Alors que la plupart des gens que je rencontre à cette période de l'année sont excités par Pessa'h, trop de gens confondent manger du Maror, des herbes amères à Pessa'h, et être des gens amers à propos de Pessa'h. Certains se plaignent de devoir recevoir de la famille chez eux, d'autres sont mécontents à l'idée d'aller chez la famille, et il y a ceux qui se plaignent même de la quantité de travail qu'il faut pour faire leurs valises et aller à l'hôtel pour Pessa'h. À quelle vitesse nous oublions tout…

La Paracha Tsav comprend les directives pour apporter un Korban Toda, une offrande d'action de grâce. Nos Sages énumèrent quatre cas pour lesquels une personne doit apporter ce sacrifice : après avoir voyagé à l'étranger, après avoir parcouru le désert, après être sorti de prison, et après avoir guéri d'une maladie. Rabbénou Bé’hayé ajoute que tous les exemples de joie, aboutissement, succès, sont une raison d'apporter un Korban Toda.

Chaque jour, nous récitons "Mizmor Létoda Hari’ou Lhachem Kol Haarets" "Psaume pour [sacrifice de] reconnaissance. Acclamez l’Éternel, toute la terre !" Comme son nom l'indique, ce chapitre de Téhilim a été chanté par les Léviim en accompagnement d'un Korban Toda. En effet, puisque ce Psaume est associé à un sacrifice, il est devenu notre habitude de le réciter debout.

Pourquoi le Psaume commence-t-il par sa gratitude personnelle, puis continue en disant "Hari’ou LHachem Kol Haarets" "Acclamez l’Éternel, toute la terre" ? Pourquoi tous les habitants de la terre doivent-ils s'unir en signe de gratitude ? Pourquoi le monde entier doit-il exprimer sa gratitude parce qu'il lui est arrivé quelque chose de bien ?

Le Rav ‘Haïm Kanievsky zatsal a répondu à cette question par une histoire : un jour, après avoir prié à Bné Brak, l'un des participants a sorti une nappe d'un sac et l'a posée sur la table. Il a ensuite placé des gâteaux et du whisky sur la table et a invité tout le monde dans la synagogue à partager sa bonne fortune. Apparemment, la veille, il traversait l'autoroute et avait été renversé par une voiture. Il a été projeté en l'air et a atterri sur le côté, mais, à part quelques légères contusions et un costume souillé, il allait bien. Il a donc apporté des gâteaux et du whisky, afin que les participants boivent tous un "Lé’haïm" en l'honneur du miracle qu'il avait vécu.

Le lendemain, après Cha’harit, un autre membre de la synagogue a sorti une petite nappe, l'a placée sur une table, et a commencé à y placer des gâteaux et du whisky. Il a invité tout le monde à partager cela avec lui. "Que vous est-il arrivé ?", ont-ils demandé. "Peut-être avez-vous également été renversé par une voiture ?" "Non", répondit-il. "Rien de cela. C'est juste qu'hier, quand j'ai entendu cet homme raconter comment il avait miraculeusement survécu, j'ai compris que je traversais cette autoroute depuis 20 ans, exactement au même endroit - et que rien n'a changé. Il ne m'est jamais rien arrivé ! N'est-ce pas un miracle ? Je tiens donc à remercier publiquement Hachem pour toute Sa grâce envers moi !"

Rav ‘Haïm explique : "Mizmor Létoda" fait référence à sa délivrance personnelle de "ce qui aurait pu être" ; "Hari’ou LHachem Kol Haarets", voir quelqu'un rendre hommage à Hachem devrait l'inciter à faire une introspection et à se rendre compte de tout ce que lui aussi doit à Hachem. Il est vrai qu'il n'a peut-être pas connu de malheur, mais c'est en soi un miracle ! Nous ne pouvons pas tenir notre bonne fortune pour acquise. Tout est un cadeau d'En-Haut. (Le propre fils de Rav ‘Haïm, Chlomo, a été renversé par une voiture à l'âge de six ans et a tout juste survécu à cet accident. Peut-être que ce miracle a inspiré cette idée.)

Pessa'h porte sur de nombreux thèmes, notamment la liberté, l’indépendance, la responsabilité et la nationalité. Mais, à la base, Pessa'h est une affaire de gratitude.

