Rabbi Zoucha d’Anipoli, alias Reb Zoucha, avait l’habitude de dire : « Dans le monde futur, on ne me demandera pas pourquoi je n’ai été Moché Rabbénou, mais pourquoi je n’ai pas été Reb Zoucha. Une phrase pleine de sens, n’est-ce pas ? Nous vivons une époque très spéciale. Les images sont, autour de nous, de plus en plus nombreuses et de plus en plus sophistiquées. Elles façonnent, et parfois déforment, notre perception de la réalité. Nous devenons nous-même les producteurs frénétiques d’images censées nous représenter.  Nous prétendons utiliser les machines à images pour conserver des traces, cultiver une mémoire. Pourtant, en pratique, elles nous permettent d’abord souvent de trafiquer la réalité à notre avantage dans l’espoir de quelques signes d’approbation. Elles documentent une auto-fiction, une mise en scène de soi, avec souvent un désir d'apparaître comme on aimerait. On parle d’une image déformée de soi-même. 

Rabbi Tsadok HaCohen de Lublin écrit dans Tsidkat haTsadik (1, 54) : « De la même façon qu'il faut croire en Hachem, il faut croire en soi-même. » À savoir, que Hachem s’intéresse vraiment à nous et attend que nous révélions notre réel potentiel. Il semble qu’il existe de nos jours une peur d’être soi-même. On préfère utiliser des filtres plutôt que d’assumer sa beauté naturelle. Le judaïsme voit les choses autrement, mais pour comprendre cela il faut saisir pourquoi Hachem a créé l’homme.  Rabbi Moché Haim Luzzatto explique dans plusieurs de ses ouvrages, notamment son Daat Outevounot qu’Hachem est bonté. Le propre du bien est de prodiguer de la bonté.  Hachem a créé pour cela un monde qui bénéficiera de sa mansuétude. Il a tout particulièrement créé un être capable de jouir pleinement de cette bonté : l’homme. Mais ce bien se doit d’être parfait. Il doit pour cela se mériter. Car la charité est un pain de honte, et celui qui la reçoit n’ose pas regarder son bienfaiteur en face. Hachem a donc créé un monde imparfait et donné à l’homme le libre arbitre. La mission de l’homme est d’utiliser ce don unique afin de se parfaire. Il sanctifie ainsi le Nom de son Créateur et mérite sa bonté.  Hachem a créé l’homme imparfait afin de lui offrir le mérite de se parfaire. Il n’y a donc aucune honte à être manquant. Chaque « manque » est un défi à relever pour se rapprocher d' Hachem. Car la Dvekout, l’attachement à Hachem, est la véritable perfection. 

