Nous avons évoqué dans le premier article sur David et Batchéva les aspects halakhiques justifiant les actions du roi David, mais il est nécessaire de comprendre cet incident à un niveau bien plus profond.

Premier point : il est clair que David n’a pas succombé à un désir physique ordinaire, car il se trouvait à un niveau tellement élevé au point d’affirmer que le Yétser Hara’ (mauvais penchant) n’avait plus d’emprise sur lui. David a plutôt considéré son union avec Batchéva comme une part essentielle du processus de la venue au monde du Machia’h. En effet, la Guémara[1] déclare que David était destiné à épousé Batchéva depuis les 6 jours de Béréchit, mais il y a une erreur infime dans la manière dont David l’a épousée. Le Béer Chéva se demande pourquoi la Guémara a employé ce langage selon lequel David était destiné à épouser Batchéva « depuis les six jours de la Création », une expression très inhabituelle pour un mariage. La phrase plus standard est qu’un couple est destiné à se marier quarante jours avant leur naissance. Le ‘Hida, en s’appuyant sur le Arizal, répond que David était un Guilgoul (réincarnation) d’Adam Harichon, et Batchéva, un Guilgoul de ‘Hava et leur union devait être un parachèvement du premier mariage, et au final, une rectification des erreurs d’Adam qui ont empêché la Fin des Temps immédiate qui aurait dû advenir si Adam n’avait pas fauté. En conséquence, la Guémara entend bien que David et Batchéva étaient réellement destinés à se marier depuis les six premiers jours de la Création dans leur incarnation originelle d’Adam et de ‘Hava.[2]

S’appuyant sur ces données, David réalisa, par son Roua’h Hakodech (esprit prophétique) que le mariage avec Batchéva produirait les futurs rois, et au final, le Machia’h, et pour cette raison, il avait un grand désir de s’unir avec elle pour entamer le processus conduisant à la Guéoula Chéléma (la Délivrance ultime). Le Ari zal et Reb Tsadok Hacohen vont plus loin et expliquent que le garçon conçu comme résultat de leur union initiale portait l’âme du Machia’h, mais il mourut car cela n’avait pas été fait de manière idéale. [3] Rav Tsadok ajoute que si ce bébé était né, il aurait alors construit le Beth Hamikdach qui n’aurait jamais pu être détruit.

La question demeure néanmoins : pourquoi David s’est-il, semble-t-il, hâté de s’unir à Batchéva, en dépit de l’apparence d’adultère que cette union revêtait et la mort subséquente d’Ouria ? Sachant qu’il était destiné à épouser Batchéva, pourquoi n’a-t-il pas simplement attendu la mort d’Ouria pour pouvoir l’épouser sans éveiller de soupçon ?

Le Michbétsot Zahav [4] suggère une approche fascinante pour expliquer ce sujet. Il commence par évoquer l’idée bien connue qu’un nombre important de récits où des ancêtres de David et de la lignée du Machia’h interviennent, impliquent des événements a priori suspects qui semblent, au premier abord, contenir des fautes, mais sont en réalité des lignes de conduite permises.[5] Les sources kabbalistiques expliquent que le bien-fondé de cette manière de procéder était de cacher au Yétser Hara’ la venue du messie, qui tenterait d’entraver leur réalisation. Cette méthode a fonctionné, car le Yétser Hara’ ne pouvait envisager que ce genre d’incidents puissent faire venir le Machia’h.[6]

En se reposant sur cette idée, le Michbétsot Zahav suggère que David savait que son union avec Batchéva était nécessaire à la lignée conduisant au Messie et il estima que tout comme les autres événements majeurs conduisant au Machia’h ont engendré des ‘Avérot (fautes) qui étaient en réalité permises, il était également nécessaire que son union avec Batchéva apparaisse sous une forme interdite, alors qu’en réalité, elle était totalement permise. D’après Rav Tsadok Hacohen[7], David a senti que c’était le cas lorsqu’il a aperçu Batchéva et ressenti une profonde attirance pour elle, bien qu’il fût à un niveau spirituel bien au-delà du désir humain ordinaire.

En conséquence, il pensa que cette profonde attirance était le signe qu’il était correct de consommer la relation à ce stade, sans attendre le cours naturel des événements. La Guémara affirme que sa faute a consisté à aller trop vite[8]. De la même manière, le Arizal affirme qu’Adam était censé manger le fruit de la Connaissance du Bien et du Mal, mais qu’il aurait dû attendre jusqu’à Chabbath. David aurait rectifié cette faute s’il avait attendu, mais il commit également la même faute subtile de hâter la venue de la Guéoula.

Il va de soi que les récits du Tanakh sont d’une profondeur infinie, et nous n’avons abordé qu’un seul angle pour comprendre l’incident de David et Batchéva à un niveau plus profond, mais cela prouve que ce qui apparaît superficiellement comme une faute avérée et l’exemple de traits de caractère grossiers, est bien plus subtil et profond. Ceci peut constituer un rappel pour toutes nos études du Tanakh : éviter le piège d’observer avec un regard superficiel les actions des remarquables personnages du Tanakh.



[1] Sanhédrin, 107a.

[2] Voir Michbétsot Zahav, Chmouel II, p.239 pour les sources citées dans le paragraphe ci-dessus.

[3] Voir Michbétsot Zahav, Chmouel II, p.240.

[4] Michbétsot Zahav, Chmouel II, p.241.

[5] C’est par exemple l’incident avec Yéhouda et Tamar, et Boaz et Ruth - évoqué longuement dans le texte : David, la lignée du Machia’h.

[6] Cette raison est de toute évidence difficile à comprendre au sens simple.

[7] Takanat Hachavim, p.42b, Dh: Vetéda.

[8] Sanhédrin 107a.