Dans sa Haggada, l'Abarbanel aborde les questions de "Ma Nichtana" et se concentre sur la question spécifique de savoir pourquoi toutes les autres nuits nous mangeons du ‘Hamets et de la Matsa, et, cette nuit-là, nous ne mangeons que de la Matsa. Il demande : mangeons-nous vraiment à la fois du ‘Hamets et de la Matsa le reste de l'année ? D'après notre expérience, la plupart des gens mangent du 'Hamets 51 semaines par an et tolèrent à peine la Matsa pendant une semaine, mais "'Hamets et Matsa" toute l'année ? L'Abarbanel explique que, pour comprendre les questions de "Ma Nichtana", nous devons comprendre d'où elles viennent. Toutes les questions tournent autour du Korban Pessa'h. Ce Korban, suggère-t-il, est essentiellement un Korban Toda, une offrande d'action de grâce.

Une personne était obligée d'apporter ce Korban Toda si elle traversait la mer ou le désert, était guérie d'une maladie ou libérée de captivité. Dans le récit de Pessa'h, nous avons rempli les quatre critères, nous obligeant collectivement à faire une pause et à exprimer notre profonde gratitude. La viande et les pains qui devaient être amenés dans le cadre du Korban Toda ne peuvent pas être laissés jusqu'au lendemain matin, et il en va de même pour le Korban Pessa'h. Le Toda est classé comme un Korban Chélamim, tout comme le Korban Pessa'h. Le Toda reflète la gratitude de l'individu, et Pessa'h est une gratitude communautaire, l'appréciation d'une nation et d'un peuple qui sont passés "de l'autre côté".

Mais voilà : normalement, comme l'explique la Paracha Tsav, un Korban Toda est apporté avec 40 pains, dont 30 sont de la Matsa et 10 sont du ‘Hamets. C'est la question de l'enfant qui se demande "Ma Nichtana" : Pourquoi, quand nous exprimons normalement de la gratitude, le faisons-nous avec du ‘Hamets et de la Matsa, et pourtant, ce soir, notre rassemblement de gratitude n'a que de la Matsa, pas de ‘Hamets ?

Pour l'Abarbanel, le lien entre Pessa'h, la nuit du Séder, et la gratitude est si évident, si clair, si profond et si enraciné, qu'un jeune enfant est stimulé à se demander pourquoi la gratitude de Pessa'h est différente de notre gratitude normale.

Nous n'avons plus de Beth Hamikdach, nous n'offrons pas de Korban Pessa'h ou de Korban Toda, mais la gratitude reste notre ‘Avoda, l'effort, l'exercice et le but de cette nuit. C'est une nuit de Hodaa, de remerciement, une soirée de Hallel, de louange, une déclaration de "Dayénou", tous introduits avec la reconnaissance que "Chéhé’héyanou Vékiyémanou Véhigui’anou Lazeman Hazé", quel miracle que nous ayons simplement mérité d'être en vie, d'être ici, d'être ensemble pour Pessa'h.

D'innombrables études montrent que la gratitude est bonne pour nous à bien des égards. Des études montrent qu'elle renforce notre système immunitaire, nous aide à mieux dormir, réduit le stress et la dépression, et améliore les relations. Ce qu'elles montrent également, c'est que, pour obtenir ces avantages, il faut faire plus que se sentir reconnaissant, il faut l'exprimer et le montrer. Le mot "action de grâces" signifie rendre grâce, une action, pas seulement une pensée ou un sentiment.

En plus du Hallel récité durant le Séder, beaucoup ont l'habitude de réciter le Hallel à la fin d’'Arvit à la synagogue. Pourquoi réciter le Hallel deux fois en une nuit ? Le Imré ‘Haïm, Rav ‘Haïm Méïr Hager de Vizjnitz, dit que le Hallel que nous récitons à la synagogue est là pour le Hallel que nous réciterons à la table du Séder. À la fin de la journée, nous sommes submergés de gratitude, de joie et d'appréciation d'avoir une maison où aller, une table de Séder qui nous attend, une famille avec qui passer la soirée, et que nous puissions célébrer notre liberté, et, donc, nous récitons le Hallel sur le fait que nous avons de quoi réciter le Hallel.

Cela semble évident, mais une enquête a montré que seulement 52 % des femmes et 44 % des hommes expriment régulièrement leur gratitude. Si vous ressentez et démontrez de la gratitude, cela est en soi une raison d'être reconnaissant. Nous avons une idée similaire dans la ‘Amida. Nous disons "Modim Ana’hnou Lakh" "nous Te sommes très reconnaissants Hachem" "Al Chéana’hnou Modim Lakh" "pour le fait que nous puissions T'être reconnaissants".

Il y a quelques années à peine, nous passions un difficile et mémorable Pessa’h pandémique, en étant divisés, distanciés et désorientés. Comme l'homme qui a réalisé le miracle de simplement réussir à traverser l'autoroute, nous qui avons vécu cette époque ne devons plus jamais considérer Pessa'h avec la famille, les amis et les festivités comme allant de soi.

Alors, ouvrons les yeux, et remercions.

Rabbi Ephrem Goldberg