L’amour est omniprésent dans nos vies, c’est peut-être le sentiment que nous côtoyons le plus au quotidien. Des plats que nous aimons (ou pas !), à la demeure dans laquelle nous vivons, en passant par les chaussures que nous portons, l’amour est peut-être le grand magistrat de nos choix. Notre bonheur dépend de son extase tout autant que notre malheur de son tourment. L’amour enivre, il donne du courage, l’amour rend aveugle, il trompe, en bref l’amour est un sentiment si puissant qu’il désarme délicatement nos défenses les plus farouches lorsqu’il s’empare de nous, pour le meilleur comme pour le pire… Mais si l’amour est si puissant qu’on en appelle parfois à la maîtrise, il y a un endroit où l’on espère qu’il grandisse et atteigne des sommets titanesques, il s’agit du couple.

On souhaite tous aimer et être aimé par son conjoint, le contraire rime avec frustration et peine, il en va de notre bien-être le plus élémentaire, de notre bonheur suprême. En somme, l’amour est un sujet sérieux qui mériterait qu’on s’y attarde quelques instants pour tenter d’en saisir un peu plus les rouages.

Certains disent en manquer cruellement, d’autres disent qu’il leur a fait faux bond depuis des années, mais alors concrètement c’est quoi l’amour ? Que cherche-t-on au juste ?

Personne n’est dupe et nous comprenons tous qu’il existe différents types d’amour. L’amour que l’on a pour les pâtes à la crème n’est évidemment pas le même que celui que l’on porte à sa grand-mère, pourtant dans les deux nous disons « aimer », alors quel est le véritable sens de l’amour, celui que nous nous attendons à recevoir et celui qu’on nous demande d’éprouver pour l’autre ?

L’amour dans la Torah

Lorsqu’on ouvre le Livre de la vie, la Torah, nous constatons qu’elle n’y va pas de main morte, elle exige d’un homme qu’il aime sa femme et vice-versa en écrivant : « Aime ta femme comme ton propre corps et honore-la, plus que ton corps » (Yébamot p. 62) que Maïmonide traduira par l’injonction « Les Sages ont ordonné d’aimer sa femme … » (Maïmonide chap.15, lois sur le couple/19). Pareil du côté des dames (voir Maïmonide, lois sur le couple, chap. 15-20).

Si elle ne définit pas ici même, l’essence de l’amour, nous invitant de fait à un voyage initiatique dans son océan infini, elle nous délivre un secret de taille par la tournure de sa formulation impérative. Elle dit entre ses lignes célestes – que l’amour est accessible à tous sinon elle n’en n’aurait jamais donné l’ordre !

Et si l'on voulait creuser un peu plus, on entendrait d’elle encore une chose formidable – l’amour dépend de moi indépendamment de lui/d’elle, car c’est bien à moi que ce commandement fut donné, et si je dois c’est donc que je peux…

Traversons l’océan céleste avec cette question millénaire au bout des lèvres – qu’est-ce que l’amour ?

La Torah nous révèle qu’il existe des amours foncièrement différents les uns des autres. Nous pouvons en dénombrer distinctement trois.

Sans qu’il existe un classement de valeur exhaustif, énumérons-les un par un :

  • L’amour comme plaisir. Nous retrouvons cette notion dans les choses qui nous procurent du plaisir comme la nourriture, la fête, l’art, le sport. On a plaisir à faire ou à être en présence de…

On retrouve cette terminologie de l’amour au sens plaisir du terme dans la Génèse, lorsque Its'hak, le patriarche, demande à son fils de lui concocter un plat, il dit alors « Fais-moi un ragoût comme je les aime. » (ibid. 27:4)

Le 'Hazon Ich (Émouna Oubita'hon, chap.1:11) quant à lui, parle de ce genre d’amour concernant l’application de l’amour à son prochain. Il écrit : « Il existe des personnes dont le désir ardent brûle d’aider leur prochain, la rencontre avec autrui est pour eux un plaisir alléchant. »

  • L’amour bienveillant qui consiste à vouloir le bien pour autrui. On le retrouve généralement dans la relation parents/enfants où le parent œuvre pour les intérêts de son enfant de manière désintéressée. C’est, de façon générale, souhaiter à l’autre ce que l’on se souhaite à soi-même.

Le Ramban dans son commentaire sur le Lévitique (19:17) explique que c’est la nature même du commandement d’aimer son prochain comme soi-même, il écrit : « Qu’il œuvre de façon similaire à ce qu’il aurait œuvré pour lui-même ».

  • Faire un avec l’autre. S’identifier à l’autre, ressentir sa joie, être peiné de son malheur, ne plus ressentir de dissidences ou de gêne à son égard, en un mot l’osmose parfaite.

Ce concept d’unité est courant dans les Textes, on y entrevoit même le message caché dans le chiffre 13 dont la valeur numérique – la Guématria –, est la même que celle des mots "Amour" (Ahava) et "Un" (E'had), comme pour nous en expliquer le sens profond.

Le Rav Chimon Chkop, dans son Chaaré Yochèr (introduction), explique que c’est peut-être la seule manière d’éprouver véritablement de l’amour pour autrui de façon désintéressée sans que cela vienne heurter son amour-propre qui surpasse naturellement celui de l’autre. Il dit que plus un homme a une haute stature spirituelle, plus il englobera dans les liserés de son amour-propre d’autres gens avec qui il fera corps - sa femme, ses enfants, ses élèves, peut-être sa communauté et à un certain niveau, tout le peuple d’Israël.

Nous retrouvons cette notion dans le Talmud de Jérusalem (Traité Nédarim) qui illustre le devoir d’amour envers son prochain par l’image d’un boucher qui dans un coup de couteau maladroit se serait entaillé la main droite. Lui viendrait-il à l’idée de se venger sur sa main gauche ?, demande le Talmud. C’est cela l’amour de son prochain, conclut-il, concevoir l’autre comme une partie inhérente de soi.

Il existe donc bien des types d’amour fondamentalement différents qui conviennent tous à l’amour que l’on peut (et doit !) ressentir à l’égard d’autrui, d’un alter-égo. Il n’y a pas que les sushis que l’on peut kiffer, ni seulement nos enfants vis-à-vis de qui nous serions capables d’éprouver sincèrement de la préoccupation et enfin, il est possible de s’unir véritablement à une autre personne que soi-même.

Lequel de ces amours nous souhaitons-nous ?