A peine avons-nous profité d'une accalmie du corona, qu’à nouveau en Israël, les opposants au repos du Chabbath se font entendre. Le virus et son confinement avaient calmé les esprits, puisque de toutes façons chacun restait chez soi. Mais voilà que revenus à une certaine normalité, certains considèrent comme une priorité absolue de profaner ouvertement le Chabbath, en prévoyant des transports publics gratuits pour tous ceux qui le désirent. Des contestations se font entendre, car le débat est en fait beaucoup plus large que celui de la simple fixation du jour du repos hebdomadaire en Israël : il s’agit de l'identité juive même du pays qui est en jeu.

En effet, se côtoient en Israël deux catégories de Juifs dont les conceptions sont totalement opposées : ceux pour qui la Tradition transmise de génération en génération depuis Moché Rabbénou devrait donner le ton à l'Etat hébreu, et ceux qui aspirent à un pays laïque dans lequel les habitants n’auraient que des devoirs civiques et qui n’afficherait aucune connotation religieuse. Ce débat concerne aussi bien la population que le monde politique israélien puisque chaque parti a son positionnement face à ce problème d’identité. 

Dernièrement dans l'émission de Torah-Box “'Haïm sans filtre” portant sur le bien-fondé ou non des transports publics le jour du Chabbath en Israël, on interrogeait différents intervenants et il nous a paru important d’apporter un peu de lumière sur ce thème et d’expliquer clairement la position des défenseurs du Chabbath dans le domaine public en Israël.

Tout d’abord, précisons qu’il n’a jamais été question en Israël d’imposer la loi juive comme institution d’état. Nous n’avons ni Temple ni Sanhédrin pour juger, pénaliser et condamner selon la Torah. La position du public religieux et de ses dirigeants n’est pas non plus de chercher à forcer la population laïque a une pratique du judaïsme, et toute comparaison avec l’Iran et son gouvernement radical islamiste est complètement erronée. L’approche juive a toujours été de réveiller les consciences par la raison et par le Chalom.

Nous allons maintenant développer point par point ce qui nous aidera à comprendre les arguments des défenseurs du Chabbath dans le domaine public :

  • Le retour des Juifs en Israël, terre de leurs ancêtres, a été justifié auprès des Nations en s’appuyant sur les textes bibliques dans lesquels il ne fait pas le moindre doute que cette terre appartient au peuple hébreu. Or dans ces mêmes textes, il est aussi mentionné l’obligation pour tout juif de respecter le Chabbath. Il est donc cohérent que dans un pays juif, nous conservions des marques et des références juives qui apparaissent dans les structures et le fonctionnement internes de l’Etat.
  • David Ben-Gourion, premier chef d’Etat israélien et lui-même totalement laïque, avait compris la nécessité de trouver un compromis avec le public religieux pour éviter des tensions internes dans le pays. C’est pourquoi en accord avec plusieurs grands Rabbanim de l’époque, il avait institué un statu-quo prévoyant entre autres que le Chabbath et les fêtes juives soient chômées en Israël et que les mariages, divorces, enterrements et conversions passent par le Rabbinat. Il avait aussi cette conscience aiguë qu’il était nécessaire de garder une connotation juive traditionnelle au pays pour encourager la ‘Alya des Séfaradim (juifs orientaux) - dont il avait très besoin pour peupler ce jeune pays. Remettre aujourd’hui en question ce statu-quo reviendrait à enfreindre le pacte par lequel s’est effectué le retour des Juifs en Israël.
  • Lorsque certains maires de ville décident de permettre les transports publics le Chabbath, il cherchent en fait à créer une brèche qui permettra plus tard l’ouverture des magasins, centres commerciaux, restaurants, cafés, bureaux, banques, etc. Demain, le Chabbath se trouvera confiné à des quartiers religieux ou à Bné-Brak. De plus, certains Juifs respectant aujourd’hui Chabbath seront tentés de le profaner pour des raisons évidentes. 
  • Plus que cela, pour beaucoup de Juifs qui ont souffert en Galout du fait qu’il leur était difficile de respecter les Mitsvot correctement et qui ont aspiré à vivre pleinement et librement leur judaïsme en venant en Israël, il serait absurde que ces problèmes ressurgissent en Israël.
  • On doit aussi se demander à qui profite cette volonté de profaner ouvertement le Chabbath car n’oublions pas que chaque citoyen est libre de prendre sa voiture et de faire ce que bon lui semble ce jour-là. Or un des plus virulents ‘’combattants’’ au respect du Chabbath dans le domaine public s’avère être Avigdor Lieberman qui veut plaire et attirer vers son parti politique un électorat potentiel russe et ukrainien non-juif qui compte des centaines de milliers de citoyens. Ceux-ci ont profité de la loi du retour - dont les normes sont très larges - pour venir s’installer en Israël où ils aspirent à vivre dans un pays Goy régi par des lois étrangères à l'esprit du judaïsme.
  • Ajoutons que les défis que connaît ce pays depuis sa création, avec l’insécurité qui ne trouve pas de répit, provoque chez de très nombreux habitants, surtout chez les jeunes, des questions de fond sur le bien-fondé de leur présence en Israël, faute d’identité juive. Dans le sein même de l’armée se lèvent des objecteurs de conscience qui ne comprennent plus le sens des guerres auxquelles ils sont confrontés. 

Toutes ces raisons soulignent l’importance primordiale de conserver le statu-quo établi, qui confère un cachet juif à l’Etat d’Israël.

Nous allons maintenant rapporter les réactions et les initiatives prises en faveur du respect du Chabbath :

  1. Tout d’abord, les Rabbanim ont demandé de renforcer chez soi le Chabbath par un respect plus minutieux de ses lois, en devançant l’entrée de Chabbath de quelques minutes et en créant une bonne atmosphère de ce jour saint dans nos demeures. Le principe suivant s’applique d’ailleurs à tout domaine spirituel : si chez nos voisins à Tel-Aviv, nous assistons à une recrudescence de la profanation du Chabbath, c’est forcément qu’à Bné-Brak (ou ailleurs), le Chabbath n’est pas assez bien respecté.
  2. Le Rav Zamir Cohen a demandé à toutes les familles respectant le Chabbath d’inviter des personnes qui ne le gardent pas afin de leur faire connaître la beauté de ce grand jour.
  3. Beaucoup de chanteurs, footballeurs et autres stars israéliennes ont fait savoir au grand public qu’ils s’abstenaient dorénavant de se produire le Chabbath. Certains ont même ajouté que leur décision ne leur a pas causé le moindre préjudice financier.

N'oublions pas que Mister Corona a dans son sillage ébranlé beaucoup les consciences. Rappelons à ce propos la position d’Aviv Guefen, pour ne citer que lui, le chouchou de la bohême israélienne, chanteur-compositeur de talent, qui a rompu publiquement avec la haine contre les orthodoxes, a réclamé le respect de ce public et appelé au Chalom entre les diverses tendances qui peuplent ce petit pays. Les ennemis extérieurs nous suffisent largement pour ne pas y ajouter nos propres frères.

En conclusion, attention donc aux raccourcis faciles et à l’amalgame que certains essaient de provoquer, à savoir mettre dans la case de l'intégrisme religieux - façon islamistes fanatiques - le souci légitime de voir ce pays conserver ses valeurs juives.

« Alvay Chélo Nikhav Véich Véa’hiv Yééhav » - « Espérons que l’on n’aura plus à souffrir et que chaque être parvienne à aimer son frère » (chanson populaire israélienne).