Chaque mercredi, Déborah Malka-Cohen nous plonge au cœur d'un quartier francophone de Jérusalem pour suivre les aventures captivantes d'Orlane et Liel, un jeune couple fraîchement arrivé en Israël et confronté, comme tant d'autres, aux déboires de la Alya...

La semaine dernière, nous faisions la connaissance d’Orlane, une jeune maman qui avait pris l’initiative de se rendre dans un autre parc de Baït Vegan qu’elle n’avait pas l’habitude de fréquenter...

On découvrait qu’elle rencontrait des difficultés à communiquer avec son mari, Liel. Lui, qui continuait de travailler en France, lui avait annoncé qu’il ne pouvait malheureusement pas rentrer pour Chabbath, car il devait honorer un rendez-vous professionnel vendredi. C’était la première fois en six ans de mariage qu’ils allaient être séparés et elle avait vraiment mal pris la nouvelle.

Plongée dans ses pensées, notre mère de famille avait dû intervenir auprès de Simon, son fils, car son cadet avait mordu un petit garçon qui n’était autre que le fils d’une autre jeune maman française qui portait le prénom de Rachel. Une chose en entrainant une autre, les deux mamans avaient fait plus ample connaissance. Rachel lui avait même présenté une de ses amies, ‘Hanna. Très vite, elles échangèrent leurs numéros de téléphone. Les deux copines avaient proposé à Orlane d’intégrer un groupe WhatsApp créé pour venir en aide aux jeunes accouchées du quartier. En rentrant chez elle, Orlane qui avait laissé à la maison son téléphone portable, avait eu une drôle de surprise lorsqu’elle découvrait les messages qu’on lui avait envoyés...  

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En tournant la clef dans la serrure de la maison, je repensais aux deux filles que je venais de rencontrer au parc. Je me disais qu’elles avaient l’air assez sympa. C’est vrai que depuis notre Alya, il y a quelques mois maintenant, j’ai souvent tendance à me plaindre auprès de Liel de ne jamais rencontrer de personnes avec qui je me sens vraiment bien. Avec Rachel et ‘Hanna, j’avais de nouveau une lueur d’espoir que peut-être, elles et moi allions bien nous entendre. J’imaginais déjà nos enfants jouer ensemble quand on s’inviterait les unes chez les autres, qu’on organiserait des barbecues… Oh non ! Voilà que je recommence à faire des plans sur la comète alors que je viens à peine de les rencontrer. Après je me demande pourquoi je suis tout le temps déçue que mes relations amicales ne soient pas à la hauteur de mes exigences ! Mieux vaut que je laisse venir sans trop prévoir à l’avance.

Une fois que j’avais demandé à Simon et à David de se laver les mains, et avant que je ne me mette à préparer leur repas, je pris le temps de consulter mon portable, car apparemment j’avais reçu plusieurs messages. Chalom Baït oblige comme on dit, je m’étais mise à lire en priorité le message qui venait de Liel. Et le moins que l’on puisse dire c’est qu’après sa lecture, j’étais encore plus énervée que lorsqu’il m’avait annoncé que je serais encore seule pour les huit prochains jours.

Il m’expliquait qu’il allait passer Chabbath chez son frère. Le fait de savoir qu’il allait rester chez lui et ma belle-sœur presque deux jours entiers me faisait le même effet que si j’avais reçu un coup de massue sur la tête. Comme un fait exprès, je sentis bébé me donner son premier petit coup de pied pile à ce moment là !

J’avais dit à voix haute : “Même toi, tu es d’accord avec moi ! Ce n’est pas normal ! Aucun couple au monde ne devrait être séparé pour Chabbath ou les fêtes. On devrait faire passer une loi à la Knesset pour ça ! À part évidemment en cas de force majeure. Mais là, le cas de ton papa, ce n’est pas du tout un cas de force majeure, même si lui affirmerait sûrement le contraire.”

De plus, je le soupçonnais d’avoir pris comme prétexte ce rendez-vous de travail dans le seul but de fuir la maison… C’était d’un triste ! C’est étrange, me dis-je, il n’y a pas si longtemps, Liel et moi, formions un couple fusionnel qui ne pouvait se passer l’un de l’autre. Etions-nous toujours ce couple que j’aimais tant ? Avions-nous toujours autant de complicité qu’avant ?! Etait-ce le fait de vivre à la fois ensemble et séparés qui nous avait éloignés ? Je me souviens très clairement que même à la maternité, pour David, notre ainé, et même pour Simon d’ailleurs, mon mari avait préféré dormir sur un lit d’appoint juste à côté du mien sans même faire un saut à la maison pour se changer, plutôt que de me quitter même pour quelques heures.

