La Paracha de Vayélèkh que nous allons lire ce Chabbath clôt le récit de la Torah. Même s’il reste encore deux autres sections, celles de Haazinou et de Vézot Haberakha, ces dernières n’ont pas vocation à compléter le récit mais à donner un éclairage particulier à deux évènements spécifiques : le chant de Moché d’une part, et les bénédictions qu’il a données aux enfants d’Israël d’autre part.

Comme chacun le comprend, cette Paracha a donc une solennité particulière, d’autant plus qu’il s’agit des derniers instants de vie « terrestre » de Moché Rabbénou, le plus grand des prophètes, et d’autant plus qu’elle est lue durant ce Chabbath « Chouva » dédié à la Téchouva, à l’introspection et au retour vers D.ieu, à quelques heures de Yom Kippour.

Cette conjonction de sainteté suggère qu’il se joue dans cette Paracha des notions fondamentales et éternelles, susceptibles d’accompagner le peuple juif à travers toute son histoire, à travers l’Histoire.

Et, de fait, les enfants d’Israël ont traversé l’histoire de l’humanité accompagnés par cette Torah. Beaucoup s’en étonnent. Comment est-ce possible qu’un peuple aussi peu nombreux, exilé durant des siècles, loin de sa terre ancestrale, éparpillé aux quatre coins du monde, opprimé, persécuté, ait réussi à traverser l’histoire et à préserver sa foi, sa culture, ses rites ?

C’est peut-être à cette question fondamentale que répond notre Paracha, en nous donnant le secret de l’éternité.

Le départ de ce monde du plus grand prophète de tous les temps, Moché Rabbénou, ne pouvait se faire sans nous donner l’espoir que le destin de l’homme dépasse son horizon de vie sur terre. Les hommes ont cherché en vain un élixir de vie capable de donner la vie éternelle, mais la Torah leur a donné un élixir de vie spirituelle qui leur assure l’éternité.

Examinons à cet égard les deux dernières Mitsvot que nous donne notre Paracha : la première concerne le commandement incombant à un Roi de réunir son peuple tous les 7 ans, durant la fête de Souccot, à l’issue de l’année de Chemita, sur le parvis du Temple, afin de leur donner lecture de toute la Torah ; la seconde nous rappelle l’obligation incombant à chacun d’écrire un Séfer Torah (ou, tout au moins, de prendre part à son écriture).

Les Sages du Talmud ont déduit cette loi du verset suivant « Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, qu'on l'enseigne aux enfants d'Israël et qu'on le mette dans leur bouche, afin que ce cantique me serve de témoignage à l'encontre des enfants d'Israël. » (Dévarim, 31.19). Notre tradition nous enseigne ainsi que, même si quelqu’un a reçu en héritage de ses parents un Séfer Torah, il doit quand même en écrire un autre à son tour (Sanhédrin 21b).

Il est saisissant que nous devions lire ce commandement durant cette période de l’année, dite des « 10 jours de pénitence », où nous prions, matin, midi, et soir, pour être « écrits », « inscrits » dans le livre de la Vie.

Une poésie émouvante se dégage de ces lignes qui nous invite à prendre de la hauteur pour considérer la vie comme un livre dans lequel nous sommes inscrits et ré-inscrits de manière périodique, à l’image de la Torah qui doit être écrite et ré-écrite par chacun, à chaque génération.

L’écriture a ceci de spécifique qu’elle est un acte matériel à travers lequel nous manifestons un désir de rendre matériel ce qui était jusque-là spirituel (une idée, une pensée, une réflexion). Or qu’est ce que l’homme si ce n’est une Néchama, une âme, d’essence spirituelle incarnée durant sa vie terrestre dans un corps matériel ?

