Steeve, juif de 18 ans, ne connaît pas de limite ! Il a tout pour réussir mais préfère passer son temps à enquiquiner les autres. Suite à un bouleversement dramatique et une rencontre improbable, son destin prend une nouvelle dimension totalement à l'opposé de ce qui était prévu. Steeve va devenir peu à peu Shimon.

Chaque mercredi, vous découvrirez cette histoire, inspirée d’une histoire vraie, belle, forte, et qui vous surprendra sur bien des points. Bonne lecture !


Cela fait deux ans maintenant que je réside et étudie à la Yéchiva. Les premiers temps ont été très difficiles, mais je me suis accroché. Je ne regrette pas une seule seconde, car les choses essentielles ont pris le pas sur les choses superficielles. J’ai appris à étudier dur et longtemps, en cessant de me plaindre pour tout et n’importe quoi, comme je le faisais avant. Croyez-moi, si vous faites une petite cure de vingt quatre heures de « non-plaignage aiguë », je peux vous garantir que vous mettrez tout ce temps à profit pour faire des choses bien plus intéressantes. Je suis obligé de rajouter que celui qui m’a vraiment aidé à tenir le coup au fil des mois c’est mon ami Aviad.

D’ailleurs, en parlant de mon coloc de chambre, s’il y a une chose très précieuse que j’ai gagné en venant à la Yéchiva, hormis l’étude de la Torah bien sûr, c’est que j’avais trouvé un véritable ami. Nous avions le genre d’amitié qui se construit au fil du temps et nous avions pu nous prouver mutuellement, après plusieurs situations, que nous pouvions compter l’un sur l’autre.

Chaque fois que je pense à notre amitié, cela me rappelle une histoire très célèbre que Rav Levy avait raconté très peu de temps après mon arrivée.

Un jour, un jeune homme se faisait réprimander par son père, qui lui reprochait de sortir beaucoup trop avec ses amis, à faire je ne sais quoi. Son père, soucieux de l’éducation de son fils, le sermonnait en lui disant qu’il devait se concentrer un peu plus sur les vraies valeurs de la vie, telle que la famille, l’étude et l’amitié. Le fils s’insurgeait en lui disant :

– Alors là, l’amitié ça me connait ! J’ai tout plein d’amis, tu n’as aucun soucis à te faire là-dessus papa. C’est pas comme toi qui n’en a qu’un et toujours le même depuis vingt ans.

Son père, en grand sage qu’il était, lui répondit qu’avoir un seul ami lui suffisait amplement, car c’était déjà un grand cadeau que D.ieu lui avait fait.

– Non mais je rêve, moi, j’en ai au moins… une centaine !

– Eh bien ! Je comprends pourquoi tu es tant occupé à sortir tous les soirs. Cependant, je te propose un petit test, si j’ai raison, tu réduis tes sorties, si j’ai tort, je ne dirai plus rien. C’est d’accord ?

– Ça me va !

– Écoute bien ce que je vais te donner comme instruction : à la nuit tombée, tu vas égorger un agneau et tu vas placer sa tête dans un sac en toile de jute. Tu vas alors sonner chez tous tes amis et tu vas leur demander de t’héberger jusqu’au matin, car tu as fait une grave erreur, mais tu ne précises pas laquelle, même si elle paraît évidente ! En fonction de leurs réactions, tu verras qui sont tes vrais amis.

– Je n’ai aucun doute qu’ils vont tous se battre pour m’accueillir.

Le garçon fit exactement ce que son père lui demanda. Toute la nuit, il tapait aux portes de tous ceux qu’il connaissait avec pour seule réponse une rafale de claquages de portes au nez ! Au petit matin, épuisé et plus que déçu, le fils dût se rendre à l’évidence que son père avait raison et qu’effectivement il n’avait pas un seul véritable ami. En cas de pépin, il ne pourrait s’appuyer sur aucun d’eux. Et c’est le coeur lourd que le garçon alla taper à une dernière porte :

– Haïm, excuse-moi de te déranger à une heure aussi matinale, mais j’ai des problèmes. J’ai peur que la police ne me retrouve et…

– Viens vite, rentre à la maison, ne reste pas dehors.

– J’ai peut-être fait une bêtise.

– Peu importe ce que tu as fait, tu es en sécurité chez moi. Assieds-toi et explique-moi tout, je suis sûr que ce n’est pas si grave, et au pire tu peux rester aussi longtemps qu’il le faudra. Tu veux une tasse de thé ?

Le jeune garçon comprit enfin la valeur et la richesse d’avoir un seul vrai ami.

C’est pourquoi, aujourd’hui, Aviad m’accompagne jusqu’au bureau de notre directeur pour me soutenir. Je suis très nerveux car Rav Levy m’a convoqué, et j’ai une petite idée du sujet qu’il veut aborder avec moi.

Sur tout le chemin, Aviad me rassurait et me disait que tout va super bien se passer. Avec les paroles de mon ami, c’est un peu plus confiant que je tapais à la porte :

– Ah, Steeve, c’est toi. Entre et ferme la porte.

Je m’exécutais.

– Alors voilà, je suis certain que tu as une idée précise du sujet duquel je voudrais m’entretenir avec toi.

– Je crois que je sais, mais si je me trompe et que c’est encore pour essayer de me convaincre de prendre Shimon comme prénom usuel, Rav, je vous ai déjà dit que je n’étais pas prêt.

– Oui, et je ne suis ni sénile, ni stupide. Nous en avons déjà parlé par le passé et je t’ai dit que j’étais d’accord pour te laisser encore du temps.

