Ça y est, je viens d’avoir quarante ans ! Bon, pour être honnête, j’ai un peu du mal à y croire. Malgré mon statut de mère de famille nombreuse, une partie de moi reste obstinément "ado" : ma façon de marcher, de parler, de m’habiller… Je n’arrive toujours pas à me comporter comme une "dame". Mais ce n’est pas grave, je ne pense pas que ce soit le but quand on atteint cet âge-là. Quel est l’enjeu alors ? Je m’accorde le luxe d’une bonne crise de la quarantaine pour y réfléchir. Ça fait six mois que je m’y prépare. Tout a commencé le soir d'une journée bien mouvementée…
Il était tard, je me dirigeai vers mon lit, épuisée et un peu déprimée. Mon mari n’était pas là, personne à qui raconter la torture psychologique que mes enfants m’avaient fait subir aujourd’hui. Ni ma façon pas très pédagogue d'avoir réagi, à bout de force et de nerfs. Entre épuisement et culpabilité, je récitai machinalement ‘Kriat Chéma Al Hamita’ et posai enfin ma tête sur l’oreiller.
Alors que je commençais à m’endormir, je levai les yeux vers un tableau d’une photo de mon mariage accrochée au mur. Éblouissante dans ma robe de mariée, un large sourire et les yeux pétillants, pleine de bonheur et de foi dans un avenir merveilleux. Mon cœur se serra, je me sentais si loin de celle que j’étais…
Soudain, la mariée de la photo a tourné la tête et m’a regardée droit dans les yeux. Avant que je ne réalise ce qui se passait, elle a commencé à me lancer :
- "Eh ben, t’as l’air en pleine forme !"
Bien que choquée, je n’allais certainement pas me laisser faire par cette petite impertinente, même si c’était moi !
- "Oui, c’est sûr, je ne viens pas de passer 3h à me faire maquiller et coiffer, moi !
- C’est vrai, mais tu vois bien que ce n’est pas que le maquillage qui me rend belle sur cette photo.
- Ah oui ? Quoi alors ?
- J’irradie ! Je rayonne de bonheur, de fraîcheur. Toi, désolée de te le dire, mais tu sembles un peu… éteinte !"
J’accusai le coup. Je regardai mon mari sur la photo, en guise de soutien, mais il restait figé, ébloui par la mariée.
- "Quand tu auras les mêmes journées que les miennes, on verra si tu continues à illuminer le monde, j’en doute fort !
- Ok, c’est sûr que moi, je ne sais que m’occuper de ma pomme et que toi tu excelles dans la gestion de ta tribu.
- Merci de le reconnaître…
- Bon, parfois tu t’énerves un peu vite quand même !
- C’est vrai…
- Tu devrais calmer un peu la cadence et… sourire ! Regarde comme ça te va bien !"
Je la regardais interloquée. Comment sourire comme elle quand on croule sous la charge mentale ?
- "Tu sais quoi, continua-t-elle, ça fait 11 ans que tu donnes tout pour les enfants, c’est super mais tu t’oublies dans ce tourbillon. Et ta petite mine, ça vient aussi du fait que tu as oublié ce que c’est que de prier et d’écouter des cours. C’est ce qui te nourrissait à l’époque et tu le négliges maintenant."
Elle touchait un point douloureux mais elle avait raison, je n’avais rien à répondre.
- "Dans six mois, tu vas avoir quarante ans ! C’est le moment de te recentrer un peu sur toi, de reprendre ce que tu aimais et de retrouver ta connexion avec Hachem.
- J’aimerais mais je n’ai pas le temps…
- Le temps, ca se trouve, même dans ton cas. Et je suis sûre que le nouveau toi illuminera et que ça rejaillira sur ta famille. N’oublie pas ce que je t’ai dit !"
Je suis restée là, allongée, les yeux ouverts sur la version de moi-même que j’avais laissée de côté. Est-ce qu’il fallait que je me reconnecte à mon ancien moi pour devenir mon nouveau moi ?
Depuis ce jour, je réfléchis et je fais le point. Non, je ne redeviendrai pas cette jeune fille idéaliste et insouciante mais je veux regagner sa fraîcheur, sa spontanéité, sa spiritualité et ses passions. Et j’y ajouterai la force de l’expérience de vie acquise au cours de ces onze dernières années.
Pour nous, les femmes juives, faire une crise de la quarantaine ce n’est pas s’abonner au Botox, divorcer et croire qu’on a de nouveau 20 ans. C’est plutôt un super cap à passer où l'on peut être fières de ce qu’on a déjà construit en sachant que plein de belles choses nous attendent encore. C’est un âge où l'on peut s’affirmer ou se radoucir, gagner en confiance en soi ou en humilité, se connaître, répondre à ses besoins. Et surtout, oser être vraiment nous-mêmes, ou essayer du moins !
Alors profitons de chaque passage de dizaine pour faire une belle crise comme il se doit. Que ce soit à 20 ans pour se découvrir et être prête à accueillir toutes les promesses de la vie, comme à 70 ans pour profiter de tout ce qu’on a semé et se renouveler en tant que femme. Et là on peut dire que franchement, on le vaut bien !






