Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.

Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture ! 


Cela fait quelques mois maintenant que j’essaye de faire Chabbath complètement. Si on m’avait dit un jour que j’attendrais avec impatience ce jour de « pause », je ne l’aurais jamais cru ! Franchement moi, Steeve, 18 ans, qui attend avec impatience que vendredi soir arrive, soyons un peu sérieux ! Je dirai même de qui se moque-t-on ? Et pourtant, cela fait déjà quelques semaines que ça dure et perdure. Il est clair qu’avant je n’avais même pas la notion des semaines qui passaient. Elles se suivaient et recommençaient sans aucune interruption. Avec Chabbath, j’avais la sensation que c’était moi qui maîtrisais mon temps et non le temps qui me maitrisait. Mmm… pas mal comme phrase, deviendrai-je philosophe ! Je crois que je traine un peu trop avec Elnathan, mon Rav, ces derniers temps.

Je me rends compte aussi qu’il n’y a pas si longtemps, je revendiquais mon identité juive uniquement par ma super grosse Maguen David autour du cou. Mes vacances systématiques en Israël, mon acte de présence vite fait à la synagogue lors des fêtes de Roch Hachana et de Kippour, ainsi que ne fréquenter que des amis juifs, mais, en réalité, qu’avais-je vraiment de juif ? Et mon prénom, on en parle de mon prénom ! Steeve, d’où ça sort ? Sûrement tout droit d’une série américaine que ma mère raffolait ! Je sais que sur ma carte d’identité, il y a écrit juste à côté de mon prénom officiel : Simon dit Shimon en hébreu. Un prénom que je n’ai entendu qu’une fois à voix haute le jour de ma Bar-Mitsva, lorsque le Rabbin m’a fait monter à la Torah. Je mets mon Jeans Diesel à couper que mon prénom hébraïque a une réelle signification. Je serai curieux de savoir laquelle !

Mais la question va devoir attendre, parce que ce soir, j’ai une soirée organisée chez mon pote avec tous les autres. Ça fait un bail que je ne les ai pas vu. D’un côté, je suis content de les revoir, mais d’un autre, j’appréhende pas mal de me retrouver avec mes amis « d’avant » : Elias, Jordan et Alexandre. Je crois que j’ai cette boule au ventre parce que d’avance je sais que sans David avec nous, avec moi, les choses ne seront sûrement plus jamais ce qu’elles étaient.

Il va falloir que je surmonte ma douleur parce que mes amis m’ont menacé que si je ne venais pas, ils allaient débarquer chez moi et me ramener à leur soirée Poker par le casque de mon scooter. Mieux valait ne pas les provoquer parce qu’ils étaient bien capables de le faire.

C’est vrai que depuis qu’Elnathan et moi, nous avons arrêté nos séances de Kiné, je partage presque tout mon temps entre le taf et la syna, mais pas que… Chaque fois que je le pouvais, j’allais passer Chabbath chez Ruth, la femme d’Elnathan, quand elle me le proposait. J’adorais passer mon temps chez eux, l’ambiance et l’atmosphère qui se dégageaient de cette maison me rendaient serein et heureux.

Cela ne m’avait pas échappé que chaque fois que j’avais Elias par téléphone il n’hésitait pas à me chambrer pour me dire que maintenant que je devenais « religieux » je l’évitais, lui et les autres. Le mot « religieux » m’a fait hurler de rire parce que, comparé à aujourd’hui, j’étais vraiment très très loin du terme. Je m’étais vite rendu compte que plus j’apprenais, plus je savais que je ne connaissais rien de chez rien. Bien des fois je me disais qu’il me serait impossible de tout respecter et qu’à tout moment je pouvais craquer. Par exemple : passer devant mon fast food préféré sans y rentrer parce que ce n’était pas Cachère était une torture pour mon ventre ! Mais j’avais tenu bon jusqu’à cette fameuse soirée…

Donc, ce soir-là, lorsque je sonnais à la porte, dès que j’ai entendu les rires fusaient de derrière la cloison, toutes mes appréhensions se sont envolées comme par magie ! Et ça faisait du bien ! Qu’est-ce qui m’a pris de me prendre la tête comme ça !

