une d’elles fut le déni de l’existence de D.ieu que l’on déduit des mots « Lama Zé Li Békhora – Que vaut ce droit d’ainesse pour moi ? »[3] Le terme se réfère à Hachem, comme le montre le verset du Chant de la Mer « Zé Kéli Véanvéhou – C’est mon D.ieu et je Le glorifierai » (Chémot 15,2). Ainsi, en demandant « Lama Li… », 'Essav montrait qu’il ne s’intéressait pas à D.ieu, ni à Son service, comme pour dire « Qui a besoin d’Hachem, de toutes les façons ? »

Rav Avigdor Nevensal[4] souligne que dans le verset suivant, Ya'acov demande à 'Essav de lui jurer de tenir son engagement. Si 'Essav déniait l’existence de D.ieu, quelle valeur avait un serment en Son nom ? Ya'acov n’aurait certainement pas accepté un serment au nom de la 'Avoda Zara (idolâtrie), ni une déclaration superficielle, pour la forme. Donc, quand la Torah nous raconte qu’Essav jura et que Ya'acov accepta cet engagement, c’est qu’Essav prêta serment au nom de D.ieu et que Ya'acov estima qu’il était sincère. Comment le verset affirmant qu’Essav renia Hachem peut-il contredire le suivant qui raconte qu’il jura sincèrement au nom de D.ieu ?!

'Essav n’était pas un véritable Racha' – il était extrêmement inconstant. Il pouvait changer d’une minute à l’autre, poser les questions les plus pointilleuses et commettre les pires fautes, renier Hachem et immédiatement après, jurer en Son nom.

Rav Issakhar Frand enseigne que c’est l’une des différences entre le Tsadik et le Racha. Un Tsadik est constant. Il y aura toujours des défis, des tribulations au cours de la vie, qui mettront le niveau de l’individu à l’épreuve. L’homme vertueux tient bon, tandis que le Racha' se laisse rapidement entrainer dans les pièges du Yétser Hara' (mauvais penchant). C’est le sens du verset de Michlé : « Le cœur des méchants ne vaut pas cher »[5]. Et le prophète Yéch'aya compare le Racha' à une vague qui n’a rien de régulier ; elle est tantôt très haute et menaçante et tantôt plate. C’était l’un des défauts d’Essav.

Rav Baroukh Sorotskin[6] rapporte une Guémara[7] qui nous raconte : « À l’avenir, le méchant 'Essav s’enveloppera dans un Talith et s’installera avec les hommes vertueux au Gan Éden. Mais Hachem criera après lui et l’en chassera. » On peut comprendre de ce passage qu’Essav continuera d’être malhonnête et de tenter de duper tout le monde quant à sa grande vertu, tout comme il le fit avec son père. Rav Sorotskin comprend ce texte différemment. Il explique qu’Essav pense sincèrement qu’il a une part au Gan Éden, car il connut des moments de vertu qui le convainquent de son droit d’entrée au 'Olam Haba. Or, il oublia que juste après, il fit les pires actes et devint même hérétique. Donc, Hachem le rejette, car une vertu éphémère ne suffit pas.

Nous ne vacillons certes pas au niveau d’Essav, mais le manque de constance dans la 'Avodat Hachem est un problème qui nous concerne tous. On agit parfois avec grande piété, priant ou étudiant de manière très assidue et peu après, on se met à dire du Lachone Hara' (médisance) en bavardant. L’exemple d’Essav nous apprend qu’il faut s’efforcer de vivre conformément avec la Vérité de manière régulière et pas simplement ponctuellement.

 

[1] Rapporté par Rav Issakhar Frand.

[2] Une interprétation semblable fut rapportée par Rav Its’hak Berkovits au nom de Rav ’Haïm Chmoulevitz.

[3] Béréchit 25,32.

[4] Rapporté par Rav Issakhar Frand.

[5] Michlé 10,20.

[6] Rapporté par Rav Issakhar Frand.

[7] Yérouchalmi Nédarim 38a.