Qu’il fût ou non votre serveur, à un certain moment pendant votre déjeuner au Butcher Block, Mark s’arrêtait certainement à votre table pour dire bonjour, partager une histoire ou juste pour vérifier que vous n’aviez besoin de rien. Mark avec un « k », annonçait-il à toute personne à qui il se présentait. Il était amical, chaleureux, aimait discuter et partager des histoires de sa ville natale de New York.

Lorsque nous avons célébré Pessa’h, la plupart d’entre nous entourés par notre famille affectueuse, Mark est décédé subitement, tout seul et sans explication. J’ai découvert plusieurs jours plus tard qu’il se trouvait encore à la morgue, non réclamé et sans aucun plan pour des funérailles. Sa famille n’avait pas de fonds ; ils expliquèrent qu’ils ne pouvaient venir en Floride et ils projetaient de le faire incinérer.

Lorsque je l’appris, j’en fus profondément ébranlé. Outre le fait qu’il méritait un véritable enterrement juif, conforme à la Halakha, comment un homme pouvait-il vivre près de sept décennies sur terre et simplement disparaître sans laisser de trace - un mémorial, une tombe ? Tout le monde mérite plus que cela ; Mark méritait encore mieux.

Je contactai le formidable directeur du nouveau cimetière juif du Sud de la Floride qui accepta de fournir une tombe gratuitement. Mais entre l’entreprise funéraire et les employés du cimetière, il fallait encore réunir 4000 dollars pour l’enterrement. Sans exagérer, cinq minutes après avoir posté l’histoire sur les média sociaux, je retirai la demande, sachant que tout l’argent avait été récolté. Avec un appel téléphonique et un post, nous avons pu programmer l’enterrement de Mark pour le lendemain matin.

Je postai l’heure et le lieu de l’enterrement et demandai aux hommes de venir pour former un Miniyan, redoutant de ne pas réunir dix hommes. Nos hommes de la ‘Hévra Kadicha s’occupèrent de la Tahara (toilette mortuaire), et Mark fut placé dans un simple cercueil en bois conforme à la loi et aux pratiques juives. Une fois l’heure des funérailles arrivée, ce n’est pas un, mais de multiples Miniyanim de Juifs venus pour aider leur frère, effectuant ainsi un acte de bonté qu’il ne pourrait jamais leur rendre.

En prenant la parole, j’observai le cercueil, puis la foule venue et je me demandai à voix haute : pourquoi Mark, dont j’avais même ignoré le nom de famille à sa mort, et dont le nom hébraïque ne m’était pas encore clair, avait-il eu droit à un enterrement juif intégralement Cacher, selon les meilleures normes ? Par quel mérite cet homme, qui n’était pas un membre formel de notre communauté, avait-il bénéficié d’une cérémonie d’adieu solennelle et émouvante ?

Je citai la Guémara dans Kétoubot (103b) qui nous dit assez étrangement : « Panav Klapé Ha’am Siman Yafé Lo, Klapé Hakotel, Siman Ra Lo. » Lorsqu’un homme décède, nous pouvons apprendre métaphoriquement de la direction où il est tourné. Si son visage était tourné vers le peuple, c’est un bon signe pour lui, mais si son visage était tourné vers le mur, c’est un mauvais signe. Que signifie cette Guémara ?

Dans la vie, les hommes se trouvent soit face soit au mur, soit face aux autres. Soit ils se préoccupent des autres et diffusent de la gentillesse et de la bonté, ils aspirent à communiquer avec les autres ou à proposer leur aide. Soit ils font face au mur, ils vivent des vies centrées sur eux-mêmes, à l’écart des autres, isolés et préoccupés uniquement par eux-mêmes.

Mark a certainement quitté ce monde en faisant face aux hommes. C’était un homme sociable. Il tirait de l’énergie d’interagir avec autrui et prenait grand plaisir à faciliter la vie d’autrui. Je suggérai que c’est peut-être par le mérite de sa présence pour autrui qu’il a mérité la présence d’une foule venue lui rendre hommage.

Je n’ai malheureusement pas vraiment connu Mark et j’ai parlé assez peu, mais j’ai ensuite invité l’assistance à s’exprimer en partageant un souvenir, une anecdote ou une réflexion. Après quelques instants de silence, une collègue de Mark se leva. Elle relata qu’à chaque fois qu’un objet se cassait au restaurant, Mark prenait sa boîte d’outils et le réparait. Sans fanfare, ni bonus, parfois sans même que personne ne le sache. Sa plus grande récompense était la satisfaction de savoir qu’il avait aidé, qu’il avait fait une différence. Elle relata ensuite qu’à l’heure de fermeture du restaurant, Mark l’aidait souvent à emballer les restes de nourriture et les livrait aux personnes démunies.

Quelques jours plus tard, un ami présent à l’enterrement me fit remarquer que la collègue de Mark avait, sans le faire exprès, répondu à la question que j’avais posée. Le verset (Michlé 10:2) dit : « Tsédaka Tatsil Mimavet - la charité sauve de la mort. » En emballant et en livrant des repas aux démunis et en aidant instinctivement sans même qu’on le lui demande, Mark avait échappé à l’incinération, au fait d’être éliminé de manière permanente de ce monde. Il avait un lieu de repos pour l’éternité, une tombe ornée avec un hommage à sa vie et un témoignage de la différence qu’il avait créée.

Mikéamé’ha Israël, quel peuple remarquable, ce peuple juif : nous appartenons à un peuple et une communauté extraordinaire. Nous connaissions Mark uniquement comme le serveur d’un restaurant Cacher, à peine une connaissance pour la plupart d’entre nous, mais au moment où il a eu le plus besoin de nous, notre communauté a été présente pour lui comme une famille.

La vie est imprévisible, et nous ignorons quand viendra le moment de quitter ce monde. On ne peut emporter avec nous aucun bien, seul l’impact et la différence que nous avons créée dans la vie d’autrui. Vivez chaque jour en faisant face aux hommes, et non uniquement au mur, et de cette manière, vous pourrez également laisser votre marque dans ce monde-ci.

Rabbi Efraim Goldberg