Le plus grand péché qu’un Juif puisse commettre serait de profaner le nom de D.ieu. Le Talmud tranche à ce propos et Maïmonide le consigne dans son recueil de lois : ni le repentir, ni le jour du Grand Pardon n’effacent complètement cette faute ; seule la mort est à même d’en venir à bout. (Traité Yoma p. 86, Rambam, lois sur la Téchouva, chap. 1, alinéa 4)

Quel peut bien être le crime qui vaut une sentence si radicale ? Le Talmud donne plusieurs exemples à partir desquels nous verrons qu’ils peuvent concerner chacun d’entre nous, y compris, peut-être même surtout, les érudits en Torah.

Une profanation du niveau de chacun

La Guémara (ibid.) demande : « À quoi ressemble la profanation du nom de D.ieu ? » 

Rav, un Sage réputé du Talmud intervient et dit : « Ce serait mon cas si je prenais un morceau de viande de la boucherie sans le payer immédiatement ». Et Rachi d’expliquer que « le boucher me prendrait alors pour un voleur et apprendrait de mon comportement qu’il est possible d’en faire autant. » Nous avons là une première indication. Il ne s’agit pas nécessairement d’un crime odieux, ni d’un braquage de banque mais d’une simple action bénigne perpétrée par un Sage de notoriété publique dont l’effet serait d'entraîner les gens à un délit.

La Guémara apporte ensuite un autre enseignement. Il s’agit cette fois de quelqu’un qui n’est pas forcément reconnu comme rabbin mais comme un simple étudiant en Torah dont « les transactions commerciales ne seraient pas en bonne et due forme et qui ne s’entretiendrait pas avec les gens de façon posée ». Puis la Guémara de mettre le doigt sur le problème. Les gens diraient de lui : « Malheur à lui qui a étudié la Torah, malheur à son père ainsi qu’à son maître qui lui ont enseigné la Torah, voyez comme ses actes sont déplorables ! »

Cette fois-ci, il ne s’agit plus d’induire les gens en erreur (quoique !) mais de déprécier la Torah elle-même, comme si le comportement des étudiants en Torah en était le représentant.

N’avons-nous jamais été témoins de la grossièreté d’un homme en chapeau et veste longue - immédiatement assimilé de par sa tenue à un Rabbin - ou de sa colère envers un innocent ? Il faut ouvrir les yeux et se rendre à l’évidence ! Les infractions au code de la route en Israël, par exemple, ne sont pas systématiquement commises par les personnes non religieuses. Il y a parmi eux des hommes à la longue barbe blanche… Ces érudits en Torah manquant cruellement de savoir-vivre dont parlait le Talmud se seraient-ils évanouis dans la nature avec les années ?

Essayons de comprendre qui sont ces gens et comment n'ont-ils pas été bonifiés par ces longues années d’étude de la Torah. 

Une Torah de vie que les hommes souillent

Si nous souhaitons approfondir un peu plus la problématique, nous devons dans un premier temps nous poser la question suivante : pourquoi la Torah que cet homme a étudiée ne l'a pas prémuni contre le comportement qu’on lui reproche ? La Torah ne rendrait-elle pas ce genre de comportement impossible ? Et si c’est effectivement le cas, pourquoi ne souhaite-t-elle pas que cela se sache ?

En réalité, la Torah le clame haut et fort : elle peut s’étudier de la mauvaise façon et se faire très mal représenter.

Ainsi déclare-t-elle : « Tout érudit en Torah qui n’aurait pas de savoir-vivre est pire qu’une charogne. » (Midrach Yalkout Dévarim)

Nous déduirons de cet enseignement trois choses importantes :

  1. Un homme peut étudier beaucoup de Torah sans acquérir de savoir-vivre ;
  2. Il est tout de même appelé « érudit en Torah » (avis aux défauts de produits !) ;
  3. Toute la Torah qu’il a beau avoir étudiée n’a absolument aucune valeur aux yeux de la Torah elle-même.

