Au comptoir de sa compagnie aérienne, Sarah s’apprête à embarquer, elle règle les derniers détails et demande une faveur à l’hôtesse qui s’apprête à embarquer ses bagages.

« Je peux vous demander une faveur ? Aujourd’hui, je voyage pour Nice mais ma fille habite à Milan et je dois la rejoindre dans quelques jours. Pourriez-vous me faire embarquer sur le vol pour Nice et envoyer mes valises à Milan ? »

« Comment… ? Mais non madame, c’est totalement impossible ! »

« Ah dommage ! Pourtant la dernière fois, je ne vous avais rien demandé, et j’ai atterri à Nice, alors que mes bagages ont été envoyés à Moscou ! »

Rechercher le bonheur dans la vie quotidienne n’est pas une tâche toujours aisée. Les activités que nous accomplissons, tout comme les vicissitudes de la vie quotidienne sont parfois difficiles à appréhender avec tranquillité.

A cet égard, l’étude de la Paracha de cette semaine nous donne des enseignements précieux. En effet, cette dernière nous décrit le voyage entrepris par notre ancêtre Yaakov Avinou pour se rendre chez son oncle Lavan à ‘Haran. Son voyage avait un double objectif : fuir la haine de son frère Essav, et rechercher une épouse dans la famille de sa mère Rivka.

A son arrivée, notre Patriarche fait la rencontre de Ra’hel, la fille de Lavan, qui lui plait immédiatement. Il comprend alors que sa future épouse se trouve devant lui. Et, de fait, Lavan accepte ce mariage en échange du travail que propose Yaakov d’effectuer à son profit durant 7 années. Yaakov devra ainsi s’occuper toutes ces années des champs et des troupeaux de Lavan. Voici ce que nous dit le texte de la Torah à propos de ces 7 années : « Jacob servit, pour obtenir Ra’hel, 7 années, et elles furent à ses yeux comme quelques jours » (Béréchit 29, 20).

Ce texte énonce en des termes simples une situation difficilement compréhensible. Rappelons, pour commencer, que Yaakov se caractérise par son assiduité dans l’étude de la Torah. Notre tradition le décrit comme « un homme intègre qui réside dans les tentes de l’étude » contrairement à son frère Essav qui est, lui, « un homme des champs » (Béréchit 25, 27).

Nous aurions donc pu légitimement penser que ce travail uniquement matériel des champs soit pour Yaakov une épreuve terrible, et que ces 7 années soient interminables à ses yeux. Or, de manière très surprenante, ce n’est pas le cas : ces 7 années passent pour Yaakov aussi vite que quelques jours !

Cette rapidité avec lequel le temps s’écoule est précisément caractéristique du bonheur. Lorsqu’un homme est heureux, lorsqu’il prend plaisir à ce qu’il fait, le temps passe vite et les tâches qu’il accomplit s’allègent considérablement. Comment Yaakov a-t-il pu être à ce point heureux de s’occuper des terres et des troupeaux de son futur beau-père, lui qui était habitué aux délices de l’étude de la Torah ?

En réalité, Yaakov n’avait en tête que son objectif final : épouser Ra’hel et fonder une famille. Chaque jour où il travaillait pour Lavan était à ses yeux un moyen d’arriver à son objectif. Les travaux des champs n’étaient pas une fin en soi, ils étaient simplement un moyen de parvenir à un résultat beaucoup plus élevé et beaucoup plus noble. Il ne pouvait pas atteindre l’un sans passer par l’autre. Aussi, le désir ardent qu’il avait pour fonder sa famille, à partir de laquelle allait ensuite naître l’ensemble du peuple d’Israël, l’aidait à jeter un œil favorable sur les tâches difficiles qu’il devait accomplir dans l’instant.

Chacun le sait bien, la satisfaction intérieure que nous procure un travail, fut-il difficile et fatigant, permet d’alléger considérablement sa difficulté. Certains évoquent ainsi le cœur léger leurs années d’études où ils n’ont pas compté leurs heures de travail, alors que d’autres se souviennent avec angoisse des jours où ils devaient se rendre au travail sans n’avoir aucune tâche à accomplir.