C’est Jordan qui m’a ouvert la porte, et ensemble nous sommes allés direct dans le salon. Je tapais dans les mains de tout le monde et j’entendais en écho :

- Yo frérot ! Comment tu vas ? Ça fait perpette !

- Ça fait trop du bien de te voir !

- Tu nous manques aux soirées que Jean-Jean organise. Tu rates tout mon frère. Y a des trucs de fou qui se passent là-bas !

Et d’un coup, c’est comme si je me sentais de nouveau dans mon élément, à l’aise ! Tous mes vieux réflexes revenaient d’un coup ! Mon langage, la cigarette que je rallumais, la chaise que je retournais pour y placer mes jambes à chaque extrémité du dossier me croyant trop cool. Tout, TOUT me revenait ! J’étais revenu exactement 6 mois en arrière. Mon D.ieu, ce que je me sentais MOI ! J’étais au top, sauf que… et c’est le sauf le problème. En apparence, tout sembler aller comme sur des roulettes, excepté qu’à l’intérieur j’avais mal ! Terriblement mal ! Ça me brûlait, me donnait limite la nausée. L’absence de David n’a jamais été aussi présente que ce soir depuis l’accident. Alors, pour masquer ma souffrance, je faisais ce que je savais faire de mieux, accepter volontiers bière sur bière chaque fois que l’on m’en tendait une. Jusqu’au moment où j’allais m’en décapsuler une autre, lorsque soudain la porte a sonné.

C’est moi qui m’y suis collé, puisque mes compagnons de jeu ne voulaient pas daigner quitter leur précieuse table. Quand j’ai ouvert et que j’ai découvert qui était derrière la porte, j’ai été étonné de découvrir Caroline, la copine de longue date d’Alex, totalement hors d’elle. Caro était dans tous ses états. Elle criait, hurlait le prénom d’Alexandre en faisant des grands gestes pour accompagner sa phrase :

– Il est où ? Dis-moi où il est parce que je vais le tuer ? IL EST OÙ ?

– Bonjour Caro, moi aussi cela me fait plaisir de te revoir !  

– Commence pas Steeve, laisse-moi passer, ton copain va payer cher pour ce qu’il m’a fait !

À la seconde où Caroline a trouvé Alexandre dans le salon, elle s’est ruée sur lui et lui a bien réglé son compte devant nous tous. Nous assistions un peu en otages à leurs échanges houleux, avec, y compris, ce qui aurait mieux valu rester privé.

Ce qui m’a choqué c’est qu’il n’y avait aucune pudeur, aucune gêne. Peu importe que nous étions là ou pas ! Et d’un coup, je ne sais pas pourquoi, mais je me suis mis à penser à mon ancienne copine avec qui j’avais eu exactement le même genre de relations. Et ce n’était pas joli ! Et puis, d’une pensée à une autre, le visage de Perla, la fille d’Elnathan, est apparu dans mon esprit.

Je ne l’imaginais pas une seconde se donner en spectacle. Je crois bien que je ne l’ai quasiment jamais entendu hausser le ton, que ce soit pour répondre à ses parents ou à ses frères ou à moi. Même si en vrai je n’ai pas beaucoup de fois discuté avec elle. Ce que j’appréciais le plus chez Perla, c’est cette plénitude qui émanait d’elle. En plus, j’avais remarqué deux, trois fois qu’elle pouvait être pleine d’humour si on prêtait un peu attention à ce qu’elle murmurait pour elle-même. Plusieurs fois, je me suis mis à penser que si… que si seulement… non, mais faut que j’arrête de rêver ! Une fille comme elle voudrait sûrement quelqu’un à sa juste valeur et cela ne serait certainement pas moi.

