Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.

Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !


Un an plus tard…

Dans quelques minutes, j’ai rendez-vous avec ma cérie pour que nous fêtions ensemble une date très spéciale pour nous deux : celle de notre premier anniversaire de mariage !

Pour l’occasion, j’ai acheté un bouquet de roses rouges, car je sais que ce sont ses préférées. En plus de ça, hier, j’ai été chez un ami bijoutier, parce que ces derniers mois, j’ai réussi à économiser assez pour lui offrir quelque chose de jolie.

J’espère que ce bracelet tout simple, mais qui a son charme, lui plaira.

En touchant la boite ronde dans ma poche, je me fais une promesse que, lorsque nous aurons un peu plus de sous, j’y ferai graver nos prénoms.

Non pas que je me plains de notre situation financière, qui est radicalement opposée à ce que j’ai pu connaitre par le passé, mais il est vrai que nos fins de mois sont parfois un peu justes. Entre mon travail d’enseignant à mi-temps et le sien, nous avons à peine de quoi payer le loyer et les courses, mais qu’importe… nous sommes tellement heureux, que tout le reste nous paraît très secondaire.

C’est pour cette raison que, tous les jours, je n’oublie pas de remercier Hakadoch Baroukh Hou de m’avoir fait le plus grand des cadeaux en mettant Perla sur mon chemin, et surtout, qu’elle a bien voulu devenir ma femme. C’est du pur bonheur de vivre au quotidien avec une personne comme elle.

Déjà, elle n’est jamais de mauvaise humeur, c’est d’ailleurs moi qui ai tendance à râler. Avec trois fois rien dans le frigo, elle arrive à me préparer des super bons plats, et équilibrés en plus ! Elle n’est pas dépensière, et, pourtant, je ne sais pas comment elle se débrouille pour toujours réussir à me surprendre chaque fois que je la regarde, tellement elle a de la classe !

Rien qu’en repensant à la conversation que nous avons eu hier soir, en parlant de nos élèves respectifs, j’en ai encore le sourire aux lèvres. En me faisant lire une copie, elle me demandait si les réponses avec plein d’humour comptaient double ou simple. Je lui avais répondu qu’en leur mettant des points, elle encourageait le côté créatif des élèves.

Je traverse la rue pour aller dans le parc dans lequel nous avons rendez-vous, et voilà que je tombe sur un ami américain que je connais de la Yéchiva. Tout de suite, il entame la conversation :

– Hi ! Shimon comment vas-tu ? Eh ! Tu vas où comme ça, t’es tout beau !

– Salut, Jérémy ! Thanks you. En fait, je suis sur le point de rejoindre ma femme.

– So nice ! Tu la remercieras encore d’avoir gentiment gardé notre fille pendant que Lielle emmenait notre fils chez le pédiatre.

– Oui, elle m’a dit. Au final, Baroukh Hachem, ce n’était qu’un méchant rhume, c’est ça !

– Rien de sérieux, à part la fièvre qui ne voulait pas descendre. En tout cas, je vous souhaite très bientôt de connaître le même bonheur que nous, car, avec des enfants dans la vie, il n’y a rien de plus beau au monde ! Bon je file. See you soon.

– Ça marche.

Et voilà ! Encore une journée de plus où on me fait cette allusion à peine voilée ! Il est certain que si Perla et moi avions demandé cinq Shekalim symboliques chaque fois que quelqu’un se mettait à aborder le sujet des enfants, je crois que ce n’est pas un bracelet que j’aurais pu lui offrir, mais tous les bijoux de la boutique !

C’est comme l’autre fois, nous étions en train de faire nos courses à la Makolèt, quand la caissière, qui venait à la seconde d’apprendre que nous étions jeunes mariés, nous sort de nulle part :

– J’espère que vous allez bientôt « nous » faire des petits (pourquoi nous ?). Je vous conseille de ne pas traîner ! Plus on est jeune, plus c’est facile avec les bébés !

Nous avions souri, dit merci, et pris nos achats sans demander nos restes, afin que l’histoire ne devienne pas un débat public à la supérette du coin !

Ou encore cette fois-là, quand on est allé choisir de la vaisselle chez mon oncle en guise de cadeau de mariage. Ma tante est arrivée et s’est mise à crier dans tout le magasin :

– Ah ! Voilà nos amoureux ! Bah dis donc ! Ça vous va bien le mariage ! Mais dites-moi, vous attendez quoi pour mettre un enfant en route ? Ça commence à dater votre mariage !

J’avais ri et lui avais répondu d’un ton ironique :

– Oui, tu as raison, très longtemps ! Déjà quatre mois et nous sommes un vieux couple.

– Arrête de te moquer de moi ! C’est juste que cela me ferait tellement plaisir de vous voir avec un enfant, que je suis plus pressée que vous, on dirait !

Et cette fameuse fois, pendant une promenade avec Perla, où l’on tombe par hasard sur une de ses connaissances qui nous souhaite Mazal Tov et qui regarde direct le ventre de ma femme, en lui disant sans aucune subtilité :

– Va falloir t’y mettre !

Je me suis vite rendu compte que sur la question d’être parents, nous étions cernés de toute part. Les gens nous posaient des questions de façon spontanée, sans une once de méchanceté, certes, mais qui, au bout du compte, étaient tellement intrusives pour un couple.

Si, de mon côté, je trouvais leur réflexion plutôt drôle et que cela me passait carrément au-dessus de la tête, pour Perla, c’était une autre histoire.

