Le soir de Lag Baomer, toutes les communautés d’Israël seront en fête. Cet événement conclut une période de deuil de trente-trois jours.  Elle se caractérise par son cortège de musique, de chants, et de danses autour des Medourot (les feux de Lag Baomer). Malheureusement, cette année, beaucoup seront privés de ces feux de joie. Mais les flammes de Lag Baomer brûleront malgré tout dans nos cœurs. On associe traditionnellement la fête de Lag Baomer à Rabbi Chimon Bar Yohai, l’illustre Tana,  dont ce serait la Hilloula. Mais est-ce vraiment le cas ? D’où provient cette tradition ? 

Tout commence avec une Guemara (Yebamot 62b). Le Talmud nous raconte la disparition tragique des 24000 élèves de Rabbi Akiva.  Tous sont décédés entre Pessah et Chavouot d’une épidémie de diphtérie, une punition céleste pour le manque d’égard des uns vis-à-vis des autres. Rabbi Yaakov Ben Asher, l’auteur du Tour, écrit que nous avons coutume d’observer des règles de deuil en souvenir de ce drame. Les mariages sont ainsi interdits. Rav Yossef Caro ajoute que certains ont l’usage de ne pas se couper les cheveux. Il apporte un Midrach qui annonce la fin de cette épidémie à l’approche de Chavouot, soit quinze jours avant cette fête. Selon l’auteur du Choul’han ‘Aroukh, on pourra se couper les cheveux le matin du 34ème jour du Omer. Rav Moshé Isserles, le Rema, note, quant à lui, l’habitude des communautés ashkénazes de se couper les cheveux dès le 33ème jour du Omer. Il écrit par ailleurs que l’on multipliera la joie et on ne prononcera pas de supplication le jour de Lag Baomer (le 33e jour du Omer), car cette date marque la fin de l’épidémie (cf. Choul’han Aroukh Ora’h Haïm siman 493). Le jour de Lag Baomer serait donc une commémoration festive de la fin de cette tragédie. Cette explication prend sa source dans l’un des discours de Rabbi Jacob Mœlin, dit le Maharil. Beaucoup de Rabbins s’en étonnent, parmi lesquels Rabbi Ézéchias da Silva (1659–1698), célèbre auteur du Pri Hadash. Il s’interroge sur les raisons d’une telle joie, car l’épidémie se conclut par le décès de l’ensemble des élèves de Rabbi Akiva. Le monde était alors un désert spirituel. Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir. Il explique donc que la joie provient de l’ordination des nouveaux élèves de Rabbi Akiva. En effet, le Talmud raconte que Rabbi Akiva se rendit auprès des sages du Sud et là, il fit cinq nouveaux élèves : Rabbi Meir, Rabbi Yehouda, Rabbi Eleazar Ben Chamoa, Rabbi Chimon Bar Yohai et Rabbi Né’hémia. Ces élèves survécurent et ils assurèrent la transmission de la Tora. Les écrits du Ari hakadosh, Rabbénou Isaac Louria, corrobore cette explication. On trouve dans le Chaar HaKavanot que Rabbi Akiva donna l’ordination à ces cinq élèves le jour de Lag Baomer. C’est pourquoi le 33ème jour du Omer est le jour de la joie de Rabbi Chimon Bar Yohai. Le ‘Hida, Rabbi Haïm Yossef David Azoulay, écrit également que Lag Baomer est le jour de joie de Rabbi Chimon Bar Yohai. Il ajoute que certains pensent que c’est aussi le jour de son décès. Cette dernière note est aujourd’hui largement admise. Lag Baomer est pour la majorité d’entre nous le jour de la Hilloula de Rabbi Chimon Bar Yohai. Il n’y a pourtant aucune preuve qui l’atteste. La tradition veut que la source de cette affirmation soit un passage du Pri Etz Haïm de Rabbi Haïm Vital. Selon une édition de l’ouvrage, Lag Baomer serait le jour où est mort (Yom Chémet) Rabbi Chimon Bar Yohai. Or dans toutes les autres éditions, le mot « mort » (Yom Chémet) est remplacé par le mot joie (Yom Sim’hat). Il s’agirait donc d’une erreur d’impression comme l’affirme rav Yaakov Hillel (cf. Ad HaGal HaZé page 5). 

 

En conclusion, le jour de Lag Baomer est le jour de l’ordination de Rabbi Chimon et non le jour de son départ de ce monde. Néanmoins, la tradition populaire persiste. Et bien qu’il n’y ait pas de preuve formelle, il est désormais admis que la Hilloula de Rabbi Chimon Bar Yohai est le 33ème jour du Omer. Cette affirmation soulève une nouvelle question. Pourquoi nous réjouissons-nous lors de la Hilloula de Rabbi Chimon ? Le Choul’han Aroukh (Ora’h Haïm 580 siman 1-2) cite les jours durant lesquels il convient de jeûner. Il s’agit en grande partie des jours où des justes comme les fils d’Aaron, Moché Rabbénou ou encore le prophète Chmouel ont quitté ce monde. Il en ressort que le jour du départ d’un juste est un moment triste durant lequel l’on doit se recueillir, et pas un moment de joie. En quoi Lag Baomer diffère du sept Adar ? Pourquoi la Hilloula de Rabbi Chimon Bar Yohai se distingue-t-elle de celle de Moché Rabbénou ? Certains expliquent que le jour où l’illustre auteur du Zohar s’apprêta à quitter ce monde, il dévoila des secrets kabbalistiques d’une immense profondeur. Ce moment unique est conté dans la Idra Zouta (le petit assemblage) dans la section Haazinou du Zohar. Ils avancent également que ce jour fut accompagné d’une joie céleste incommensurable. Seulement, les connaisseurs affirment que les secrets consignés dans Idra Raba (le grand assemblage) sont bien plus importants que ceux de la Idra Zouta. De plus, si l’âme des justes est toujours accueillie avec joie dans les sphères célestes, leur départ demeure un moment de profonde tristesse pour les hommes. On est donc en droit de se demander pourquoi la Hilloula de Rabbi Chimon est-elle célébrée de cette façon ici-bas ? Une histoire semble répondre à cette question. Rabbi Haïm Vital raconte dans le Chaar Hakavanot un évènement singulier. Une année, le Ari HaKadosh se rendit sur le tombeau de Rabbi Chimon a Méron. Il était accompagné d’un certain Rav Avraham Levi, lequel prenait très à cœur le deuil du temple de Jérusalem. Il avait l’habitude de prononcer dans chacune des prières des mots de consolation comme le jour de Ticha Beav. Pendant que le Ari haKadosh se réjouissait avec ses proches, l’âme de Rabbi Chimon se dévoila à lui. Elle nota la tristesse de rav Avraham Levi. Celui-ci prononça « Na’hem », à l’instar du jour de Ticha Beav. L’âme de Rabbi Chimon demanda alors au Ari haKadosh : « pourquoi Rav Avraham Levi dit-il « Na’hem » le jour de notre joie ? » Elle en tint rigueur et Rav Avraham Levi perdit un fils dans l’année. Ce récit nous montre que Rabbi Chimon a voulu que sa Hilloula soit un moment de joie. C’est donc le souhait du juste que nous nous réjouissions le jour de Lag Baomer.  

Que ce moment soit marqué par la joie, l’allégresse et la libération totale.