Aussi, la recherche du bonheur au quotidien impose-t-elle à l’homme d’essayer de trouver du sens à ses activités matérielles. A travers celles-ci, il doit se demander quel est l’objectif spirituel qu’il vise, quelle est la finalité de son travail. Cette réflexion l’amènera ainsi non seulement à réévaluer la valeur de ses actes mais aussi à pouvoir les accomplir de la meilleure manière, de la plus belle des façons. Et, ainsi, trouvera-t-il une dynamique porteuse de vie, de satisfaction et de bonheur.

Essayons d’aller encore plus loin. Maïmonide s’interroge dans ses commentaires (Yéssodé Hatorah 2, 2) sur les moyens d’atteindre l’amour de D.ieu afin de respecter le célèbre commandement « Tu aimeras l’Eternel ton D.ieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tous tes moyens ». Or, comment peut-on ordonner à un homme de ressentir de l’amour ? Cela semble contraire à la spontanéité et l’authenticité requises en matière de sentiment !

Maïmonide explique ainsi qu’il existe deux types d’amour. Le premier consiste à « aimer quelqu’un » car on retire un bénéfice personnel de sa présence, de la relation que l’on crée avec lui. Le second consiste à « aimer » ou « admirer » une personne si fort que l’on désire uniquement se rapprocher d’elle, créer une forme d’intimité avec elle. Nous ne tirons aucun profit réellement tangible de cette relation, mais simplement, nous tissons des fils, parfois immatériels, d’une relation intense qui nous emplit d’amour et nous accompagne toute la vie.

L’amour de D.ieu peut ainsi se construire dans le cœur de l’homme à travers l’admiration des merveilles que D.ieu accomplit dans la création, à travers Ses miracles qui inondent le monde en permanence. Celui qui prend le temps de les contempler verra naître en lui un sentiment puissant de gratitude et d’amour envers le Créateur du monde.

Aussi, comprenons-nous que lorsque Yaakov s’occupait des champs et des troupeaux de Lavan, il ne s’occupait en réalité de rien d’autre que de sa future épouse et de ses futurs enfants. Chaque geste accompli au service de Lavan était un pas de plus franchi en direction de son futur bonheur et de la réalisation de sa mission spirituelle. De ce point de vue, il y avait une forme de continuité entre ses années d’étude de la Torah dans les tentes de Chem et Ever, et le travail des champs qu’il accomplissait à présent. Conscient de cela, Yaakov a pu effectivement vivre les 7 années de travail comme « quelques jours » seulement.

A notre modeste mesure, nous pouvons également essayer de réfléchir aux objectifs spirituels que nous recherchons dans les activités qui meublent notre quotidien. Cet exercice permettra de redonner du sens à des gestes simples que nous avons banalisés, de redonner de la valeur à nos engagements et de nous aider à ressentir davantage de bonheur et d’apaisement dans notre vie.

Aussi la quête du bonheur passe-t-elle par une quête de sens, de spiritualité qui doit éclairer nos vies et nous permettre d’échapper à l’obscurité et à la pesanteur du mécanique, du banal, de la routine.

Un jour, le grand Tsadik Rav Zoushe d’Anapoli recevait un invité à déjeuner au sortir de la synagogue. Honoré par cette marque de considération, l’invité chemine auprès de Rav Zousha tout en se demandant à quoi pouvait ressembler la maison d’un tel Tsadik. Mais, arrivé devant la demeure, l’invité a du mal à masquer sa surprise devant la grande précarité de cette frêle demeure. Il n’avait jamais imaginé cela.

Rav Zousha ne remarque pas la surprise de son invité, le fait rentrer et s’assoir. A nouveau, l’invité est stupéfait de la « simplicité » de la table, des chaises…

Puis vint le moment de manger, et Rav Zousha lui amène une assiette. Et là, l’invité scrute l’assiette si ancienne qui vient de lui être donné avec un total effarement. Ra Zousha remarque le regard insistant de l’invité sur l’assiette et lui dit tout de suite :

« Ecoute, je vois que tu regardes cette assiette depuis quelques instants. Je ne veux pas que tu transgresses l’interdit « Tu n’envieras pas le bien de ton prochain », si vraiment elle te plait, je t’en fais cadeau avec grand plaisir ! »