En plus, il n’y a pas longtemps, on m’avait expliqué que chez les religieux les choses se faisaient par étape :

D’abord, le rabbin de la famille vérifie les affinités possibles entre deux célibataires qui seraient susceptibles de se plaire. Ensuite, on rencontrait la fille en question dans un endroit public pour bavarder et vérifier que l’on se plaisait mutuellement ! Au bout de quelques fois, si le couple était d’accord, un mariage était à organiser dans les plus brefs délais. Cela peut paraître rapide, mais en fait pas du tout. Si je prends l’exemple de Caro et Alex, ça fait quoi ? Trois ans qu’ils sont ensemble. Combien de disputes ? Combien d’embrouilles ? Combien de problèmes ont-ils eu à régler sans même penser à se marier une seule seconde ? Alors qu’en plus, mon ami m’avait plusieurs fois confié que sa copine n’était pas forcément la femme de sa vie tellement parfois c’était galère entre eux. La preuve avec ce soir…

Je trouvais cela déprimant, alors je continuais à boire. Pire que ça, quand ils ont commandé au fastfood d’à côté, je n’ai rien dit, et j’ai totalement flanché. Sur le moment, je faisais le fier en mordant à pleines dents dans mon filet au Fish, en prouvant aux autres que j’étais comme eux… mais en m’enfilant mon deuxième, le sourire d’Elnathan m’est apparu et cela m’a comme figé…

Avec la sensation d’avoir reçu un électrochoc, je recrachais brutalement la bouchée que je venais d’avaler. Les autres n’ont pas compris et m’ont pris pour un malade ! Je jetais violemment mon sandwich et je décidais de partir sur le champ. Je pris mes affaires, non sans constater que le couple à scandale s’était réconcilié entre temps, et me suis sauvé en courant sans dire au revoir ! Les autres n’ont rien compris, mais moi oui…

Je quittais l’appart en courant et courus pendant plus de deux kilomètres sans m’arrêter avec une forte envie de vomir tout ce que je venais de m’enfiler, pour la simple et bonne raison que j’avais abimé mon âme en ingurgitant de la nourriture pas Cachère.

À peine arrivé chez mes parents, je m’étais rué sur mon livre de prières. J’avais choisi totalement au hasard n’importe quelle page. J’avais revêtu mon Talith (châle), m’étais enroulé dedans, et m’étais mis à pleurer, pleurer, pleurer et encore pleurer pendant des heures sans pouvoir m’arrêter. Les larmes se mélangeaient à ma Téfila, car je demandais pardon le plus sincèrement du monde.

Est-ce que je pleurais seulement parce que j’avais fauté ? Est-ce que je pleurais encore la perte de David ? Est-ce que je pleurais celui que j’étais « avant » et celui que j’étais « redevenu » ce soir ? Est-ce que je pleurais d’avoir déçu Hachem et moi-même aussi ? Je n’avais aucune réponse à mes questions.

 

Ce n’est qu’au petit matin, quand mes parents m’ont trouvé endormi à même le sol d’épuisement entouré dans mon châle, que j’ai vu combien ils tenaient à moi. Ils m’ont supplié de leur confier pourquoi je m’étais mis dans un état pareil, mais je n’avais pas les forces de leur expliquer ce qui s’était passé. Ils ne le comprendraient pas. Je les avais simplement pris dans mes bras, en leur expliquant que cette nuit m’avait permis de prendre la décision la plus radicale que je n’avais jamais prise auparavant :

– Papa, maman, j’ai décidé de partir en Israël pour rentrer en Yéchiva.

– Une quoi ?

– Une Yéchiva papa. C’est un endroit où l’on étudit la Torah toute la journée.

– C’est encore ce satané rabbin qui t’a mis ces idées stupides dans la tête ! Comment vas-tu vivre mon fils ? Il faut penser à ton avenir, avoir un bon métier ! Je vais appeler ce Elnathan et lui dire deux mots, et crois-moi, il va m’entendre ! Depuis la mort de David, je ne me suis pas mêlé, je t’ai laissé gérer ton deuil comme tu l’entendais, mais là, c’est trop ! Ça suffit ces bêtises !

– Papa, ma décision n’a rien à voir avec Elnathan, ceci est mon propre choix. Si je veux avancer, il faut que je sois dans l’environnement que j’ai besoin. Maintenant, je vais faire ce que j’ai prévu et partir pour étudier la Torah, et cela, quoi que vous en pensiez…

Ce que je ne savais pas encore, c’est que non seulement j’allais devenir celui que je suis aujourd’hui, mais que mon rêve le plus incroyable allait enfin se réaliser…

La suite… mercredi prochain.