Dans un autre enseignement, le Talmud déclare que si un homme n’est pas méritant, la Torah peut se transformer pour lui en « élixir de mort » (traité Kidouchin p. 30), la profanation divine qu’il causerait pourrait en justifier la cause… 

C’est pour cela qu’elle met en garde l’étudiant de se choisir un maître en Torah selon ses traits de caractère avant même de considérer l’étendue de sa sagesse. « Si un maître ressemble à un ange de D.ieu, va apprendre la Torah chez lui sinon n’y va pas. » (Traité Haguiga p.15)

Alors, comment ces érudits en Torah n’ont-ils pas déduit les règles du savoir-vivre de la Torah qui pourtant dit que « tous ses chemins ne sont qu’agréabilité et ses sentiers paisibles » ? (Traité Soucca, p. 32)

La réponse est qu’ils l’ont étudiée pour les mauvaises raisons. Le Talmud appelle cela le « Limoud Chélo Lichma » (traité Brakhot, p. 17, Pessa’him, p. 50), par exemple, une étude orientée pour la gloire personnelle. Cependant, là aussi, il y a plusieurs niveaux de déficience dans ce genre d’étude. Il y a ceux à propos desquels le Talmud dira qu’il eût mieux valu qu’ils n’étudient jamais, d’autres formes d’études à but intéressé que le Talmud tolère (certaines fois même encourage) dans l’espoir que l’homme se ressaisisse et étudie dans le but de connaître son Créateur et de s’en approcher : l’étude « Lichma ».

Nous voyons bien que tout est une question d’intention : pourquoi étudier ? Serait-ce pour s’attirer la gloire et les honneurs, avoir autorité sur les hommes, jouir de la sagesse de la Torah etc. ? Il est clair qu’une étude comme celle-là ne pourra pas transformer totalement le caractère d’un tel homme et le rendre tel « un ange de D.ieu ». Au mieux, il aura des notions sur la façon de se comporter ; au pire, il profanera le nom de D.ieu et en subira les conséquences. Le changement n’est pas automatique.

Le Méssilat Yécharim rédigé par le célèbre Ram’hal explique dans son introduction l’urgente nécessité pour un étudiant en Torah de concentrer une bonne partie de son étude à l’éthique juive pour « façonner les intentions du cœur afin qu’elles deviennent pures et intègres » dans le cadre de l’étude de la Torah.

Maintenant que nous savons que ni la barbe, ni les connaissances  ne sont définitivement représentatives de la Torah, nous pouvons comprendre les raisons d’une telle sévérité à l’égard des ceux qui sont censés représenter la Torah et en font mauvaise publicité, car l’un des plus grand soucis de la Torah est bien l’amour d’autrui et la bonté. Comme Rava avait l’habitude de dire, « l’aboutissement de la Torah est le repentir et la bonté. » (Traité Bérakhot, p.17)

Pour en avoir le cœur net, il suffit juste de constater combien la Bible s'est étendue sur le mode de vie ainsi que les traits de caractère de nos patriarches alors qu’elle se montrait avare en mots sur les lois, pourtant cruciales, de la vie juive : c’est dire la préséance ! Et l’ironie dans tout cela, c’est que la Michna déclare que sans une réelle connaissance en Torah, il ne peut réellement y avoir de véritable savoir-vivre chez un homme (Maxime des Pères 3:17). Il s’agit donc plus qu’une question d’effigie : en donnant une mauvaise image de la Torah, on la trahit foncièrement.

Tout Juif est un représentant de D.ieu aux yeux des nations, un rôle assigné au pied du mont Sinaï : « Vous serez pour Moi une cour de pontifes, un peuple saint » (Exode 19:6) et tout étudiant en Torah est un représentant de la Torah au sein du peuple juif. 

Dans cette obscurité troublante, faisant passer les pires pour les meilleurs, une lueur d’une pureté cristalline émerge, celle de constater la véritable grandeur de nos maîtres, les grands des générations, guides spirituels du peuple d’Israël, qui ont été des exemples de piété, de bonté et de sagesse tout au long de leur vie et ont su nous dépeindre le vrai comportement qui se façonne grâce à l’étude de la Torah lorsque l’intention des cœurs est pure.