Dans cette Paracha, la Torah répète les Dix Commandements. En cinquième place, on trouve la Mitsva d’honorer ses parents. Par ailleurs, la Torah enjoint également à tout Juif de craindre ses parents.[1] Notons qu’elle ne nous ordonne pas de les aimer. Certes, il y a une Mitsva générale d’aimer chaque Juif, mais on aurait pu penser qu’il conviendrait d’ajouter un commandement plus spécifique ; celui d’aimer ses parents plus que toute autre personne. Pourtant, ce n’est qu’à propos du converti que nous trouvons une Mitsva supplémentaire d’amour.

Le Rambam[2] évoque ce sujet dans une lettre qu’il écrivit à un converti. Il souligne que la Torah ordonne d’honorer et de craindre ses parents, et non de les aimer, parce que l’on ne peut pas honorer ou craindre quelqu’un que l’on n’aime pas. En revanche, nous avons l’ordre d’aimer profondément les convertis.

Le Zohar[3] semble contredire le Rambam. Il affirme que l’on doit aimer ses parents plus que l’on ne s’aime soi-même, et faire tout son possible pour leur faire plaisir. Le Sefer ’Harédim et le ’Hayé Adam tranchent la Halakha conformément à cet avis. « Il est évident qu’il faut les aimer comme soi-même… L’amour du père et de la mère est lié à celui envers Hachem ».[4]

Rav Eliachiv estime que d’après le Rambam, il serait logique d’aimer ses parents, même si ce n’est pas formulé explicitement par la Torah. Selon le Hayé Adam aussi, ce n’est pas un commandement formel, mais il est évident qu’il faut aimer ses parents. Dans le même ordre d’idées, Rav Its’hak Yossef écrit qu’il faut aimer son parent, mais il y a une différence avec l’injonction à propos du converti. Aimer un converti, c’est une attitude générale à son égard et sans ce comportement, il nous manque une Mitsva. En revanche, si l’on n’aime pas un parent, mais qu’on l’honore et qu’on le craint, on accomplit tout de même la Mitsva.

Rav ’Haïm Chmoulewitz estime que le Kiboud Av Vaèm ne se limite pas au fait d’honorer ses parents. C’est plutôt une sorte d’adulation, consacrer du temps à réfléchir à leurs qualités, etc. « Mon père, mon maître, passa sa vie à réfléchir et à chercher une qualité spéciale chez son père, jusqu’à trouver ce en quoi ce dernier était unique, parmi toute la génération. Je me suis toujours demandé pourquoi il avait fait cela. Jusqu’à ce que je comprenne que le but principal de cette Mitsva (ainsi que de celle d’honorer toute créature), c’est de lui accorder un véritable honneur. Or il est impossible d’honorer véritablement quelqu’un qui n’est pas respectable à nos yeux. Notre considération n’aurait alors été qu’extérieure et nous n’aurions pas rempli vraiment notre obligation d’honorer nos parents. Par conséquent, il faut chercher les qualités spécifiques de nos parents pour que ces derniers soient véritablement vénérés, que l’honneur accordé soit authentique et que la Mitsva soit réellement effectuée.[5]

Les Grands de notre génération excellèrent dans l’accomplissement de cette Mitsva, et l’effectuaient au-delà de ce qu’exige la stricte Loi. Rav ’Haïm Kanievsky raconta que son oncle, le ’Hazon Ich rendait quotidiennement visite à sa mère, pendant une demi-heure. Il ne discutait pas de commentaires du Rambam, difficiles à comprendre, mais plutôt de sujets qui intéressaient sa mère. Il aurait pu développer de merveilleux ’Hidouchim pendant toutes ces demi-heures, mais l’honneur qu’il lui devait était plus important. Rav Steinman raconta que chez sa belle-mère, la Rabbanite Sarah Kornfeld, la Mitsva de Kiboud Av Vaèm était si chère que le fait de pouvoir faire le lit de son père était pour elle, un privilège, et quand elle n’était pas autorisée à le faire, elle prenait cela comme une punition. « On imagine difficilement le respect que le Rav de Brisk manifestait à l’égard de son père, le Beth Halévi. Il tremblait quand il se tenait devant lui. »

On raconte, qu’une année, à Sim’hat Torah, le ’Hazon Ich rentrait chez lui, accompagné par une foule de personnes et il entendit un enfant demander à son père : « Pourquoi tous ces gens marchent-ils derrière cet homme ? Ne connaît-il pas la route pour rentrer chez lui tout seul ? » Le ’Hazon Ich appela le père de l’enfant et lui dit : « Dis à ton fils que c’est parce que j’ai toujours respecté la Mitsva de Kiboud Av Vaèm. » Rav Steinman lui demanda par la suite si la vraie raison n’était pas son érudition en Torah. Le ’Hazon Ich répondit que bien que les gens lui fissent des honneurs pour son assiduité et son génie en Torah, il lui avait fallu du mérite pour arriver à ce niveau. Et ce mérite provenait de la Mitsva de Kiboud Av Vaèm.

Ainsi, il ne suffit pas de respecter et de servir mécaniquement nos parents ; nous devons nous efforcer de développer un amour et une admiration à leur égard. On pourra ainsi émuler les Grands et récolter les fruits qu’eux-mêmes recueillirent.

 

[1] Vayikra 19,3.

[2] Chout Harambam, Siman 369.

[3] Parachat Ki Tetsé 281,1.

[4] ’Hayé Adam, Klal 69, Séif 1.

[5] Si’hot Moussar, Maamar 82, p. 327.