Il disait : « L'abondance de viande entraîne l'abondance de vermine ; l'abondance de biens multiplie les soucis. L'abondance d'épouses entraîne la profusion de sortilèges ; l'abondance de servantes entraîne la profusion d'impudicité ; l'abondance de domestiques entraîne l'abondance de vol ; mais plus la Torah est présente, plus il y a de vie. Plus il y a d'étude (de la Torah), plus il y a de sagesse. Plus on recueille d'avis, plus on accroît l'intelligence. Plus on fait la Tsédaka, plus on accroît la paix… »

QUESTIONS

1. Que signifie ceci : si quelqu'un a beaucoup de chair (viande), il a beaucoup de vermine ?

2. Les vers viendront uniquement après la mort, alors pourquoi l'homme devrait-il s'en soucier lorsqu'il est en vie ?

Hillel nous enseigne qu'un homme qui est Marbé Bassar aura beaucoup de vers (Marbé Rima). Littéralement, le terme Bassar signifie viande, mais il existe deux explications sur le sens exact de Marbé Bassar. La première : celui qui consomme beaucoup de nourriture aura en conséquence un excès de chair, qui sera consommée par les vers après sa mort. Seconde explication : cela se réfère à quelqu'un qui mange beaucoup de viande, et de ce fait, toute la viande qui s'ajoutera à sa masse corporelle finira par être mangée par des vers.

Les commentateurs se demandent : pourquoi le fait que la chair d'une personne soit mangée par des vers après sa mort devrait le déranger ? D'après une approche, son corps sentira la douleur des vers qui le mangent. Mais de nombreuses personnes rejettent cette idée, assurant que le corps d'une personne ne sent rien après la mort. Au lieu de cela, ils expliquent que cela signifie que la Néchama (âme) d'une personne aura encore une relation avec le corps après la mort, et que son âme ressentira la douleur de son corps après avoir été mangée par les vers.

Mais il est possible qu'un homme affirme ne pas se préoccuper vraiment de ce qui se passera après sa mort, car il se focalise sur le fait de profiter de la vie. Irving M. Bunim[1] offre une interprétation intéressante qui nous aide à comprendre la Michna sous un nouveau jour. Il remarque que Hillel emploie le terme hébraïque pour désigner les vers, Rima, pour décrire le sort de celui qui mange beaucoup. Or, ce terme signifie aussi duper. Il explique la relation entre les plaisirs de la nourriture et la duperie.

« Si une personne attache ses espoirs et ses aspirations aux joies de la chair, elle peut s'attendre inévitablement à une grande désillusion. Les plaisirs physiques sont, en majeure partie, évanescents et éphémères. À l'instar d'une cigarette avec ses nuages de fumée, les plaisirs physiques sont vite partis, ne laissant derrière eux aucune valeur permanente. Les joies de la chair sont pourtant si prometteuses ; mais en réalité, elles ne donnent rien au final. Lorsqu'on les attend, elles semblent suffisamment importantes pour durer une vie entière. Mais rétrospectivement, elles semblent à peine réelles. Plus vous êtes plongés dans la "chair", plus la désillusion – Rima – est forte. »

Cette observation véhicule le message de l'écueil de la surconsommation de nourriture. La nourriture ne ressemble pas à de nombreux plaisirs préjudiciables. Il existe un grand nombre de « plaisirs » inutiles dont l'homme n'a pas besoin pour survivre, tels que l'alcool, la cigarette et les jeux de hasard. Or, la nourriture est essentielle pour vivre, et consommer suffisamment de nourriture de manière correcte est vital pour procurer suffisamment de force à l'homme pour sa Avodat Hachem, son service divin. En outre, il n'y a rien d'intrinsèquement mal à apprécier la nourriture que l'on consomme. En effet, Hachem a créé de beaux fruits et légumes au bon goût pour notre plaisir, et nous récitons une bénédiction pour Le remercier de Sa bonté. De plus, outre ses propriétés qui nous donnent des forces, la nourriture peut servir de véhicule pour reconnaître constamment Sa présence dans le monde au fil de la journée.

Or, il est trop facile de perdre de vue le véritable objectif de la nourriture, et de se concentrer sur le plaisir temporel offert par la nourriture. Comme l'explique Irving Bunim, la joie provenant de la nourriture est en soi fugace, et ne laisse pas chez l'homme un sentiment durable de satisfaction réelle. Les seules conséquences à long terme de la surconsommation de nourriture sont une mauvaise santé et une chair excessive.

L'exhortation de Hillel sert de rappel qu'un excès de nourriture n'apporte pas à l'homme un bonheur à long-terme.

 

[1] Ethics from Sinai, volume 1, p. 161. Irving Bunim était un célèbre Américain laïc de la première partie du 20ème siècle, qui est l'une des figures non-rabbiniques ayant contribué à la fondation du judaïsme de Torah en Amérique. Il donnait un cours populaire sur les Pirké Avot, qui fut retranscrit en une série en trois volumes sur Avot.