Elle me confiait qu’elle sentait une forte pression concernant la question des enfants et que ça la stressait beaucoup, surtout que tout était entre les mains d’Hachem. Pour elle, soulever ce sujet publiquement et faire des commentaires rendaient les choses très inconfortables. Leurs intrusions incessantes et anodines sur notre vie privée n’étaient en réalité pour eux qu’un simple sujet de conversation, rien de plus, alors que, pour nous, c’était bien plus que ça.

J’ai vraiment commencé à prendre conscience de l’importance de la situation quand, il y a un peu plus de deux semaines, Perla est rentrée chez nous, ruisselantes de larmes. Je crois que c’était la première fois que je la voyais aussi bouleversée, et ça m’a fendu le coeur. Je l’ai pressé de me raconter ce qui n’allait pas, et c’est là qu’elle m’a dit combien elle souffrait de ne pas être encore enceinte. Apparemment, en fin d’après-midi, elle et ses collègues d’école parlaient du retour de maternité d’une des maîtresses. Pour plaisanter, l’une d’elle s’est tournée vers Perla et lui a dit devant tout le monde :

– Bon bah si D. veut Perla, dans quelques mois, on parlera de ton propre congé maternité, hein ! Tes nouvelles rondeurs ne m’ont pas échappé, tu sais.

Sur le moment, devant ses collègues, elle a été digne et a fait un sourire de façade, pour faire bonne figure, mais dès qu’elle a franchi notre porte, elle s’est effondrée dans mes bras, en me disant :

– Tu vois Shimon, non seulement je ne suis pas enceinte, mais en plus, j’ai des rondeurs !

Comment c’est possible que l’on parle de ses « nouvelles rondeurs », alors qu’elle est très mince. 

Il y a deux mois, elle avait dû prendre des médicaments pour soigner un petit problème qu’elle avait découvert. Le médecin nous avait expliqué que le gonflement au niveau du ventre était tout à fait normal, et partirait très vite.

Après ce fameux jour, je commençais sérieusement à être moi aussi mal à l’aise pour ma femme. Surtout qu’à la base, en aucun cas nous ne nous prenions la tête sur le sujet, car nous essayions de garder une Emouna (foi en D.ieu) sans limite. Et puis, franchement, un an ? Ce n’est vraiment que le début de notre nouvelle vie, il fallait juste que notre entourage soit plus relaxe et arrête de nous en parler à la moindre occasion, en nous mettant une espèce de pression imaginaire !

Comme la situation commençait à me perturber légèrement, je décidais d’aller en parler avec Rav Levy. Je voulais lui demander des conseils pour rassurer au mieux ma femme, si ce genre de situations venaient à se renouveler. Mais surtout, comment faire abstraction des remarques intrusives des gens que l’on reçoit au quotidien ?

Je tapais à la porte de son bureau et lui demandais s’il avait le temps pour me recevoir. Il m’invita à prendre le siège en face de son bureau, que je connaissais bien puisque c’était le même sur lequel j’étais assis lorsque, l’année dernière, mon Rav m’avait dit qu’il était temps de me marier. Bien que nous fussions désormais de la même famille, il n’en restait pas moins mon Roch Yéchiva, et c’est toujours avec beaucoup de respect que nous nous parlions :

– Alors Shimon, comment vas-tu ? Ça fait plaisir que tu viennes me voir ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

– Eh bien… Perla et moi commençons à craquer, face à la pression des gens concernant le fait que nous n’ayons pas encore de bébé en route. Je voudrais que vous me donniez une explication à ce désagréable acharnement que nous ressentons contre nous.

Il réfléchit un moment et, sans trop attendre, comme je m’y attendais, sa réponse fut extraordinaire :

– Déjà, tu parles d’un nous, en parlant de ta femme et toi, et je trouve que cela est magnifique ! Ensuite, je vais t’expliquer un secret de la Torah.

Notre génération a tendance à être constamment en attente de bonheur immédiat au lieu de se réjouir du bonheur qu’ils ont. Être dans le cycle dit « normal » de la vie, comme avoir un travail, se marier, avoir un enfant, il n’y a rien de fabuleux ou d’extraordinaire pour plein de monde !

Beaucoup de personnes ne se rendent pas compte que rien que de respirer l’air est un miracle en soi, et que nous devons prier tous les jours pour remercier notre Créateur de ce cadeau qu’Il nous fait et en être reconnaissant.

Tu t’imagines bien que de trouver une compagne, en la personne de ma nièce, avec qui Baroukh Hachem tout se passe très bien est déjà tellement énorme que, tout de suite, on doit passer à autre chose, alors qu’on peut aussi savourer ! Le seul conseil que je peux te donner aujourd’hui c’est d’être heureux maintenant, et, Bé’ézrat Hachem, tout arrivera à point dans la joie !

C’était très optimiste que je gardais cette réponse dans un coin de ma tête, seulement pour la prochaine fois que Perla sentira le besoin d’aborder le sujet.

Lorsque j’arrive enfin à l’heure du rendez-vous et que nous nous voyons mutuellement arriver au même moment, nous ne pouvons nous empêcher de rire, bien que je remarque qu’elle a pleuré.

Je m’empresse de lui offrir mon bouquet et, avant de lui sortir l’écrin de ma poche, je l’interroge pour savoir si tout va bien. Elle me prend de court quand elle me tend un papier chiffonné, avec pleins de chiffres dessus :

– Qu’est-ce que c’est ?

– Ce sont mes résultats d’analyses.

– Et ?

– C’est négatif Shimon…

À partir de ce moment, le mot Emouna sera vraiment mis à rude épreuve pour ce qui nous attend… 

À très bientôt, après les fêtes.