David, 23 ans, est un étudiant de Yéchiva brillant qui fait l’admiration de tous ses maîtres. Seule ombre au tableau : David n’est pas marié. Tout son entourage désespère de lui trouver une compagne tant il est difficile et aucune fille ne trouve grâce à ses yeux !

Un jour, le Roch Yéchiva le convoque et lui explique qu’il ne peut pas être aussi exigeant et qu’il doit essayer de changer de perspective.

David lui fait part de sa difficulté : « Mais Rabbi, tout le monde me dit que je suis beau, intelligent, sérieux, issu d’une grande famille, promis à un très bel avenir… Il faut que je trouve une épouse à la hauteur pour que notre union fonctionne bien ! »

Le Roch Yéchiva lui fait remarquer « Tu n’as pas mentionné une qualité très importante : la modestie. Travaille sur la modestie, et tu pourras te marier ! »

Quelques mois plus tard, le Rav convoque à nouveau David et lui demande « Alors David, est-ce que tu as avancé dans ta recherche d’une épouse ? »

« Non Rabbi, je suis désolé, c’est pire qu’avant… »

« Mais comment est-ce possible ? »

« Et bien Rabbi, avant j’étais beau, intelligent, sérieux, de bonne famille, promis à un bel avenir et déjà ça ne marchait pas, alors maintenant comment ça peut marcher ?... En plus de toutes ces qualités, je suis devenu modeste ! »

La Paracha de cette semaine est particulièrement solennelle dans la mesure où nous assistons à l’édification du Michkan et son achèvement conformément à la volonté de D.ieu. Les enfants d’Israël accèdent alors à la véritable délivrance et à une des finalités de la Création du monde et de l’humanité : permettre à D.ieu de résider sur terre après Son « retrait » partiel initial. Les nuées viennent alors planer au-dessus du sanctuaire en signe d’approbation du travail effectué par le peuple.

La réalisation du Michkan a ceci de particulier qu’elle a vu émerger de nouvelles personnalités au sein du peuple Juif qui étaient douées d’une sagesse et de compétences particulières pour exécuter des ouvrages artistiques. Il s’agit notamment de Betsalel, de Aholiab et de tous les « Sages de cœur » qui ont apporté leur concours à l’édification du sanctuaire. Outre leurs qualités artistiques, la sagesse de ces artisans se manifestait notamment par leur capacité à comprendre « intuitivement » la volonté de D.ieu et à l’incarner dans leurs travaux artistiques. Il en est ainsi notamment de Betsalel dont le texte nous dit qu’il fit « tout ce que l’Eternel avait ordonné », et Rachi de commenter ce verset de la manière suivante :

« Et Betsalel, fils d’Ouri […] fit tout ce que Hachem ordonna à Moché » : Il n’est pas écrit ici (ch. 38, 22): « … ce que Moché lui ordonna », mais : « … tout ce que Hachem ordonna à Moché ». Cela veut dire que, même pour ce que son maître ne lui a pas dit explicitement, il s’est trouvé d’accord avec ce qui avait été dit à Moché au Sinaï. Car Moché avait ordonné à Betsalel de commencer par la fabrication des ustensiles de culte, et d’entreprendre ensuite celle du tabernacle. Ce à quoi Betsalel avait objecté : « On commence d’habitude par construire la maison, et seulement ensuite, on y met les meubles ! », ajoutant : « Voilà ce que j’ai entendu de la bouche du Saint béni soit-Il ! » Moché lui a alors dit : « On dirait bien que tu t’es trouvé dans l’ombre de Qél (betsél qél) (Brakhot 55a), car il est certain que c’est bien ce que m’a ordonné le Saint béni soit-Il ! » (…).

Ce commentaire de Rachi est particulièrement précieux car il vient nous rappeler, à la fin du livre de Chémot quelques vérités profondes sur les relations humaines que les hommes doivent entretenir entre eux.

Tout d’abord, il nous rappelle l’humilité de Moché Rabbénou. En effet, confronté à une différence d’interprétation de la volonté de D.ieu sur l’ordre à observer pour la construction du Michkan, il se range rapidement à l’avis de Betsalel et revient facilement sur sa première décision. Mieux, la sagesse de son interlocuteur est pour lui une source de joie, et il le félicite en constatant qu’il porte bien son nom car, comme le remarque Moché Rabbénou, pour comprendre aussi bien la volonté de D.ieu, Betsalel doit se trouver à « l’ombre de D.ieu », à Ses côtés.

Evidemment, cette capacité à reconnaître son « erreur », à saluer la sagesse de son prochain et se ranger rapidement à son avis est particulièrement rare dans les relations humaines. Bien souvent, les hommes ont tendance à considérer que donner raison à autrui, ou bien reconnaître ses propres erreurs, est un signe de faiblesse et d’infériorité. L’homme se perçoit bien souvent en compétition avec son prochain et, dans ce contexte, donner raison à autrui revient à « se rabaisser ». Parfois l’homme parvient à consentir qu’il s’est trompé, mais il le fait du bout de lèvres sans s’appesantir sur la sagesse de son prochain.

Pour Moché Rabbénou, la situation est toute autre. Les textes nous enseignent qu’il était le plus humble de tous les hommes, et rapidement dans le livre de Chémot, il énoncera cette phrase restée célèbre, en parlant de lui et d’Aharon, « Et nous, que sommes-nous ? ». Bien qu’il eut atteint le plus haut degré de prophétie accessible à un homme, il restait ouvert à la sagesse d’autrui et était capable de se déjuger pour donner raison à ses interlocuteurs.