L’écriture est toutefois menacée par certains écueils : figer son contenu, l’immobiliser, et parfois, dégrader l’intensité de la pensée qui lui a donné naissance. Elle peut être sauvée par le « style », la poésie qui est capable de redonner sa vitalité, son intensité aux mots et aux idées en faisant naître différentes émotions dans l’esprit et le cœur de ceux qui la lisent. Or, le « style » et la « poésie » sont le propre de chaque individu, elles relèvent de sa sensibilité, de son identité profonde, de son particularisme.

Il en va de même de l’homme dont le corps, par ses désirs intempestifs, sa paresse, son ancrage matériel, menace d’étouffer la Néchama, l’âme qu’il abrite. Il appartient, ici aussi, à l’homme d’imprimer dans sa vie la volonté de ne pas laisser le dernier mot au corps et au matériel, en se liant à la Torah, et en essayant de les élever à un niveau spirituel. L’homme a ainsi la possibilité de porter sur sa vie un regard « poétique » où il guette la trace de D.ieu dans son quotidien, et la célèbre quand il la trouve.

L’homme est invité à développer une vertu spécifique : la capacité à se renouveler en permanence, à créer, à innover, animé par une quête de sens permanente.

Voilà pourquoi la Torah demande à chacun d’entre nous d’écrire son propre Séfer Torah afin de la sauver du danger de l’immobilisme, de la routine, de la répétition mimétique. En demandant à chacun d’écrire sa propre Torah, l’Eternel nous demande probablement d’apporter notre propre lumière sur ce texte millénaire grâce à notre sensibilité, notre culture, notre éducation, notre parcours qui font de chacun de nous des êtres uniques. L’âme qui se loge en chacun de nous est elle-même unique, à nulle autre semblable, et elle a vocation à apporter un éclairage unique sur la Torah.

C’est là également une des raisons qui explique l’impérieux devoir pour chacun d’entre nous d’étudier la Torah. En n’écrivant pas « notre » Torah, nous priverions l’humanité pour toujours de la lumière dont nous étions porteurs et que nous étions les seuls à pouvoir donner.

Notons d’ailleurs que, dans ce dernier verset, la Torah est désignée comme une « Chira » qui signifie à la fois un chant ou un poème.

Comme l’observe le Netsiv, Rav Naftali Yehouda Tsvi Berlin (rapporté par R. J. Sacks), un poème a ceci de spécifique qu’il s’exprime par allusion, qu’il fait appel à l’interprétation de ceux qui le lisent et qu’il possède une multiplicité d’interprétations possibles. La Torah est effectivement un poème, et nous sommes ses interprètes.

Par ailleurs, un chant ne prend corps que par ceux qui le chantent, et l’harmonie naît de l’addition coordonnée de multiples voix. Et, de fait, la Torah est un chant, et chacun d’entre nous sommes ses chanteurs. Il nous appartient d’entonner notre propre partition dont la mélodie est inscrite dans notre Néchama, notre âme.

C’est précisément ce chant, renouvelé à chaque génération, qui a assuré l’éternité de notre peuple, l’éternité de son esprit, et lui a permis d’échapper à l’effet sclérosant et destructeur de la répétition perpétuelle du même.

La période des 10 jours de Téchouva a précisément vocation à nous permettre de renouveler notre regard sur la vie, renouveler notre lien avec l’Eternel, et renouveler notre lien avec les hommes. Ce renouveau est nécessaire non seulement pour nous permettre de nous améliorer en mettant un terme à nos fautes, mais aussi pour raffiner nos bonnes actions, leur permettre de briller davantage. La pratique religieuse est parfois menacée par la routine, le sentiment que les Mitsvot sont comme une seconde nature dans le sens où nous les accomplissons de manière mécanique. Or, chaque Mitsva est un lien que nous tissons avec l’Eternel, une lumière que nous créons et apportons au monde et dans nos vies. La routine ne doit pas éclipser ou voiler cette lumière.

Puisse l’Eternel nous permettre de nous renouveler cette année et les suivantes afin d’être inscrits dans le livre des « Vivants » et pouvoir ainsi écrire notre propre Séfer Torah éclairée par la lumière unique de notre âme.