Ce qui m’embête le plus dans le fond, c’est que ma belle-sœur a cette fâcheuse habitude d’inviter à sa table des femmes célibataires de tous horizons. Son mari, étant le ‘Hazan de leur communauté, a plaisir à avoir de grandes tables et ouvre sa porte à celui qui n’a pas où manger.

Attention ! Je trouvais que l’hospitalité est une grande qualité de plus en plus rare. Cela dit, dans le cas de ma belle-sœur Betsabée, ses intentions ne sont pas si nobles que celles de son mari. Elle se montre souvent un brin trop curieuse avec ses invités et rien qu’à l’idée qu’elle va rentrer dans l’intimité de mon couple en accueillant mon mari, seul, me rend malade ! Je la vois d’ici poser mille et une questions à Liel et se mettre à chercher le pourquoi du comment il n’est pas avec sa propre famille. Gentil comme il est, mon mari lui répondra de façon on ne peut plus honnête, en lui disant la vérité. En plus, vu nos derniers rapports en date, entre Betsabée et moi, je suis certaine qu’elle va s’imaginer des choses.

Pourtant, elle et moi, au début de mon mariage, nous nous entendions très bien. Je me souviens que la première fois que je l’avais vue, c’était le jour des présentations officielles chez mes beaux- parents. C’était même elle qui m’avait ouvert la porte. Je l’avais complimentée sur son prénom parce que comme un fait exprès, je venais de lire tout un livre sur le roi David où justement, l’auteur avait décrit avec précision la façon dont il était tombé amoureux de la mère du roi Salomon. Je le lui avais d’ailleurs dit. Pour seule réaction, elle avait souri et m’en avait remercié parce qu’elle m’expliquait que pendant sa jeunesse, elle n’avait pas fréquenté des écoles juives et avait eu droit à pas mal de moqueries liées à son prénom. D’où son envie féroce de mettre ses propres enfants dans des établissements juifs. Nous en avions parlé toute l’après-midi. Pendant les préparatifs de mon mariage, ainsi que l’année qui a suivi, nous étions très proches.

Hélas avec le temps, j’ai très vite compris qu’elle avait cette tendance à nous mettre toujours vis-à-vis de nos beaux-parents ou de nos maris en compétition : à celle qui fera la plus belle table pour les recevoir, à celle qui organisera les plus belles fêtes d’anniversaire pour ses enfants, à celle qui appellera belle-maman en premier, etc. Bref, tout un tas de situations qui m’ont vite fait comprendre son petit manège (ou son mal-être ?). Et plutôt que de ‘Hass Véchalom me mettre à la critiquer ou à commencer à parler en termes peu élogieux d’elle, j’avais proposé à Liel de nous éloigner un peu de son frère et de Betsabée, du temps où nous habitions encore en France. Il avait tout de suite accepté, en me disant que c’était une sage décision et qu’il n’était pas sain de se forcer à les fréquenter tout le temps. Mais lorsque nous avions espacé nos visites et nos sorties communes pour éviter de trop nous voir, au bout de quelques refus, ma belle-sœur avait mal pris notre choix et l’avait fait savoir auprès de tout le reste de la famille. Ce qui avait en quelque sorte accéléré notre venue en Israël pour apaiser les tensions.

Du coup, en repensant à tout cela, ma première réaction avait été de presque avoir envie de rappeler Liel pour lui proposer qu’il aille passer Chabbath chez sa grand-mère qui habitait à Antony ! C’est une ville calme, belle, fleurie et surtout il n’y a ni belle-sœur ni beau-frère à l’horizon !

La deuxième option, un peu plus coûteuse, m’avait poussé à aller sur internet pour regarder combien coûtaient trois billets d’avion pour aller le rejoindre ! Mais en y réfléchissant, il était impossible de passer à l’acte car nous n’en avions pas les moyens, sans compter que c’était trop de fatigue pour rien. Je devais penser à l’ensemble de la famille et non à mon sentiment de jalousie qui prenait le pas sur le reste.

