La Paracha Tétsav a ceci de spécifique qu’elle ne fait pas mention du nom de Moché Rabbénou. En revanche, elle rend hommage avec insistance à son frère, Aharon HaCchen, le premier Cohen Gadol de l’histoire du peuple Juif.

Au cours du livre de Béréchit, nous nous sommes intéressés à plusieurs aux enjeux de la fraternité dans l’histoire biblique. Il s’avère que cette relation se révèle longtemps conflictuelle, que l’on pense à Cain et Abel, Isaac et Ichma'ël, Ya'acov et 'Essav, ou encore Joseph et ses frères. Toutefois, le livre de la Genèse s’achève sur la relation harmonieuse qui unit Ménaché et Ephraïm, qui semble avoir surmonté la rivalité et la jalousie qui minaient les relations fraternelles.

Avec le second livre de la Torah, l’Exode, nous allons suivre un couple de frères Moché Rabbénou, d’une part, et Aharon Hacohen, d’autre part, qui, non seulement, ne connaissent aucun conflit, mais, en outre, se témoignent d’une affection si profonde qu’ils semblent ne faire qu’un. Comme nous l’avions étudié dans la Sidra de Vaéra, bien souvent, la Torah emploi le pronom singulier « Hou » (Il/C’est) pour désigner « Moché et Aharon ».

Dans notre Paracha de Tétsavé, nous assistons donc à l’intronisation de Aharon Hacohen en tant que « Grand Prêtre » pour le sanctuaire. Les honneurs et le prestige auxquels est élu Aharon semblent trouver leurs racines dans son mérite d’avoir pu se réjouir d’un cœur entier à chaque fois que son frère Moché était élevé à des prérogatives extraordinaires.

R. Chmoulevtich rappelle ainsi qu’à l’origine, Moché Rabbénou semblait gêné d’être désigné par Hachem pour être Son intermédiaire pour libérer les Bné Israël. Il voulut décliner cet honneur au profit de son frère Aharon, comme l’indique Rachi : « Et toute cette réticence parce qu’il ne voulait pas surpasser en dignité son frère Aharon, son aîné, qui était prophète » (Exode 4-10). Mais Hachem le rassure en lui signifiant qu'Aharon n’en prendra pas ombrage, et, au contraire, il se réjouira sincèrement : « Déjà même il s'avance à ta rencontre et à ta vue il se réjouira dans son cœur. » (Exode 4-14).

Or, nos Sages nous disent que de même qu'Aharon s’est réjoui d’un cœur entier pour son frère Moché, de même Moché se réjouira pleinement lorsque son frère sera oint en tant que grand prêtre. Ils interprètent ainsi la répétition du mot « barbe »  dans ces versets des Psaumes : « Ah ! Qu’il est bon, qu’il est doux à des frères de vivre dans une étroite union ! C’est comme l’huile parfumée sur la tête, qui découle sur la barbe, la barbe d’Aharon, et humecte le bord de sa tunique » (Psaumes 133,1-2). Nos maîtres nous disent ainsi que lorsque l’huile d’onction coule sur la barbe d’Aharon, Moché ressent le même bonheur que si elle avait coulé sur sa propre barbe ! Tout se passe ainsi comme s’ils ne formaient qu’une seule personne. (Chita Mekoubetset, Keritout 5b, Si'hot Moussar, R. Chmoulevitch. Trad : Pr. F.H. Lumbroso)

Parmi les habits sacerdotaux que devaient revêtir le grand Prêtre, se trouve le pectoral dans lequel étaient placés les Ourim et Toumim. Ces derniers représentent, selon Rashi, le nom divin qui permettait au Cohen Gadol d’avoir un supplément de « sainteté » et d’inspiration divine dans son service. Or, notre texte nous dit que ce pectoral devait être porté sur le cœur d’Aharon. Et de fait, c’est précisément le cœur généreux d’Aharon, capable de se réjouir pour son frère, et, de manière plus générale, de ressentir avec empathie les émotions de chaque Ben Israël, qui lui a permis d’être élu à cette fonction prestigieuse. « Qu’il soit donné à ce cœur capable de se réjouir pour son frère la grandeur de porter les Ourim et Toumim » (Exode Raba, 5-10, rapporté par R. J. Sacks, Convenat and Conversation).

Avec Moché et Aharon, l’histoire biblique franchit un pas déterminant dans l’analyse de la relation fraternelle. La jalousie a cédé le pas à l’amour bienveillant, et la concurrence stérile à la complémentarité créatrice.

A travers ce récit, la Torah nous donne des enseignements éternels, qui valent non seulement dans le périmètre familial, mais aussi à l’échelle du peuple Juif. Celui qui veut diriger ses frères doit, avant tout, s’illustrer par son empathie et son amour pour ses frères, à l’image de Moché et Aharon. Par ailleurs, ce qui élève un homme au sein d’une société, ce n’est pas sa capacité à faire valoir ses propres intérêts au détriment d’autrui, c’est bien davantage sa faculté à reconnaître le « génie » propre à chaque individu et construire une dynamique créatrice à ses côtés.

Pour y parvenir, il faut sans aucun doute, une très grande « Emouna », « foi » dans la providence divine, pour se hisser au-delà des rivalités d’égo et garder cheviller au corps la conviction que c’est l’Eternel Seul qui préside aux destinées individuelles.