La Méguilat Ruth nous enseigne principalement l’importance du ’Hessed, d’après nos Sages. À première vue, cela se réfère aux divers actes de bonté racontés dans cette histoire, comme la bienveillance de Ruth qui resta avec sa belle-mère, celle de Boaz envers Ruth. Mais il s’agit en réalité d’une autre sorte de bonté, dont l’origine est bien antérieure.

Les commentateurs expliquent que le meilleur ’Hessed est celui que l’on fait envers quelqu’un qui ne peut plus se montrer reconnaissant, soit un mort. C’est ce que l’on appelle ’Hessed Chel Émet ; celui qui donne ne recevra rien en retour. Parmi les Mitsvot accomplies en faveur d’un défunt, on compte celle du Yiboum ; si un homme meurt sans avoir eu d’enfants, son frère a l’obligation de se marier avec la veuve, bien que cela soit strictement interdit en temps normal. Ceci, pour perpétuer son existence. Le Ramban[1] parle de cette injonction dans son commentaire sur l’incident entre Tamar et Yéhouda, où le concept de Yiboum est évoqué, avant même le don de la Torah. Déjà à l’époque, les Sages savaient que cela était bénéfique au défunt. Il ajoute que cette obligation ne se limite pas au frère ; tout proche peut effectuer le Yiboum.[2]

Analysons deux épisodes, apparemment sans rapport, ayant trait au Yiboum et nous verrons qu’en réalité, ils sont intrinsèquement liés l’un à l’autre, ils se complètent parfaitement pour mener à la Rédemption finale et montrent le ’Hessed Chel Émet ultime envers le défunt.

Le premier épisode ne correspond pas à un cas classique de Yiboum, mais certains commentateurs[3] y voient une forme de Yiboum. Avant la Mitsva de Lekh Lékha (l’ordre que reçut Avraham de quitter sa patrie), la Torah mentionne brièvement la généalogie de ce dernier[4]. Elle nous raconte que Téra’h eut trois fils : Avraham, Na’hor et Haran qui, après avoir donné naissance à Loth, mourut. Immédiatement après, on nous raconte qu’Avraham et Na’hor se marièrent, mais pas avec n’importe qui ; tous deux épousèrent les filles de Haran – Saraï et Milka. La juxtaposition de la mort de Haran et des mariages entre ses frères et ses filles montre qu’ils accomplirent une sorte de Yiboum, afin de perpétuer l’existence de Haran[5]. Ainsi, dès le début du récit de la vie d’Avraham, la Torah fait allusion à l’ultime ’Hessed accompli par celui-ci envers son frère. Et ce bienfait eut une conséquence de taille ; il fut à l’origine de la création du peuple juif ! La noble ascendance masculine de notre nation résulte du mariage entre Avraham et Sarah qui eurent Its’hak, lui-même père de Ya'acov. Et dans la gent féminine, les matriarches naquirent du mariage entre Na’hor et Milka, qui eurent Bétouel, père de Rivka et de Lavan, lui-même, père de Ra’hel et de Léa.

Plusieurs siècles plus tard, l’acte de Yiboum réapparaît dans la Méguilat Ruth. Ruth s’était mariée avec Makhlon, à Moav et après la mort de ce dernier, elle se rendit avec Naomi en Erets Israël. Naomi lui parla de Boaz, le dirigeant spirituel du peuple à l’époque. C’était un parent de Makhlon, et il pouvait donc se marier à sa veuve qui n’avait pas eu d’enfants et ainsi perpétuer le souvenir de Makhlon.

Effectivement, Boaz se maria avec Ruth et donna naissance à Oved qui, selon les Mékoubalim, était une réincarnation de Makhlon. De plus, l’union entre Boaz et Ruth permit la naissance du roi David, ancêtre du Machia’h dont on espère la venue très prochainement. Nous lisons cette histoire chaque année, et on ne peut ignorer la grandeur de Ruth qui s’efforça de perpétuer le souvenir de son défunt mari. Ruth fut prête à affronter de grandes difficultés et à faire tout le nécessaire pour atteindre ce noble but. Cette histoire de Yiboum entre Ruth et Boaz nous ramène à celle d’Avraham qui se maria avec sa nièce, Sarah, témoignant par là une grande bonté. Quelques siècles plus tard, Ruth, descendante de Haran par Loth, se montra bienveillante envers un descendant d’Avraham, elle rendit, en quelque sorte, le service dont son ancêtre bénéficia. Ces deux actes marquèrent le début et l’aboutissement de l’histoire du peuple juif — à commencer par la naissance d’Its’hak Avinou et à terminer par la venue du Machia’h.

 

[1] Ramban, Béréchit 38,8.

[2] Le Ramban décrit ceci comme un « secret », faisant peut-être référence à l’idée de la réincarnation (le fait que l’âme du défunt revient en ce monde dans un autre corps afin de compléter sa mission sur terre).

[3] Héguionot Haguerchoni, Béréchit 11,29-32, du Rav Guerchon Kasman. Voir également le livre du Rav Fohrman sur le livre de Ruth.

[4] Béréchit 11,26-30.

[5] L’une des différences entre ce Yiboum et un cas classique est que Haran avait des enfants, mais ses filles risquaient de ne pas en avoir. Par ailleurs, on dirait qu’Avraham adopta Loth, en un certain sens, ce qui montre également ses efforts pour assurer le bien-être des enfants de son frère.