Je sais que tu arrives en fin de cycle, je tiens à te dire que les rabbanim et moi-même sommes impressionnés par ton étude, ton assiduité, et les progrès flagrants que tu as fait au fil des mois. Chaque fois que j’ai mon frère Elnathan au téléphone, je ne manque jamais de lui dire combien je suis fier de toi.

– Merci beaucoup Rav, je suis très touché. Hier, je l’ai eu au téléphone, et il est prévu que toute la famille vienne pour les vacances d’été en Israël. Je me réjouis d’avance de les voir.

– J’espère que, d’ici là, tu auras une bonne nouvelle à leur annoncer, car il est temps que je m’occupe de te trouver une Kala.

– Ah, ça y est, c’est mon tour.

– Oui, tout à fait.

– Mais Rav, je ne crois pas que ce soit le bon moment, parce que j’ai encore beaucoup de choses à apprendre. J’ai bien vu que mes copains revenaient de Chiddoukh ces derniers temps, mais moi, sans vouloir vous manquer de respect, je ne me sens pas assez fort pour rencontrer ma future femme, à votre manière.

– Fais-moi confiance, si je t’affirme que tu es assez fort pour être avec une jeune femme ‘Harédit (religieuse), c’est que tu es assez fort ! Un Ba’hour comme toi ne peut pas rester sans être marié trop longtemps. Selon notre Sainte Torah, tu as largement l’âge requis, et c’est pour cette raison que je te demande si tu me donnes l’autorisation d’organiser un Chiddoukh avec une jeune fille de très bonne famille. Je suis certain qu’elle devrait te convenir.

– Cela tombe bien que nous ayons cette conversation au final, parce que j’ai compris les grandes lignes du Chiddoukh, mais il y a une chose qui me met mal à l’aise.

– Laquelle ?

– Comment pouvez-vous savoir à l’avance que telle ou telle fille conviendra à tel ou tel garçon ? Quand Moché m’a annoncé son mariage avec la fille du séminaire d’à côté, j’étais à la fois content pour lui, mais toujours un peu surpris par la rapidité de l’affaire.

– Ta question est très juste. En tant que Roch Yéchiva, j’ai eu le temps d’observer le caractère de chacun. Selon les qualités et les défauts qui façonnent une personnalité, j’effectue mes recherches.

– Ce qui me met mal à l’aise, c’est de me dire qu’à l’avance, ça va marcher !

– Rien ne nous garantit que cela va fonctionner ! Seule la Providence Divine le sait. Dans notre milieu, les choses fonctionnent de cette manière : je te propose une fille, tu te renseignes sur elle pour voir si elle peut te correspondre, puis si tous les deux, vous donnez votre accord, je conviens d’un rendez-vous avec la directrice du séminaire dans un endroit public, comme un parc ou un lobby d’hôtel par soucis de Yi’houd.

– De Chiroute ? Pourquoi vous voulez que je prenne un taxi avec elle ?

– De Y-I-H-O-U-D. C’est un mot qui nomme la loi concernant le fait qu’un homme et une femme, pour des raisons évidentes de Tsniout, ne s’enferment pas dans une pièce. Donc tu sais comment ça se passe, tu la rencontres, tu prends le temps de discuter avec ta potentielle fiancée, vous faites connaissance, et vous prenez soin de vous poser des questions constructives pour un futur commun.

– Il y a une chose qui me préoccupe, mais dont je n’ai pas osé parler à mes amis.

– Je t’écoute.

– Comment on fait si on arrive au rendez-vous et que la fille est moche ?

– Si la jeune fille ne te plait pas à toi, tu as le droit de dire non ! Personne ne t’y oblige ! Il est primordial que le jeune homme et la jeune fille se plaisent mutuellement !

– Et si elle est bête ? Comment je vais faire pour tenir toute une soirée ?

– Qui te parle de soirée ? Pas besoin que le rendez-vous se prolonge. Evidemment; tu dois prévoir un minimum de temps pour qu’elle et toi vous donniez la chance de vous connaître, mais trois quart d’heures suffisent amplement, d’où l’intérêt du Chiddoukh.

Je me mets à rire parce que je suis en train de m’imaginer annoncer à ma mère que je me marie demain, je suis persuadé qu’elle va en faire une syncope. Le Rav attendait mon aval, et je pris quelques secondes de réflexions. Rav Levy avait beau me rassurer et me dire que mon apprentissage de la Torah était suffisamment fort pour commencer à rencontrer des filles, je n’étais pas vraiment sûr de moi. D’un autre côté, jusque là, écouter Rav Levy avait été une bonne chose, et je me dis que cela ne coûte rien d’essayer cette méthode.

– Rav, c’est d’accord !

– Très bien, alors écoute ce que j’ai à te dire, car cette partie-là est très importante : Après chaque visite, tu viendras directement me voir dans mon bureau pour me dire ce que tu en penses. Si c’est un refus, je n’ai pas besoin de savoir le pourquoi du comment, car ce ne sont pas mes affaires et je m’occupe de faire passer le message. Si elle te plait, je vérifie de mon côté avec les parents de la jeune fille. Si elle est d’accord de te revoir, je te le dirai.

Je sortais du bureau et confirmais à Aviad, qui m’attendait toujours, que c’était bien mon heure pour me marier. En lui racontant que le Rav allait s’occuper de moi, j’avais un petit pincement au coeur, parce que je réalisais que depuis que j’avais quitté Paris, le visage de Perla, la fille d’Elnathan, ne m’avait jamais vraiment quitté. Régulièrement, je priais pour son père, sa famille et pour elle. Je souhaitais du fond de mon coeur qu’elle trouve un homme à sa juste valeur, ou plutôt à sa hauteur, car une fille comme elle, avec des qualités aussi exceptionnelles, n’épousera jamais un Ba’al Téchouva comme moi…

La suite… mercredi prochain.