À la fin de la Paracha de cette semaine, la Torah énumère les diverses relations interdites ainsi que les sanctions prévues pour ceux qui les transgressent. Vers la fin de la liste, elle affirme : « Un homme qui prend sa sœur, fille de son père ou fille de sa mère, qu’il voit sa nudité et qu’elle voit la sienne, c’est un ’Hessed et ils seront exterminés aux yeux de tous les membres de leur peuple ; il aura découvert la nudité de sa sœur, il devra assumer son iniquité. »[1] Une question évidente se pose – comment comprendre la présence du mot « ’Hessed » pour désigner une relation d’inceste ? Le ’Hessed est généralement traduit par « bonté, bienfait » — en quoi est-il lié aux Arayot ?!

Pour résoudre cette énigme, il convient de revoir notre compréhension du ’Hessed. Il s’agit en réalité d’une Mida (un trait de caractère) caractérisée par un débordement, un manque de limites. L’un des corolaires principaux sera le bienfait puisque le ’Hessed pousse l’individu à partager généreusement avec autrui, outrepassant son égoïsme. Mais ceci n’est qu’une seule facette du ’Hessed et, comme toutes les Midot, il a aussi un aspect négatif – qui se traduit par un manque d’appréciation des limites. Les Arayot (la débauche) sous-entendent la négligence de l’assertion que certaines relations brisent les barrières. C’est pourquoi la Torah décrit les Arayot comme du ’Hessed.

Deux personnages importants dans la Torah incarnèrent cet aspect négatif du ’Hessed ; Yichmaël et Lot. ’Hazal affirment qu’Yichmaël était profondément corrompu par la débauche[2] et le vol[3]. Ces deux délits proviennent de son ’Hessed tordu qui lui fit dépasser les limites acceptables. Une attitude selon laquelle « ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi » incite l’homme à croire qu’il a le droit de porter atteinte aux femmes des autres ainsi qu’à leurs biens.

Lot grandit dans la maison d’Avraham Avinou et s’habitua donc à prodiguer des bienfaits à son entourage, comme le prouve son impressionnante hospitalité à Sodome. Cependant, il développa manifestement une conception pervertie du ’Hessed. Par exemple, quand les habitants de Sodome menacèrent d’abuser de ses invités, il préféra leur proposer ses propres filles ! Il voulait faire du ’Hessed à ses hôtes aux dépens de ses filles.[4]

Pourquoi Yichmaël et Lot firent-ils une si mauvaise utilisation de cette Mida ? C’est parce que leur ’Hessed ne fut pas acquis grâce à un travail de soi (Avodat Hamidot) basé sur les directives de la Torah, mais il résultait d’un patrimoine génétique ou bien de l’éducation reçue. Même une Mida généralement positive comme le ’Hessed peut avoir des répercussions néfastes, si elle n’est pas appliquée correctement. Une personne qui a une tendance naturelle à faire du bien, peut mal le faire, qualitativement ou quantitativement. Elle peut se montrer très altruiste à l’égard de ses amis, mais oublier de s’occuper suffisamment de sa famille. Aussi, elle risque de ne pas réussir à se fixer des limites dans divers domaines de la vie ; elle aura peut-être du mal à être ponctuelle ou honnête, étant donné qu’elle ne peut se « restreindre » aux limites du temps ou de la vérité.

Avraham Avinou représente l’archétype du ’Hessed équilibré et juste. Certes, il avait une propension au ’Hessed, mais il ne laissa pas son inclination naturelle le diriger aveuglément ; au contraire, il la canalisa, voire la négligea, quand il le fallait. Il fut, à plusieurs reprises, placé dans des situations qui l’obligeaient à « réduire » son ’Hessed[5]. Avraham surmonta ces épreuves difficiles, prouvant ainsi que sa bonté n’était pas gérée par son penchant naturel, mais par sa Crainte du Ciel et sa Avodat Hamidot (travail de soi).

Un homme enclin à prodiguer des bienfaits peut avoir pour autre défaut, celui de vouloir ou d’exiger de la part des gens qu’il aide, qu’ils se comportent de la même manière à son égard. Par conséquent, il n’hésitera pas à leur adresser d’imposantes requêtes, puisqu’il aurait fait la même chose pour eux. Or, bien que la Torah nous enjoigne de donner abondamment, elle nous demande de ne pas compter sur les bienfaits des autres. Le Roi Chlomo nous dit d’ailleurs : « Celui qui hait les cadeaux vivra. »[6] Nombreux sont les Rabbanim qui nous montrèrent un parfait exemple sur ce point ; ils débordaient de bonté, mais refusaient de profiter des autres. Prenons l’exemple du Rav de Brisk, qui prit plusieurs orphelins à sa charge, mais qui n’acceptait aucun don, même quand le besoin était manifeste.

Pour résumer, nous avons vu que le ’Hessed ne signifie pas simplement « gentillesse », mais qu’il correspond à la propension à abonder, à dépasser les limites. C’est une Mida qui peut être utilisée pour le bien ou pour le mal. En outre, il existe une différence énorme entre celui qui fait preuve de cette qualité parce qu’il y est génétiquement prédisposé ou parce qu’il y a été habitué, et celui qui façonne et développe son ’Hessed selon le point de vue de la Torah.

Puissions-nous tous utiliser la Mida de ’Hessed uniquement pour le bien

[1]Parachat Kédochim, Vayikra, 20:17.

[2] Rachi, Parachat Vayéra, Béréchit, 21:9.

[3] Rachi, Parachat Lekh Lékha, Béréchit, 16:12.

[4] Voir Ramban, Béréchit, 19:8.

[5] Par exemple, quand il reçut l’ordre de renvoyer son fils Yichmaël ou encore quand il lui fut demandé de sacrifier son fils Its’hak.

[6] Michlé, 15:27