Nous nous attribuons très vite le mérite de nos réussites - et encore plus rapidement, nous accusons D.ieu de nos échecs, de nos souffrances et de nos maladies. L’hypocrisie de cette situation ne nous traverse jamais l’esprit.

Je me sens privilégiée de vous raconter l’attitude de mon mari bien-aimé pendant les moments douloureux et éprouvants de sa maladie terminale il y a vingt ans de cela. Je me souviens que lorsque mon mari a subi sa première intervention chirurgicale à l’hôpital universitaire de New York, il a constamment remercié ses médecins et ses infirmières. Même en salle de réveil, alors qu’il était encore sous l’effet des médicaments, il n’a jamais oublié cet impératif.

Lors de ses derniers jours de maladie à Memorial Sloan Kettering, mon mari exprima le désir de respirer l’air frais, de sentir le vent sur son visage, de voir le ciel et les oiseaux voler. Mais pour la protection des patients, on ne pouvait ouvrir les fenêtres de l’hôpital ; nous demandâmes alors la permission de le sortir en fauteuil roulant dans la rue pour quelques minutes. C’était un mois de janvier particulièrement froid et neigeux, mais nous étions déterminés à accéder à son souhait. Je lui apportai son long manteau épais, un pull et un chapeau, et lorsque l’infirmière l’habilla, je dus me détourner, je ne pouvais retenir mes larmes. Il avait perdu tellement de poids, son chapeau et son manteau lui tombaient.

Lentement, mes fils poussèrent son fauteuil roulant jusqu’à l’entrée de l’hôpital. On aurait dit qu’il allait encore neiger, mais pour mon mari, le ciel était très beau. Empli de reconnaissance, il respira l’air froid et nous remercia avec profusion de lui avoir donné la possibilité de voir encore une fois le monde merveilleux d’Hachem.

Dire « merci », que ce soit à des êtres humains ou à Hachem, était naturel pour mon mari, mais pour un grand nombre d’entre nous, ce petit mot est difficile à articuler. Cela peut apparaître paradoxal, mais bien que la gratitude nous rende bien plus heureux, nous nous y opposons.

Pourquoi ?

Nos Sages nous en donnent une idée. En hébreu, le terme « Modé », merci, signifie également « admettre. » En réalité, dire « merci », c’est admettre que nous sommes dans le besoin, vulnérables, que nous ne pouvons agir seuls - et c’est quelque chose qu’il nous est difficile de concéder.

Nous détestons nous sentir redevables, en particulier si le service rendu a été important. De ce fait, plus la faveur est grande, plus notre relation est étroite, plus notre réticence est profonde de révéler notre faiblesse en énonçant ce petit mot.

Ceux qui n’ont pas de problème à dire « merci » à un serveur, un vendeur, ou un portier ont d’énormes difficultés à le dire à ceux qui sont les plus proches d’eux - à leur mère ou père, à leur mari / femme, ou à leur enseignant et rabbin / rabbanite. Dire « merci » serait admettre une progression et une amélioration grâce à ce que d’autres ont fait pour nous.

L’inaptitude à exprimer la gratitude a de nombreuses ramifications, et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il y a tant de gens amers. Ceux qui ne peuvent reconnaître la gentillesse trouvent toujours de quoi marmonner ou critiquer. Ils deviennent de mauvais conjoints, des enfants exigeants, et des amis égoïstes. Ils sont convaincus que tout leur revient, et qu’ils ont droit à tous les bienfaits de la vie simplement parce qu’ils sont en vie. Peu importe à quel point ils sont gâtés, ils ne sont jamais satisfaits. Ils continuent à prendre sans ressentir le besoin de rendre.

« Qui est riche ?, demandent nos sages. Celui qui est content de son sort. » Comment s’initier à la satisfaction ? En maîtrisant l’art de la gratitude. Et comment maîtriser l’art de la gratitude ? Commencez par des petites choses et augmentez peu à peu.

Pour développer un sentiment accru de gratitude, vous pouvez garder à l’esprit l’image de mon mari, assis dans un fauteuil roulant un jour froid et nuageux du mois de janvier, remerciant D.ieu pour le beau ciel qu’il contemplait. Mon mari avait toujours grand plaisir à observer les créations d’Hachem, et il enseigna à sa famille à en faire de même. Je me souviens de l’une de nos petites-filles (qui avait cinq ans à l’époque) déclarer, en visitant une réserve naturelle : « Je suis si heureuse qu’Hachem m’a donné des yeux pour voir toutes ces belles choses. »

Comment se fait-il que plus de gens n’éprouvent pas cette joie d’observer le ciel et le monde merveilleux créé par D.ieu ? Cela s’explique en partie du fait que beaucoup d’êtres humains aiment avoir quelque chose qui leur appartient exclusivement. Ils ne peuvent retirer de plaisir si tout le monde l’a. Si vous aimez vraiment votre prochain, si vous êtes vraiment engagés dans les relations humaines, votre plaisir va s’intensifier en sachant qu’eux aussi bénéficient de ce que vous appréciez. De même que les parents sont au sommet du bonheur lorsqu’ils peuvent partager leur joie avec leurs enfants, un individu engagé trouvera le bonheur dans les bienfaits qui peuvent être partagés avec autrui.

En prenant quelques instants chaque jour pour nous concentrer sur les dons de D.ieu en Le remerciant pour Ses nombreuses bontés, par des bénédictions et des prières - et en disant « merci » à ceux qui vous sont les plus proches et les plus chers - nous pouvons acquérir l’attribut de gratitude. Même si au départ, nous prononçons ces mots machinalement, le fait même de les dire va nous conditionner à exprimer notre appréciation, et cela, en soi, est significatif. Un jour, nous allons découvrir que ce qui a commencé comme une simple habitude a pris un sens réel et est devenue partie intégrante de notre caractère.