Tout le monde connaît la prière de Hanna, la mère du prophète Chmouel. Elle a supplié Hachem de lui donner un fils. Elle a bizarrement demandé que ce dernier soit moyen (Cf Berakhot 21b). Hachem a exaucé sa prière en lui donnant Chmouel. Il correspondait en tout point à sa requête comme elle le déclara elle-même (Chmouel I, 1, 27) : « C’est pour obtenir cet enfant que j’avais prié ; et l’Éternel m’a accordé ce que je lui avais demandé. »  Chmouel était donc un enfant moyen, et pourtant… Il est écrit dans les psaumes (99,6) : « Moïse et Aaron étaient parmi ses prêtres, Chmouel parmi ceux qui invoquaient son nom. » Rabbi Yo’hanane enseigne : « Chmouel pèse comme Moché et Aharon. » Les commentaires s’étonnent. N’est-il pas écrit (Deut. 24,10) : « Il n’a plus paru, en Israël, un prophète tel que Moché, avec qui Hachem avait communiqué face à face. » Chmouel débute sa vie à une époque où la prophétie a presque disparu comme il est écrit (Chmouel I, 3, 1) : « A cette époque, la parole de l’Éternel était rare, la vision prophétique peu répandue. » Les textes du Tanakh et du Midrach décrivent également une époque où « en ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël, et chacun agissait à sa guise. » Que faisait Chmouel ?  Tous les ans il faisait un voyage, parcourant Béthel, Ghilgal, Mitspa, et rendait la justice à Israël dans toutes ces villes ; puis il revenait à Rama, car là était sa maison, et c’est là qu’il gouvernait Israël. Il y éleva aussi un autel à la gloire d’Hachem. Chmouel parcourait les routes d’Israël pour le bien de son peuple. Il réussit ainsi à unifier les tribus d’Israël et à les rapprocher de leur Créateur. Il est considéré comme l’égal de Moché et Aharon dans sa sanctification du Nom Divin. Chmouel est passé du stade d’enfant moyen à celui de grand d’Israël. Comment y est-il arrivé ? Il a accepté sa condition et relevé courageusement les défis que lui a envoyés Hachem. C’est en s’acceptant que l’on peut devenir la meilleure version de soi-même.  Rabbi 'Haïm de Volozhin enseigne : « Un juif ne doit jamais dire dans son cœur : « Quelle est ma valeur ? Que valent mes actions ? ». À la place, il doit comprendre, savoir et intérioriser que chacune de ses actions, mots et pensées, à chaque instant, sont pleins de valeur. Il est écrit (Deut 14, 1) : « Vous êtes des enfants pour Hachem votre D.ieu. » Rabbi Aharon Kotler (Michnat Aharon) commente : « ceci n'est pas une allégorie ou une hyperbole, mais une déclaration véridique dans tous les sens du terme. » En tant que Ses enfants, Hachem a de grands projets pour nous. Le rav Kotler de dire : « Hachem a donné à chacun d'entre nous une âme précieuse, et Il nous l’a envoyé ici-bas pour une importante mission. C'est comme si un roi nous tendait Sa couronne pour la garder. On devrait être submergé par l'amour et la confiance qu'a Hachem en nous. » 

Nous conclurons avec les paroles de Maimonide (Lois du repentir 5, 1-3) : « Le libre arbitre est laissé à tout un chacun : s’il désire s’orienter vers le chemin du bien et être un juste, il en a la possibilité. Et s’il désire emprunter le mauvais chemin et être un méchant, il en a la possibilité. C’est ce qui est écrit dans la Torah : « Voici l’homme devenu comme l’un de nous, en ce qu’il connaît le bien et le mal ». Cela signifie que la gent humaine est unique dans l’univers, et aucune autre espèce ne lui ressemble en ce qu’il connaît de lui-même, dans son esprit et sa pensée, le bien et le mal, et fait ce qu’il désire, et personne ne l’empêche de faire le bien ou le mal. Puisqu’il en est ainsi, [l’Écriture continue] : « peut-être pourrait-il étendre sa main, etc. » 

Ne laisse cette idée soutenue par les sots des nations du monde, et la majorité des immaturés parmi les juifs te monter à l’esprit, [cette idée] selon laquelle le Saint Béni soit-Il décrète depuis la création de l’homme s’il sera juste ou méchant. Il n’en n’est pas ainsi : tout un chacun peut être juste, comme Moché notre maître, ou méchant comme Jéroboam, sage ou sot, compatissant ou cruel, avare ou généreux, et ainsi de suite pour les autres traits de caractère. Personne ne le force, n’émet de décret, ni ne le tire dans un des deux chemins. C’est l’homme qui, de sa propre initiative, emprunte le chemin qu’il désire. C’est ce que dit [le prophète] Jérémie : « De la bouche du Seigneur n’émane ni le mal, ni le bien », c'est-à-dire que le Créateur ne décrète pas si un homme sera bon ou mauvais. Ceci étant, le pécheur cause donc sa propre perte. Il lui sied donc de pleurer et de se lamenter sur ses fautes, et le mal qu’il a causé à son âme. C’est le sens du verset suivant : « Pourquoi donc se plaindrait l’homme sa vie durant, l’homme chargé de péché ». Il [le prophète] dit ensuite que puisque nous avons le libre arbitre, et que nous avons fait de nous-mêmes tout ce mal, il nous convient de nous repentir et d’abandonner ce mal, car nous en avons la possibilité. C’est le [sens du] verset suivant : « Examinons nos voies, scrutons-les, et retournons à l’Éternel ». Ceci est un principe fondamental, le pilier de la Torah et des commandements…