En 1952 se produisit une rencontre au sommet qui allait marquer de son empreinte le jeune Etat d’Israël. Le Premier ministre de l’époque, David Ben Gourion souhaita rencontrer Rabbi Yécha’ia Karélits, le ‘Hazon Ich. Le ‘Hazon Ich était sans conteste la figure rabbinique la plus marquante de son époque, le dirigeant spirituel qui sut mener les combats les plus décisifs pour la préservation de l’identité juive dans un contexte laïque peu favorable à la pratique religieuse.

David Ben Gourion qui avait proclamé l’indépendance de l’Etat d’Israël en 1948, juste après la fin du mandat britannique sur la Palestine, dut faire face à la fureur des puissances arabes qui ne pouvaient tolérer l’idée d’une indépendance juive. Il fallut ensuite intégrer les diverses populations juives qui affluèrent du monde entier pour tenter de les fondre dans un creuset culturel sans véritable assise religieuse.  

En effet, l’Etat d’Israël adopta une constitution qui n’était pas fondée sur la Torah, manquant par là une occasion historique de rétablir une souveraineté juive authentique. En effet, ainsi que l’avait expliqué le ‘Hafets Haïm lorsqu’il avait réagi à la déclaration Balfour en 1917, où le gouvernement britannique déclarait être favorable à l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, il s’agissait d’un sourire de la Providence et de la possibilité d’organiser un retour à Sion en conformité avec les lois de la Torah.

Quatre ans après la création de l’Etat d’Israël, David Ben Gourion se rendant compte de l’impasse culturelle et cultuelle à laquelle risquait d’aboutir la société israélienne fraîchement constituée, souhaita rencontrer le leader du monde juif orthodoxe, Rabbi Yecha’ia Karélits surnommé le ‘Hazon Ich, en référence au titre de son œuvre majeure.

Le cinquième Président de l’Etat d’Israël, Its’hak Navon, était à l’époque le secrétaire du  Premier ministre David Ben Gourion et  assista à la rencontre entre ces deux personnages historiques. Nous nous appuierons largement sur son témoignage pour décrire cette rencontre. Le ‘Hazon Ich habitait dans un appartement modeste à Bné Brak, et recevait quotidiennement des centaines voire des milliers de visiteurs.

Le ‘Hazon Ich reçut aimablement le Premier ministre et son secrétaire. David Ben Gourion et le ‘Hazon Ich s’assirent l’un en face de l’autre et se dévisagèrent mutuellement. Ben Gourion entama le dialogue entre eux et interrogea le ‘Hazon Ich : « Je voudrais savoir comment nous pourrons vivre ensemble, religieux et non religieux, sachant que nous avons des visions de la vie  très différentes, sans arriver à une implosion ? 

Le ‘Hazon Ich répondit : « Il y a une halakha dans le Talmud, selon laquelle, si deux chameaux se croisent dans un sentier trop étroit pour qu’ils puissent y passer de front, que l’un soit chargé et que l’autre ne soit pas chargé, celui qui n’est pas chargé devra céder le passage  à celui qui est chargé. Nous, les juifs religieux sommes comparables à ce chameau chargé ; en effet, nous avons sur nous la charge des mitsvot ; c’est à vous qu’il incombe de nous céder le passage. » Ben Gourion répliqua : « Vous croyez que ce chameau (il se tapa sur l’épaule) n’est pas chargé ? Le repeuplement d’erets Israël, l’absorption des populations juives du monde entier ne représentent-ils pas une charge, ne constituent-ils pas des mitsvot ? Le ‘Hazon Ich répondit : « C’est parce que nous étudions la Torah que vous pouvez réaliser tout cela »

Ben Gourion posa la question suivante : « Ceux qui gardent les frontières et qui vous protègent ne réalisent-ils pas une mitsva ? » Le ‘Hazon Ich répondit : « C’est par le mérite de notre étude de la Torah qu’ils peuvent garder les frontières et vous protéger de vos ennemis ». Le ‘Hazon Ich exprima ensuite son désarroi face à la profanation du Chabbath qu’il constatait de visu en Erets Israël, qui s’exprimait notamment par le fait d’aller à la plage le jour du Chabbath au lieu d’étudier la Torah. Ben Gourion rétorqua : « Je ne vais pas à la plage le Chabbath, mais si des ouvriers qui ont travaillé toute la semaine, veulent se baigner le Chabbath, n’en ont-ils pas le droit ? Pensez-vous vraiment que s’ils ne vont pas à la plage, ils iront à la synagogue ? » Ce à quoi le ‘Hazon Ich répliqua : « Je suis persuadé qu’un jour viendra ou tous les habitants d’Erets Israël respecteront le Chabbath et prieront à la synagogue.

-S’ils le désirent, je ne les en empêcherai pas. Mais je suis contre la coercition religieuse tout comme la coercition anti-religieuse, affirma Ben Gourion ».

L’entretien prit fin sur ces paroles. Lorsqu’il regagna sa voiture, le Premier ministre déclara à son secrétaire qu’il n’avait jamais rencontré un homme d’une telle dimension et doté d’une intelligence aussi exceptionnelle.

 Les paroles prophétiques du ‘Hazon Ich se réalisent sous nos yeux. Il ne se passe pas un jour en Israël sans que ne fasse techouva un nombre important de Juifs. Le ‘Hazon Ich était un bâtisseur qui a su construire patiemment et avec amour un monde de Torah et de lumière… Il fait partie de ces visionnaires qui ont su guider le peuple juif vers sa destinée spirituelle. Puisse son exemple et ses enseignements de Torah nous guider vers la réalisation d’un monde conforme à la volonté de Son Créateur.