Le temps de me calmer, j’avais décidé de ne pas rappeler mon mari ni de lui dire tout ce que j’avais sur le cœur par sms. D’expérience, je savais qu’il n’était jamais bon de communiquer par texto car généralement aucune de nos conversations ne ressortaient positives. Cela commençait toujours de la même manière : au début le ton que j’employais par écrit était plutôt calme puis très vite, lui me faisait des réponses en rafales, et le fait de ne pas entendre directement par téléphone sa voix ou de le voir de visu, faussait mon interprétation. Et ensuite, c’était l’escalade vers de violentes disputes. Après plusieurs situations similaires, Liel et moi avions passé un accord que si nous devions avoir de réelles conversations en perspective et non pas seulement “Pense à acheter du pain”, le mieux était d’attendre de se voir. Depuis, cela nous avait évité pas mal de colère et de rancœurs mutuelles. En conséquence, ce soir-là, j’avais préféré ne rien faire et ne rien dire… A part lui souhaiter une bonne nuit, avec la promesse de se parler par Facetime le lendemain pour se souhaiter Chabbath Chalom.

Une fois les enfants au lit, j’avais pris le temps de répondre aux autres messages que j’avais reçus, dont celui de ’Hanna qui me demandait si je voulais préparer des ‘Hallot pour cette fille, Nourit, qui venait d’avoir un petit garçon. Si j’étais d’accord, il me suffisait de répondre par « Oui, je participe » avec mon adresse, afin que quelqu’un de leur quartier vienne le lendemain les chercher chez moi pour les déposer directement chez la maman en question. Je me disais que leur système était simple car je n’avais même pas besoin de me déplacer. Et il valait mieux ! Parce que depuis mon arrivée en Israël, je rencontrais encore quelques difficultés à me repérer dans les rues même à l’aide de n’importe quel support ultra perfectionné.

Ensuite, vint le moment où je lisais celui de Rachel qui m’indiquait l’heure et la date de la fameuse Brit-Mila à laquelle elle m’avait proposé d’assister. Elle insistait beaucoup pour que je vienne. Cela se déroulait le Chabbath matin dans une synagogue qui n’était pas trop loin de chez moi. En temps normal, j’aurais décliné l’offre mais étant donné ma situation actuelle et la triste perspective de me retrouver seule tout un Chabbath, je devais bien avouer que cette Brit-Mila tombait à pic ! Je répondais sans hésiter par l’affirmative, en me disant que cela me changerait les idées. Il ne me restait plus qu’à aller acheter un cadeau de naissance le jour d’après.

La journée du vendredi s’était déroulée non sans une pointe de tristesse, due à l’absence de mon mari. Savoir que je réciterais moi-même le Kiddouch à sa place m’avait fait tout bizarre. Le lendemain, le Chabbath matin, j’allais être confrontée à un dilemme que je n’avais pas prévu. En effet, d’habitude, le vendredi soir et le samedi matin, en absence totale d’utilisation de maquillage, je fais toujours un effort de toilette pour faire honneur au jour. Le petit bonus, c’est que je m’autorise à porter toutes mes nouvelles créations exclusivement le Chabbath, car Liel et moi avons une sorte de rituel. Il prend les enfants et les emmène à la synagogue pendant que moi j’installe la table pour ensuite les rejoindre. Cela me fait toujours quelque chose quand il m’aperçoit au loin et me sourit ! Systématiquement, j’ai le droit à un compliment de sa part sur ma tenue, ce qui me met toujours de bonne humeur.

C’est seulement à cet instant que je remarquais que cela faisait un moment que je ne daignais même plus venir les chercher à la fin de la prière. À force de disputes récurrentes sur ma façon de m’occuper de nos enfants ou de la manière dont je gérais la maison ou que sais-je encore, j’avais laissé tomber cette habitude. Je me contentais de lire à la maison et d’attendre qu’ils reviennent tous les trois de la Choul.

Mais là, en contemplant mes affaires et prenant en compte que mon mari était absent, je me disais que je ne devais pas me faire remarquer plus que cela. Sans lui à mes côtés, je devais être encore plus Tsnoua que d’habitude. Peut-être que si je faisais un effort dans ce domaine, Hachem allait nous venir en aide pour en finir pour de bon avec cette zone de turbulences que notre couple traversait ? Même si je savais que l’on ne fait jamais une Mitsva pour espérer une récompense…

Je fermais mon armoire en choisissant une jupe sombre, un haut passe-partout et des chaussures plates et j’étais fin prête ! Je prenais Simon et David avec moi et nous étions en route pour la Brit-Mila. Lorsque nous étions arrivés à destination, (non sans demander mille fois mon chemin pour être sûre d’être dans la bonne direction), j’avais trouvé à l’entrée de la synagogue des jeunes filles qui m’avaient proposé de jouer avec mes fils pour me laisser rejoindre les femmes et prier tranquillement.

