La Torah nous apprend que D.ieu créa l’Homme dans le but de lui prodiguer Son bien (Zohar). « Ce que l'Éternel, ton D.ieu, te demande uniquement, c'est de révérer l'Éternel, ton D.ieu… pour devenir heureux. » (Deutéronome 10, 12-13) C’est dans ce sens que le Ramban (Na’hmanide) explique ce verset. En effet, l’Eternel n’avait nullement « besoin » de nous créer. Son but, dans la création de l’humanité, fut uniquement de lui procurer du bien.

Quel est donc ce bien primordial, raison de l’intention originelle ?

C’est celui dont le roi David se délectait lorsqu’il déclarait « Pour moi, la proximité de D.ieu fait mon bonheur » (Psaumes 73, 28) ou encore « Sentez et voyez que l’Eternel est bon : heureux l’homme qui s’abrite en Lui ! » (Ibid. 34, 9). On ne saurait mettre des mots exactes sur ce sentiment de bonheur parfait qu’un être humain peut ressentir une fois à proximité de son Créateur, mais les Sages nous ont révélé que ce bien-être est « la vraie délectation et le grand plaisir, supérieur à tous les plaisirs existants (La voie des Justes, premier chapitre).

Au sein de ce fascinant projet se cache pourtant un paradoxe délicat. 

Le Ram’hal nous dit, dans le même chapitre de son œuvre, quelque chose d’a priori antinomique avec le but initial. Il écrit « Or, D.ieu a placé l’homme dans un monde où les désirs matériels l’éloignent de Lui ; si l’homme se laisse attirer par eux, il se détournera progressivement du véritable bien. Il se retrouvera alors dans une guerre terrible, car tous les événements du monde, bons ou mauvais, sont des épreuves pour l’homme ».

Dans la Bible, cela va encore plus loin lorsque le texte nous dit : « s'il s'élève au milieu de toi un prophète ou un visionnaire, t'offrant pour caution un signe ou un miracle ; quand bien même s'accomplirait le signe ou le miracle qu'il t'a annoncé, en disant : "Suivons des dieux étrangers (que tu ne connais pas) et adorons-les", tu n'écouteras pas les paroles de ce prophète ou de ce visionnaire ! Car l'Éternel, votre D.ieu, vous met à l'épreuve » (Deteronome 13, 2-4). Le Ramban explique sur place qu’il était octroyé à ces faux prophètes certains « pouvoirs », de façon occasionnelle, dans le but de créer l’erreur…

Pourquoi D.ieu, souhaitant offrir sa proximité à l’homme, le projette dans un monde qui l’éloigne de Lui, allant jusqu’à accorder certaines facultés au Mal ? Pourquoi créer cet écueil ?

N’est-ce pas contradictoire ?

L’éloignement comme source de proximité 

Que se passerait-il si nous essayions de prendre une rivière à contre-courant ? Ou de soulever une charge plus lourde que d’habitude à la salle de sport ?

Eh bien, nous nous fatiguerions plus vite en un sens, mais nous développerions également de nouvelles forces, des forces que seul l’effort aura permis de faire apparaître. Sans l’adversité qui nous pousse au bout de nos capacités, nous n’irions jamais au-delà de nos limites et nous resterions toujours dans notre pré carré. L’adversité conduit la personne à un retour vers soi, à une évaluation de ses capacités et de la difficulté qui lui fait face. Ensuite, la personne tire du plus profond d’elle-même les élans encore immatériels qui vont se concrétiser dans son être afin de sublimer l’épreuve mise en face d’elle. 

C’est le sens de l’enseignement du Maharal de Prague qui disait « Toute la vie consiste à passer du potentiel au réel ».

Mais ce n’est pas tout, car une fois l’épreuve passée, les aptitudes développées pour la braver restent inscrites dans la personnalité de l’homme à tout jamais. 

Ainsi, lorsque le Ramban se demande comment est-il possible de faire face à un faux prophète à qui il a été donné des pouvoirs dans le but de troubler la foi des juifs, il dit que nous avons été témoins de la révélation de D.ieu lors du don de la Torah au pied du mont Sinaï. Cette révélation, qui revêt un caractère historique, est vécue par l’ensemble d’un peuple témoin. Partant de là, dit-il, le doute n’a plus lieu d’être, car les défenses nécessaires ont été attribuées pour braver ce genre d’épreuves... 

Mais si nous essayons de nous mettre à la place de ceux qui verraient des événements si surprenants opérés sous leur yeux par des faux prophètes, nous comprendrons vite que le souvenir de la révélation au mont Sinaï n’est pas si facile à brandir face à ce genre d’épreuves. Pourtant, c’est bien la solution apportée par la Torah. 

Alors, comment la mention du don de la Torah peut-elle être assez forte pour nous aider à braver toutes les épreuves liées à la foi ? 

Précisément par le mécanisme de l’adversité et de l’épreuve. Une fois que la vision troublante du « pouvoir » du faux prophète opère devant le juif, il va puiser en lui les réponses à ce déséquilibre qu’il est en train de vivre. Quels sont les fondements de ma foi ? Sont-ils certains ? Reprenons les choses à la base…

Ainsi, la personne ravive en elle le souvenir des fondements de sa foi, ce qui la fait croire en ce qu’elle croit et ainsi passer au-delà de l’épreuve mise sur sa route. Grâce à ce processus d’épreuves et de dépassement de soi, la personne acquiert de nouvelles perceptions, elle revit de façon sensible ses connaissances et les fait pénétrer dans son vécu. Par-là, elle raffermit son lien avec D.ieu.

C’est cette même idée que le Rav Its’hak Hutner, l’auteur du Pa’had Its’hak, expliqua à l’un de ses élèves dans une lettre qui lui était adressée personnellement. Il écrit « Le plus sage de tous les hommes dit « sept fois, l’homme pieux tombe et se relève » (Proverbes 24, 16). Les simples d’esprit pensent que l’intention du roi Salomon est de dire que, malgré le fait que le Juste tombe plusieurs fois, il se relève tout de même. Mais les gens plus intelligents savent que ce n’est pas le sens profond de l’enseignement. En réalité, la raison pour laquelle le Juste se lève tant de fois (et augmente son niveau) c’est précisément parce qu’il est tombé plusieurs fois ». (Pa’had Its’hak, lettre n°128) 

L’adversité joue également un autre rôle dans la proximité au divin qu’elle fait acquérir à l’homme : elle le contraint à prier.

Lorsque l’homme se trouve seul face à l’incertitude de l’épreuve, il cherche appui dans une dimension plus grande que la sienne, une source dans laquelle il pourra puiser son courage et son énergie, mais aussi un soutien pour ne pas chanceler… C’est là qu’il implore D.ieu de le soutenir et de lui venir en aide, et ainsi le lien est à nouveau raffermi.

Le Rav Yé’hezkel Levinstein disait à ce propos que c’est une erreur de croire que la prière est le résultat de l’épreuve, car c’est plutôt l’inverse : l’épreuve est causée par un manque spirituel qui va se combler par la prière… (Or Yé’hezkel, Emouna)