Voici une prodigieuse histoire sur le ‘Hafets ‘Haïm qui met en lumière mieux que toute explication le sens du verset : « Tu réprimanderas ton prochain et tu n’assumeras pas de faute à cause de lui ».

Le ‘Hafets ‘Haïm se rendait régulièrement de village en village pour vendre ses livres, et il se trouva un jour dans une auberge à Vilna. Il y rencontra un Juif rustre et grossier dont la conduite - c’est le moins qu’on puisse dire - ne faisait pas honneur au peuple juif. Il prit place grossièrement à côté de la table et ordonna à la serveuse de lui servir immédiatement une tranche de canard grillé et un verre d’alcool fort.

Dès que le plat et la boisson furent posés devant lui, il s’empara du morceau de canard avec avidité, et avala la boisson d’un trait, et tout ceci, bien sûr, sans prononcer de bénédiction ni avant de manger ni après. Son attitude vis-à-vis de la serveuse était blessante et inappropriée.

Le ‘Hafets ‘Haïm se tenait dans un autre coin de la salle à manger, stupéfait d’assister à cette scène humiliante, et voulut tenter d’aborder ce Juif malpropre, pour lui faire une remarque sur sa conduite brutale et humiliante.

Le propriétaire de l’auberge, qui connaissait ses invités, aborda immédiatement le ‘Hafets Haim et lui glissa quelques mots à l’oreille, pour l’empêcher de réprimander ce Juif. Il veillait en effet à l’honneur du ‘Hafets ‘Haïm, car l’homme en question était un ancien soldat du Tsar Nicolas, qui en toute probabilité allait injurier et maudire le ‘Hafets ‘Haïm s’il intervenait, ou même, que D.ieu préserve, lever la main sur lui.

Le propriétaire s’adressa ainsi au ‘Hafets ‘Haïm : « De grâce, Rabbi, laissez-le, vous n’avez pas d’interlocuteur en face de vous, rien d’étonnant à ce qu’il soit tellement grossier, à l’âge de sept ans, il a été kidnappé avec d’autres enfants et envoyé dans les camps en Sibérie, où il a grandi entouré des villageois locaux jusqu’à 18 ans. Puis, il a servi le Tsar Nicolas pendant vingt-cinq ans, sa conduite n’a donc rien de surprenant, il n’a pas eu de Rabbanim qui lui ont enseigné une meilleure conduite. Cela fait près de quarante ans qu’il n’a pas goûté à la Torah et au judaïsme, il n’a rien étudié toutes ces années, la plupart du temps, il n’a même pas vu de visage juif. Je suggère au Rav de ne pas tenter de l’aborder, l’honneur du Rav est trop précieux pour être méprisé à ce point ! »

Sur le visage rayonnant du ‘Hafets ‘Haïm se dessina un sourire serein, il répondit calmement à son interlocuteur : « Sois sans crainte, je sais comment m’adresser à lui, et, avec l’aide de D.ieu, tout se passera bien ! ».

Le ‘Hafets ‘Haïm s’approcha de l’homme, lui tendit la main, et le salua sur un ton amical : « Chalom Alékhèm ». Le ‘Hafets ‘Haïm n’attendit pas sa réaction, et continua à s’adresser à son cœur avec délicatesse et sérénité : « J’ai entendu de très bonnes choses sur toi, lorsque tu étais enfant, tu as été kidnappé avec d’autres enfants, tu as été exilé dans la lointaine Sibérie, tu as grandi parmi les non-Juifs, tu n’as pas eu le privilège d’étudier une seule lettre de notre sainte Torah, tu as vraiment traversé l’enfer dans ce monde-ci ! J’ai aussi appris que, plus d’une fois, on a tenté de faire du prosélytisme avec toi, on t’a forcé à manger de la viande de porc, et autres viandes interdites, et, malgré toutes ces épreuves, tu es resté Juif, tu ne t’es pas converti ! Bonheur à toi, réjouis-toi de ta part ! J’aurais été heureux d’avoir tes mérites, pour avoir droit au monde futur tout comme toi ! Ta place dans le monde futur sera entre les Tsadikim et les géants spirituels, car un tel sacrifice de soi est-il si évident pour toi ? Endurer de telles épreuves pour le judaïsme et l’honneur du Ciel pendant de si longues années ?! Ton épreuve est plus grande que celle de ‘Hanania, Mishael et Azaria ».

Des larmes perlèrent aux yeux de l’ancien soldat du Tsar Nicolas, les propos sérieux du ‘Hafets ‘Haïm, prononcés avec une telle chaleur et tant de cordialité, et provenant d’une source pure, réussirent à pénétrer dans son cœur de pierre, et firent revivre l’âme malheureuse et brisée de l’homme.

Lorsqu’il apprit qui était son interlocuteur, il éclata en sanglots et se mit immédiatement à embrasser le ‘Hafets ‘Haïm qui poursuivit : « Toi qui as réussi à te faire une place parmi les hommes saints qui sanctifient le Nom Divin, engage-toi à vivre désormais comme un Juif Cachère, et tu seras l’homme le plus heureux au monde ! ».

A partir de ce moment-là, ce Juif ne quitta pas le ‘Hafets ‘Haïm, il se lia à lui de toute son âme, fit une Téchouva complète, et devint un grand Tsaddik.