Le titre de notre Paracha évoque le dénombrement des demi-shekel qui étaient collectés de la part de chacun des enfants d’Israël et qui avaient vocation à assurer le financement des socles du sanctuaire.

Cette collecte avait ceci de spécifique qu’elle s’imposait à chacun et que son montant (un demi-shekel) ne pouvait être ni diminué ni augmenté selon la situation financière individuelle des particuliers.

Le symbole est fort : le sanctuaire repose sur des fondations qui symbolisent l’égalité fondamentale de l’ensemble des enfants d’Israël. Nul n’a davantage de « droit » face au Mickhan en vertu de sa situation financière. La Torah rappelle ainsi avec force l’égale dignité de l’ensemble des enfants d’Israël.

Dans une de ses merveilleuses études, le Rav H. Chmoulevitch développe cette idée (Si'hot Moussar, trad : Pr. F. H. Lumbroso), et rappelle notamment ce commentaire du Sforno à propos des 6 chariots apportés par les 12 chefs de tribus lors de l’inauguration de l’autel. Pourquoi ne pas en avoir apporté 12 (un par tribu) ? Et le célèbre commentateur de répondre : « En signe de fraternité entre eux, afin qu’ils soient dignes de la présence Divine qui règne parmi eux… ».

Lorsque les hommes ne recherchent que leur propre intérêt et font prévaloir leur égo, ils peuvent faire obstacle à la présence Divine ; en revanche, lorsque les hommes recherchent le consensus, la fraternité et l’unité, ils permettent à la présence Divine de résider parmi eux.

Cette force de la collectivité est un thème récurrent de notre tradition. Les sages du midrash donnent une belle image qui permet de mieux comprendre l’enjeu de cette unité. « Un faisceau de roseaux, un homme ne parvient pas à briser l’ensemble, alors que chaque roseau (pris séparément) même un jeune enfant peut le briser. De même, il se trouve qu’Israël ne peut pas être délivré tant qu’il ne forme pas un ensemble uni » (Midrash Tan'houma, Nitsavim 1).

L’union de la collectivité donne une force toute particulière à chaque individu alors que l’isolement fragilise. Ce supplément de force qui est donné à chaque individu lorsqu’il est associé à ses frères provient précisément de la présence Divine qui règne dans une collectivité unie et renforce chacun des membres.

Notre tradition va plus loin. Non seulement, l’unité est souhaitable mais cette recherche d’unité doit également inclure les « fauteurs ». Le traité Keritout nous dit ainsi « Rabi Hana a dit au nom de Rabbi Shimon Hassida : « Tout jeûne auquel ne participent pas des pêcheurs d’Israël n’est pas un véritable jeûne » » (Traité Keritout, 6b). Et nos maîtres de nous rappeler que parmi les 11 aromates qui composent l’encens offerte au Temple, une d’entre elles n’avait pas une bonne odeur, mais cette mauvaise odeur était neutralisée par l’ensemble des ingrédients. A nouveau, nous mesurons combien l’unité du peuple est une condition indispensable à l’agrément des prières. Il en va de même des 4 espèces secouées à Souccot et qui ont vocation à incarner quatre types de Juifs, y compris celui qui ni ne pratique, ni n’étudie. Et pourtant sa présence est indispensable le jour de Souccot, réuni avec les autres espèces, pour accomplir la Mitsva et rappeler ainsi l’unité du « Klal » Israël quel que soit les différences de niveau d’observance.

Ainsi, chaque individu doit s’efforcer de s’inclure dans un groupe, de vivre parmi ses frères, même s’il est lui-même Tsadik et méritant. Cette appartenance à un groupe lui permet de bénéficier du jugement global de la collectivité et lui évite probablement un examen indépendant et isolé de sa situation. C’est le sens notamment, comme le rappelle R. Shoulevitch, de la réponse de la Chounamite au prophète Elicha alors qu’il lui propose d’intercéder pour elle auprès d’Hachem, elle lui répond « Je vis au milieu de mon peuple », c’est-à-dire « je ne demande pas à attirer l’attention sur moi, je ne souhaite pas me singulariser, je partage le jugement global de mes frères ».

La vie en collectivité permet donc à l’homme d’atteindre un niveau auquel il ne peut pas prétendre individuellement. La confrontation à l’altérité, aux différences de sensibilité, d’approche, de raisonnement oblige l’homme à appréhender la complexité de la nature humaine, à sortir de son « égo » pour s’ouvrir à de nouveaux horizons. Or, lorsqu’il parvient à vivre en harmonie avec autrui, en dépit des différences, il reconnaît la légitimité de chaque être humain, l’égale dignité des hommes et couronne ainsi la Création de D.ieu.

La famille est la cellule de base dans laquelle l’homme fait l’apprentissage de l’altérité (enfants/parents, mari/femme, différences de générations…) et dans laquelle il a vocation à faire le « Chalom », la « paix ».

Rappelons cette maxime de nos Sages : « lorsque la paix règne être un mari et sa femme, la présence Divine repose dans leur foyer ».

Puisse l’Eternel nous permettre de parvenir à instaurer cette paix dans nos foyers, et au sein du Klal Israël, notamment dans cette période où les familles se retrouvent confinées chez elles comme rarement dans l’histoire, et nous permettre ainsi d’assister à la venue Machia’h.