Un verset de la Parachat Haazinou nous dit : « Quand je proclame le Nom d’Hachem, rendez hommage à notre D.ieu » [1]

Nos Sages apprennent de ce Passouk l’obligation de réciter « Birkat Hatorah » [2]. La Guémara dans Nédarim note à quel point le fait de négliger cette Mitsva est sévèrement puni : elle nous raconte qu’après la destruction du premier Beth Hamikdach et la Galout qui s’ensuivit, les ‘Hakhamim et les Néviim ne surent pas déterminer la cause d’une punition si dure, jusqu’à ce qu’Hachem leur dévoile Lui-même que c’était parce qu’« ils abandonnèrent Ma Torah » [3]. Rav explique que cela ne signifie pas qu’ils n’étudiaient pas la Torah, mais qu’ils ne récitaient pas Birkat Hatorah avant d’entamer leur étude[4]. Les commentateurs soulèvent plusieurs difficultés sur cette Guémara [5]. Comment peut-on attribuer une sanction si rigoureuse à une faute relativement mineure, celle de ne pas réciter Birkat Hatorah ? Par ailleurs, cette Guémara semble contredire une autre Guémara dans Yoma, qui affirme que le premier Beth Hamikdach fut détruit à cause du meurtre, de l’idolâtrie et de l’immoralité [6].

La Maharal répond à ces questions dans son explication sur cette Guémara[7]. Il écrit qu’il est impossible de la comprendre au sens littéral (à savoir qu’ils ne récitaient pas Birkat Hatorah), mais elle nous indique qu’ils ne disaient pas la Brakha avec l’intention adéquate. Il explique que lorsqu’une personne récite Birkat Hatorah, elle doit se concentrer sur son amour et sa gratitude infinie envers Hachem, Qui lui donna ce cadeau magnifique qu’est la Torah. Non seulement les ‘Hakhamim de la génération faisaient la Brakha, mais ils ne la disaient pas machinalement.

Le problème, c’est qu’ils ne se focalisèrent pas suffisamment sur leur amour pour Hachem en la disant. Le Maharal poursuit en expliquant comment cette « petite » faille fut la cause première des fautes capitales qui entraînèrent la destruction du Beth Hamikdach. Si l’individu axe sa réflexion sur Hachem au cours de son étude, il méritera de bénéficier d’une Siyata Dichemaya (aide divine) extraordinaire qui lui permettra d’éviter de fauter bien plus facilement et même s’il commet une faute, cette providence contribuera à rendre sa Téchouva plus facile. Le rav Hutner zatsal écrit que c’est ce que ‘Hazal veulent dire quand ils affirment que « la lumière de la Torah fait revenir la personne vers le bien ». Par contre, si elle ne se lie pas à Hachem par son étude, elle perd cette Siyata Dichemaya particulière et risque fort, au cas où elle trébuche, d’être pris au piège par la spirale descendante de la faute[8].

Grâce à cette explication, il est possible de résoudre la contradiction entre les Guémarot de Nédarim et de Yoma. Le Beth Hamikdach fut détruit à cause des terribles Avérot énumérées dans Yoma. Mais le fait de ne pas avoir récité Birkat Hatorah avec la concentration adéquate fut la cause première qui entraîna la dégénérescence du peuple juif au point qu’il en vint à commettre de si graves fautes. Du fait qu’ils ne se lièrent pas à Hachem convenablement, les Bné Israël perdirent la Siyata Dichemaya et furent la proie aux fortes tentations du Yétser Hara'.

Le Maharal propose une explication très intéressante, voire surprenante, quant aux raisons pour lesquelles une personne peut ne pas faire preuve d’un amour sincère pour Hachem dans sa Birkat Hatorah. Selon lui, il est impossible d’aimer deux choses à la fois. Donc le fait de se focaliser sur l’amour pour une chose nous empêche d’aimer véritablement autre chose. Il remarque qu’il existe deux sortes d’« amour » que l’on peut exprimer pendant Birkat Hatorah, l’amour d’Hachem et l’amour de la Torah, et il n’est pas envisageable d’aimer les deux simultanément ! Quand quelqu’un récite cette Brakha, il est plus probable qu’il exprime son amour pour la Torah plutôt que son amour à l’égard d’Hachem ! Il nous avertit que l’« on doit faire très attention à dire la bénédiction sur la Torah de tout son cœur et de toute son âme » [9].

Ce raisonnement du Maharal semble contredire l’approche du rav ‘Haïm de Volozhin zatsal, dans le Néfech Ha’haïm. Ce dernier explique que lorsque l’on étudie la Torah, il ne faut pas avoir de réflexions profondes sur Hachem, mais plutôt approfondir au maximum la Torah qui est étudiée. Il estime que cette approche est la meilleure façon de se rapprocher de D.ieu. La distinction établie par le Maharal entre l’amour d’Hachem et celui pour la Torah semble ne pas s’accorder avec l’avis du Néfech Ha’haïm qui met l’accent sur la Torah plutôt que sur le fait de penser à Hachem.

Cependant, en analysant plus profondément, la contradiction semble se dissiper ; le Maharal ne dit pas que l’on doit se concentrer sur l’amour de D.ieu durant l’étude. Par contre, avant de commencer à étudier, en disant Birkat Hatorah, il faut faire attention à ne pas oublier Hachem. Le Néfech Ha’haïm lui-même, fait une remarque similaire en ce qui concerne l’attitude de la personne avant l’étude. « Lorsque l’on se prépare à l’étude, il convient de passer un petit moment — au moins — à développer une réelle crainte de D.ieu, avec un cœur sincère[10] ». Il va jusqu’à dire qu’il faut de temps en temps faire une pause durant l’étude pour raviver sa Yirat Chamaïm [11].

Ainsi, ces deux Guédolim semblent s’accorder à dire qu’avant d’étudier, l’homme doit faire bien attention à garder à l’esprit Celui à Qui appartient la Torah qu’il étudie. En revanche, au moment de l’étude, il n’y a aucune raison de présumer que le Maharal soit en désaccord avec le Néfech Ha’haïm, qui affirme que l’on ne doit pas avoir de pensées profondes sur Hachem.

Le déroulement des ‘Haguim qui approchent reflète un peu cet enseignement (garder Hachem à l’esprit pendant l’étude). Juste après le mois d’Eloul, Roch Hachana et Yom Kippour, consacrés à l’élévation personnelle et dont le but principal est de se rapprocher d’Hachem, nous terminons le cycle annuel de la lecture de la Torah, et nous célébrerons sa beauté et sa féérie à Sim’hat Torah. La période préparatoire à Sim’hat Torah est propice à l’acquisition de la concentration requise pendant l’étude – développer notre amour et notre crainte d’Hachem.



[1] Parachat Haazinou, Dévarim 32:3.

[2] Berakhot 21a.

[3] Yirmiyahou 9:12.

[4] Nédarim 81a.

[5] Voir Ora’h ‘Haïm, Siman 47, ainsi que les commentaires du Bakh et du Taz, et le Maharal, Hakdama de Tiféret Israël.

[6] Yoma 9b.

[7] Hakdama de Tiféret Israël

[8] Pa’had Its’hak, Chavou'ot, Maamar7, cite par rav Yéhochoua Hartman chlita, Hakdama de Tiféret Israël, Oth 55.

[9] Netiv Hatorah, Pérek 7.

[10] Néfech Ha’haïm, Chaar 4, Pérek 6.

[11] Ibid. Pérek 7.