Ravis, les garçons suivaient leurs nouvelles monitrices. Je devais avouer que j’étais légèrement mal à l’aise de me retrouver au milieu de tout ce monde car je ne connaissais personne. Ce malaise s’était prolongé lorsque nous avions été invitées à descendre dans la salle où allait se dérouler la Brit-Mila. Heureusement qu’en bas des marches se trouvaient là Rachel et ‘Hanna, mes deux bouées de sauvetage social ! Juste après m’avoir saluée chaleureusement, elles me proposèrent de les suivre afin de me présenter la fameuse Nourit.

Celle-ci attendait dans une petite pièce adjacente, assise sur une chaise, tenant un couffin à la main. C’était une petite brune, aux yeux en amandes qui avait le visage parsemé de taches de rousseurs. Elle avait l’air d’avoir à peu près le même âge que moi. C’est à dire un peu moins de trente ans. Rachel s’était occupée des présentations et tandis que je lui adressais mes félicitations, Nourit me regardait et son visage s’était tout à coup éclairé :

“Ah bah ça alors ! Orlane, c’est bien toi ?”

Je mis quelques secondes à comprendre comment elle connaissait mon prénom et d’où elle me connaissait quand soudain ma case mémoire se réveilla elle aussi : “Nourit ! C’est bien toi, ma Nourit ! Mon D.ieu, mais c’est incroyable ! J’étais à des kilomètres de penser que c’était de toi dont ‘Hanna et Rachel me parlaient !

– Mais oui ! C’est bien moi. Viens ici que je t’embrasse correctement et que je te regarde un peu ! Tu ne peux pas savoir comme je suis contente de te voir ! Les filles, je vous bénis.”

D’une même voix, nous avions expliqué que c’était au cours d’un circuit de trois semaines en Israël que nous nous étions rencontrées. L’un de mes plus beaux souvenirs de ce voyage restait justement ma rencontre avec Nourit. Dès que nous étions rentrées en France, nous avions essayé de continuer de nous téléphoner régulièrement mais comme elle habitait à Strasbourg et moi à Paris, il avait été difficile de garder le contact. Passé le choc de nos retrouvailles, j’avais demandé : “Mais dis moi, cela fait combien de temps que tu habites en Israël ?

– Figures-toi que l’année du circuit, j’ai tellement aimé notre pays que j’ai harcelé mes parents pour qu’ils me laissent partir dans un séminaire. À force de persuasion, ils ont fini par accepter. La même année, j’ai rencontré mon mari et depuis je ne suis plus repartie. D’ailleurs, je te présente le dernier né d’une fratrie de cinq !

– Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il te ressemble !

– Au moins un sur cinq. Et toi alors, raconte !”

Je lui faisais un rapide topo de ma vie lorsque nous fûmes interrompues. C’était l’heure de la Brit. Elle s’était levée pour confier le couffin à l’une de ses amies et m’avait demandé : “Tu restes pour le repas, j’espère ? Tu ne vas pas te volatiliser de nouveau ! Maintenant que je t’ai retrouvée, je ne te lâche plus.

– Ah non, je ne veux surtout pas te déranger. Tu n’as pas prévu pour nous...

– Ne dis pas de bêtise ! Tu restes, on doit rattraper le temps perdu. Tu ne peux pas savoir comme cela me fait plaisir de te revoir après toutes ces années. Rachel, je compte sur toi pour ne pas la laisser filer.”

En me plaçant du côté des femmes, je gardais un œil sur la Brit et sur mes fils qui jouaient avec des petites voitures par terre près de moi. Brusquement, l’une des voitures avait filé à l’extérieur de la salle où se passait la cérémonie. Simon avait suivi son jouet qui avait traversé la porte de la synagogue et qui donnait sur une route. De peur qu’il ne s’éloigne de trop et qu’une voiture ne passe au même moment, j’avais décidé de le suivre. Et au moment où je sortais de la synagogue, je découvrais sur le trottoir d’en face, un homme que je connaissais bien, puisqu’il n’était autre que… mon mari en personne !

Mon cœur cognait si fort dans ma poitrine que j’étais comme paralysée. Je ne pouvais même pas lui faire signe que j’étais là, à quelques centimètres de lui.

Suite à la semaine prochaine...