Lors la Création du monde, la Torah énonce que D.ieu avait dit « Faisons l’homme à notre image », et Rachi commente précisément ce pluriel « Faisons » en soulignant que D.ieu s’adressait ainsi aux anges pour les consulter avant de prendre Sa décision. Hachem souhaitait ainsi enseigner aux hommes l’importance de la modestie, et de demander conseil à ses proches, furent-ils des subordonnés. Moché Rabbénou avait ainsi parfaitement intégrer cette leçon. Son moteur était ainsi entièrement tourné vers la recherche de la vérité authentique, du « Emet », et cette quête n’était pas altérée par des considérations d’orgueil personnel.

Cette grandeur de Moïse est d’autant plus remarquable qu’il n’est pas évident qu’il se soit trompé. En effet, l’enjeu était de savoir s’il fallait créer d’abord l’arche sainte, puis les objets et enfin le sanctuaire selon l’opinion de Moché, ou bien d’abord le sanctuaire, puis l’arche sainte et enfin les ustensiles selon l’avis de Betsalel. L’ordre prescrit par Moché était celui que D.ieu lui avait indiqué dans la Paracha Térouma, avant la faute du veau d’or. Cela correspondait à une élévation spirituelle très forte dans laquelle ce qui prime, c’est d’abord la Torah, la sainteté, et c’est elle qui justifie ensuite de créer un sanctuaire pour l’abriter. Toutefois, la faute du veau d’or a rappelé les limites de l’humanité et ses difficultés à faire face immédiatement à une sainteté très élevée. L’homme a besoin ainsi d’intermédiaires pour accéder à la sainteté et pouvoir supporter son éclat. Il était nécessaire pour lui de créer d’abord une maison qui abriterait et protégerait l’arche sainte contenant les tables de la Loi.

C’est ainsi que Moché Rabbénou aurait pu être tenté de faire valoir le bien-fondé de sa position, voire sa supériorité, mais il n’en est rien. Il reconnait rapidement la justesse de la position de Betsalel dans la mesure où elle est plus adaptée à la nature humaine. La grandeur de Moché se reconnait notamment dans cette capacité à ne pas exiger du peuple plus que ce qu’il est capable de supporter, à ne pas se placer dans une quête de pureté absolue mais en l’adaptant aux capacités de l’humanité. Moché accepte ainsi d’opérer une distinction entre son exigence personnelle de sainteté, et une exigence plus modérée vis-à-vis d’autrui, en l’occurrence du peuple.

Cette analyse donne peut-être un éclairage nouveau à la lumière dont le visage de Moché Rabbénou était porteur, suite au don de la Torah, et dont le peuple ne pouvait soutenir la vision. Cette lumière absolue était le reflet de l’élévation extraordinaire atteinte par Moché, mais elle lui était propre et elle restait inaccessible au peuple. Pour pouvoir s’adresser à eux, il fallait qu’il « redescende » d’un niveau et mette un voile sur cette lumière, à l’image du voile qu’il devait apposer sur son visage. La qualité de Betsalel, que lui reconnaît d’ailleurs Moché Rabbénou, est précisément d’être à « l’ombre de D.ieu », c’est-à-dire qu’il ne reflète pas la lumière dans tout son éclat, mais il l’adapte, la module, pour la rendre accessible à l’humanité, en tenant compte de ses limites.

Ce va-et-vient entre lumière et obscurité est probablement le lot de l’humanité, qui doit accepter sa finitude et reconnaître qu’elle ne peut supporter une exposition permanente à la sainteté. Puissions-nous avoir le mérite de nous rapprocher toujours davantage de la Présence divine afin de nous habituer à Sa lumière et pouvoir résider durablement à Ses côtés, sans intermédiaire, lors de la venue du Machia'h Bé'ézrat Hachem. Nous pourrons connaître alors la félicité contenue dans cette prophétie d’Isaïe (60. 19), dépassant le jeu de l’ombre et de la lumière : « Ce ne sera plus le soleil qui t'éclairera le jour, ni la lune qui te prêtera le reflet de sa lumière : l'Eternel sera pour toi une lumière permanente, et ton D.ieu une splendeur glorieuse. »

Albert a enfin obtenu un entretien d’embauche dans une entreprise qu’il convoitait tant depuis des années. Le jour J arrive et il décide de mettre toutes les chances de son côté pour ne pas arriver en retard en partant une heure en avance.

Il arrive devant son entreprise 40 minutes avant l’heure du rendez-vous et il ne lui reste plus qu’à trouver une place. C’est alors que les choses se compliquent. Les minutes s’égrènent et aucune place de stationnement en vue. Il ne lui reste plus que vingt minutes et il sent l’angoisse le prendre. Il commence à prier :

« Hachem, s’il Te plait, peux-Tu m’aider à trouver une place et je m’efforcerai de toujours me lever plus tôt pour aller prier ». Aucune place en vue.

Albert renchérit : « Hachem, s’il Te plait, je m’efforcerai de toujours me lever plus tôt pour aller prier, et aussi de ne plus me mettre en colère, de ne plus mentir ». Les minutes passent et toujours pas de place.

Paniqué, Albert redouble d’intensité « Hachem, s’il Te plait, je m’efforcerai aussi d’être encore plus attentif à mon épouse, à son bien-être, à l’éducation de mes enfants… »

Enfin, une place se présente devant lui. Albert se gare, sort de sa voiture et précise : « Hachem, merci, mais finalement c’est bon, j’ai réussi à me débrouiller une place ! »