Parmi les diverses sortes de Avoda Zara, la Torah évoque le service d’une divinité appelée Molekh. Elle interdit de faire « passer son enfant au Molekh ». Le Séfer Ha’hinoukh[1] décrit le rituel prohibé : les parents de l’enfant l’amenaient au prêtre du Molekh et montraient l’enfant à l’idole, puis ils allumaient un grand feu devant elle. Le prêtre ramenait ensuite l’enfant à son père qui le faisait passer à travers le feu, devant le Molekh.

Le ’Hinoukh rapporte un débat entre les Richonim quant au sort de l’enfant lors de cette pratique. Rachi et le Rambam estiment que l’enfant passait rapidement dans le feu et n’était pas tué. Cependant, le Ramban pense que l’enfant mourrait brûlé. Selon cet avis, en dépit de la dépravation des idolâtres, il convient d’expliquer le but de cet acte barbare et comment un père pouvait tuer son fils pour la Avoda Zara.

Pour répondre à ces questions, analysons une autre loi de la Torah concernant le culte du Molekh. Le ’Hinoukh souligne que la punition n’était appliquée que si la personne sacrifiait une partie de ses enfants. En revanche, si elle sacrifiait tous ses enfants elle n’était pas sanctionnée. Comment cela se fait-il ?[2]

Il explique ce paradoxe, ce qui nous aide à comprendre comment un individu pouvait tuer son fils en servant le Molekh. Il précise que les prêtres du Molekh promettaient aux parents que s’ils sacrifiaient l’un de leurs enfants pour ce dieu, ils bénéficieraient d’une « bénédiction » pour leurs autres enfants, qui auraient tous une belle vie. Évidemment, c’était faux, mais nombreux furent ceux qui tombèrent dans le piège et qui furent prêts à sacrifier un enfant en faveur de ses frères. Puisque le culte classique consistait à ne pas sacrifier tous ses enfants, celui qui agissait de la sorte n’était pas sanctionné malgré son acte odieux.

Ceci explique comment des parents pouvaient faire tuer leur enfant : ils se souciaient en réalité du bien-être de leurs autres enfants.

En quoi est-ce pertinent dans notre vie ? Nous ne sommes aucunement tentés de servir des idoles, surtout si cela demande de tuer des enfants. Pourtant Rav ’Hanokh Plotnik[3] affirme que cette idée peut s’appliquer dans nos vies, quoique de façon moins drastique.

Les parents désirent parfois « sacrifier » un enfant pour le bien-être de ses frères et sœurs. La vie ne peut rien garantir et l'on ne choisit pas ses enfants. Nous souhaitons tous voir chacun de nos enfants devenir un érudit en Torah, un Grand de la génération future. Mais tous les enfants ne sont pas forcément destinés à cela. Parfois, une Yéchiva de premier, voire de deuxième rang, n’est pas adaptée à l’enfant ; celui-ci n’est pas en mesure de tenir le rythme d’une étude si intensive. Mais certains parents s’entêtent : « Non ! Notre fils doit étudier dans CETTE Yéchiva. Parce que s’il entre dans un autre type d’institution, ses frères et sœurs auront du mal à se marier. » Bien qu’il vivra une expérience difficile dans cette Yéchiva, les parents estiment qu’il doit y entrer pour le bien-être de ses frères et sœurs.

Rav Plotnik montre que parfois, l’erreur est de vouloir – consciemment ou non – placer l’enfant dans un danger spirituel pour le bien des autres. Ce cas n’est qu’un exemple. Il existe d’autres situations où un parent n’agit pas pour le bien de l’enfant, mais pour la réputation de la famille et pour mériter la considération des autres. Rav Avi Fischoff affirme : « Nous devons nous préoccuper de la שכינה (Présence divine) plus que des שכנים (des voisins). »

Cette idée s’applique également quand un enfant est en déclin spirituel et qu’il y a lieu de craindre que les autres enfants en soient affectés. Dans un tel cas, les parents se demandent s’il est acceptable, voire conseillé, de faire sortir cet enfant du foyer. Cette question est complexe et chaque cas est à traiter individuellement. Toutefois, si les parents montrent qu’ils acceptent et qu’ils aiment cet enfant en dépit de ses choix de vie, non seulement ce dernier verra qu’on lui voue un amour inconditionnel, mais ses frères et sœurs le comprendront également. Par conséquent, ils réaliseront que l’amour des parents à leur égard est également inconditionnel. En revanche si les parents font preuve de moins d’amour et d’égards envers l’enfant qui fait « fausse route », les autres auront moins confiance en l’amour de leurs parents. Ainsi le fait de sacrifier un enfant en le renvoyant ostensiblement de la maison « pour le bien des autres », peut avoir un effet négatif également sur ces derniers.

Puissions-nous tous mériter d’élever chacun de nos enfants de la façon qui lui est la plus adaptée.

 

[1] Séfer Ha’hinoukh, Mitsva 208.

[2] Le Rachba propose une explication, voir Téchouvat Harachba 4,18. Nous nous focaliserons sur celle du ’Hinoukh.

[3] Rapporté par Rav Issakhar Frand.