Et si en route pour votre supermarché habituel, caddie en main, fraîche et pimpante, vous butiez soudain sur une étrange pierre où serait inscrit dans une langue ancienne :

 ”- 5 kg de pommes de terre

  - 1 kg d’oignons

  - 2 kg de farine

  - 2 litres d’huile d’olive pression à froid

  - Etc...”

Quel choc ! Vous tiendriez entre les mains la liste de courses la plus vieille et la plus précieuse au monde ! 

Vin à gogo…

Plusieurs textes historiques authentifiés, datant de l’époque du règne de Darius 1er - pratiquement contemporain des événements de la Méguilat Esther - témoignent de livraisons de denrées alimentaires destinées à la table du roi et à celles de certaines princesses perses. Parmi ces produits se trouvent des céréales, du bétail (bœufs et moutons), des volailles, du miel, des produits laitiers et bien sûr, d’énormes quantités de vin qui était livrées au palais royal. Le texte est en élamite, gravé sur des tablettes, et la liste est impressionnante : 

“12.350 litres de vin fournis par Karaka (vraisemblablement nom de l’échanson) ont été livrés devant le roi… 5.350 litres de vin ont été livrés devant le roi… 6.900 litres de vin ont été livrés devant le roi”. Chaque fois à différentes dates. Nous savons que les Perses étaient, parmi les peuples de l’Antiquité, ceux qui avaient le penchant le plus immodéré pour l’alcool.

Toutes ces données sont répertoriées dans “Les boissons alcoolisées et la noblesse perse ”, texte fascinant qui nous éclaire sur les us et coutumes d’une civilisation pour le moins titubante. Doit-on conclure que le déclin de la Perse, écrasée par les Grecs avec Alexandre à leur tête, proviendrait d’un excès sur la bouteille ? Possible, car la mort de Darius 1er sonne le glas de cet empire féérique, alors que des guerres intestines et fratricides vont définitivement le déchirer. De façon générale, la décadence morale a toujours été la petite lumière rouge clignotante qui marque le crépuscule d’une civilisation. 

Vous avez dit bizarre…

Véhachtiya Kadat, Ein Onès, “Et la boisson selon la loi, est sans obligation” (!!!) (Esther 1, 8).

Qui ne connaît pas ce verset de la Méguilat Esther ? 

Sa tournure est pour le moins surprenante. Faut-il émettre une loi spéciale précisant qu’il est interdit d’obliger un homme à boire du vin ?! Bizarre…

Le Midrach nous éclaire et rapporte que, lors du festin organisé par le roi A’hachvéroch, alors qu’il voulait réjouir tout son royaume, composé, on s’en souvient, de 127 États, il aurait annulé une coutume ancienne, enracinée dans le protocole royal depuis des lustres. Cette tradition aurait été si bien ancrée dans les us de l’empire, que le roi dut l’abolir comme s’il s'était agi d'une loi.

De quoi s’agissait-il ?

Pour augmenter encore l’atmosphère de débordement et de légèreté chez les courtisans qui participaient aux festins dans la Perse ancienne, on faisait apporter au début du banquet une gigantesque coupe en or, pleine de vin fort. L’échanson (sommelier) était tenu de choisir des notables parmi les invités et il les obligeait à boire de cette coupe jusqu'à la dernière goutte. Le but était d’enivrer ceux qui avaient été choisis jusqu'à la perte totale de leurs sens et de leur tête, et la foule faisait d’eux ensuite comme bon leur semblait. Le malheureux qui avait été choisi pour ce jeu de débauche ne pouvait refuser de s’y prêter.

Voici le langage du Midrach, qui rapporte ce cérémonial pathétique et dégénéré : 

“Ainsi était la coutume de Perse : ils avaient une très grande coupe qui s’appelle Patka et ils en abreuvaient le malheureux ; même s’il agonisait, même s’il en perdait la raison : il devait boire. Les notables de Perse, à ce moment, pour ne pas être choisis à ce jeu corrompu, donnaient quelques dinars d’or au sommelier pour qu’il ne les désigne pas pour boire à cette coupe. A’hachvéroch, lors de son règne, abolit cette coutume et cessa d’utiliser ces récipients à des fins décadentes. Chacun pouvait dorénavant boire comme il l’entendait. Et c’est là l’explication du verset : ’Et la boisson selon la loi, est sans obligation’, c'est-à-dire selon la nouvelle loi qui défend d’obliger de boire.”

Dans les fouilles archéologiques qui ont eu lieu sur les sites des palais achéménides (la Perse de l’époque), on a trouvé en effet des coupes à vin en or de grande dimension, sculptées de formes étranges, qui ont surpris les archéologues : mais qui donc boit du vin dans des verres de cette taille ? Et s’il y a des originaux qui aiment le XXL, pourquoi donc ces récipients sont-ils en or ? 

Il semble bien que ce soient ces coupes qui furent utilisées lors de ces festins/orgies  des rois de Perse.

Aristophane, le Grec, qui vécut peu de temps après la période de la domination perse, décrit les banquets perses en ces mots : “Ils obligeaient leurs invités à boire du vin doux et vif dans des ustensiles en or.”

Les données se recoupent. 

Le vin : “handle with care”…

Le vin est un breuvage “chargé” et son histoire remonte à la nuit des temps. Certains commentateurs pensent que la vigne était le fruit défendu du Jardin d’Eden. C’est la première boisson alcoolisée citée dans nos Sources, le fruit qui fermente, se transforme, pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Noa’h en fit les frais. Les filles de Loth, en enivrant leur père, commirent par lui la faute par excellence. Mais, d’un autre coté, c’est sur lui qu’on sanctifiera le Chabbath et les fêtes juives ; les 4 coupes de notre liberté commémorant la sortie d’esclavage seront remplies de vin, nous affranchissant à jamais des servitudes d’un despote humain pour servir Le Créateur. Comme toutes les substances porteuses d’un potentiel énorme, le vin peut tout aussi bien nous attirer vers les abîmes de la déchéance - pour les libations idolâtres et l’affranchissement de toute morale - que nous élever au rang de créature élue entre toutes, plus parfaite que les anges car dotée du libre arbitre. 

 

Il est intéressant de voir à quel point nos Sages nous mettent en garde et entourent le vin de nombreuses barrières protectrices, alors que d’autres boissons fortes, pas moins enivrantes, ne demandent pas autant de précautions. Ambivalent, il n’est pas un alcool comme les autres. Se reflètent dans ses nuances couleur rubis des gouffres et des sommets. Si le judaïsme est la religion de l’équilibre par excellence, c’est à travers sa relation aux éléments les plus “explosifs” qu’on le voit. Contrairement à l'ascétisme et aux envolées mystiques sans parachute, la religion juive à aucun moment ne fait abstraction de la nature humaine, au contraire elle la prend en compte et la canalise à la perfection. Et ce, dans tous les domaines où l'homme est faillible. 

La Torah sait quand donner au vin sa place, l’élever au rang de boisson couronnée et aussi, une fois par an, le permettre “presque” sans modération. 

Le vin bu à Pourim, aux antipodes de celui du festin perse, est pour le Juif un vecteur de sainteté. 

Pourim Saméa’h Lékhol ‘Am Israël !