J'ai grandi dans le culte de l'intellect, de la remise en question et de la philosophie. Lorsque adolescente, j'ai lu Sartre pour la première fois, ses idées existentialistes furent pour moi une révélation. Pour ceux qui ne connaissent pas cette pensée, ce n'est pas grave, je vous rassure, c'est globalement une doctrine qui prône que chaque personne née sans aucun but ni valeurs prédéfinies, au cours de sa vie se définira par ses actes pour essayer de trouver un sens dans un monde absurde dans lequel nous n'avons pas choisi de naître. Le contraire du judaïsme à travers lequel nous ne naissons pas par hasard, mais bien avec un but prédéfini par le Créateur du monde.

De Sartre à Simone de Beauvoir, il n'y a évidemment qu'un pas et j'ai continué mes lectures par des livres traitant du féminisme. À défaut d'avoir fait le choix d'être née femme, battons-nous pour l'égalité hommes-femmes dans la société - une pensée qui avec le recul, ne donne pas tellement de valeur à la femme.

En parallèle de toutes ces lectures, grâce auxquelles je me croyais intelligente, j'ai eu le mérite de grandir aux côtés de ma grand-mère que j'affectionnais profondément...

C'était une femme "simple" comme beaucoup de nos grands-mères venues d'Afrique du Nord. Elle accomplissait chaque jour ses tâches ménagères, élevait ses neuf enfants dont deux handicapés, travaillait comme nourrice et couturière, pas si "simple" que ça, n'est-ce pas ? Elle ne se posait aucune question existentielle, trouvait sa joie dans des choses basiques, n'avait pas de grandes exigences envers les autres. Savoir que son mari et ses enfants allaient bien, s'étaient nourris grâce à ses repas était suffisant pour elle. Son respect sans faille pour mon grand-père était interprété par l'adolescente légèrement arrogante que j'étais comme de la soumission. Moi je ne laisserai personne me dicter ma conduite, je serai indépendante et je me battrai contre cette société patriarcale !

À 17 ans, j'ai commencé des études universitaires, le cœur et surtout le cerveau pleins d'attentes de nouvelles connaissances. J'avais soif d'apprendre, d'échanger, et je poursuivais mes enseignants avec mes innombrables questions. Je me suis bien vite rendue à l'évidence : leurs réponses étaient décevantes, elles manquaient de pertinence, d'âme… bref, elles étaient vides de sens, tout comme leurs personnalités. Je me souviens particulièrement d'une discussion animée avec deux de mes professeurs qui me soutenaient qu'il était très égoïste de vouloir avoir des enfants, dans cette société incertaine et dans un monde qui court à sa perte. Ma déception fut à la hauteur de mes attentes et je compris bien vite que si je souhaitais véritablement répondre à ma quête de sens, il fallait que je cherche ailleurs.

Hachem répond toujours à celui qui cherche vraiment, et c'est précisément à cette époque que j'ai rencontré des personnes qui m'ont ouverte à de nouveaux horizons de pensée. Ces femmes étaient inspirantes, nos discussions étaient profondes, empreintes de sagesse et de discrétion. La chose qui m'impressionnait le plus était la douceur et la sérénité qui émanaient d'elles. Elles n'avaient pas besoin de combattre pour leurs idées, car elles étaient déjà convaincues. Celui qui détient un trésor et qui a conscience de sa valeur n'éprouve pas le besoin de convaincre qui que ce soit. J'ai alors compris qu'au lieu de systématiquement tout remettre en question, comme on me l'avait appris, il fallait peut-être commencer par se remettre en question, et c'est un travail beaucoup plus complexe. J'ai donc commencé un processus de Téchouva, parce que lorsque l’on recherche le Émet (la vérité), on ne peut pas faire autrement.

Cette Téchouva m'a fait percevoir ma grand-mère d'un autre point de vue : même si elle ne lisait pas beaucoup, elle avait une intelligence de vie peu commune. À quoi bon amasser des connaissances si ça ne nous aide pas à vivre comme il se doit ? Si elle ne vivait pas dans la recherche de nouvelles découvertes, c'est parce qu'elle avait déjà tout ce dont elle avait besoin. Je l'ai accompagnée lors de son seul voyage en Israël et je lui ai demandé si elle était heureuse de voyager. Elle m'a répondu simplement : « Je suis bien chez moi ». Moi qui aurais voulu faire le tour du monde, j'étais décontenancée par sa réponse. Avec le temps, je l'ai comprise. Il y a moins de dix ans, elle a rendu son âme pure au Créateur et elle a laissé une forte empreinte sur ses enfants et ses petits-enfants.

Et Simone de Beauvoir dans tout ça ? Il y a bien longtemps que ce n'est plus un idéal pour moi. Je ne veux plus être l'égale de l'homme, mais j'aspire à assumer mon rôle de femme pleinement, même si la génération dans laquelle j'évolue et bien des choses ont changé depuis le temps de ma grand-mère. Aujourd'hui, il me reste de mon féminisme un respect et une admiration profonde pour toutes ces femmes discrètement influentes qui travaillent, s'investissent pour leur couple et leur famille, et qui trouvent encore le temps et la force de perpétuellement grandir et se remettre en question.

Léïlouy Nichmat Zéharie Rosette bat Esther

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