Lors d’un séjour de vacances organisé pour des familles, quatre sœurs se trouvaient assises autour d’une table. Tout le groupe l’avait surnommée « la table des sœurs ». « Une fois, de temps en temps, m’ont-elles confié, nous ressentons le besoin de nous retrouver ensemble. Nos maris le comprennent et nous permettent d’organiser cette rencontre qui nous donne beaucoup de forces ». Combien il est agréable et bon d’être ensemble, non ? Nous les envions quelque part un peu, n’est-ce pas ? Combien de frères et de sœurs connaissez-vous, qui vivent dans une harmonie pareille ? Je vous en prie, ne décrochez pas les haches de guerre de l’enfance, laissez-les où elles sont !

Essayons d’avoir une vision large de l’amitié fraternelle. Est-ce que les liens du sang conduisent automatiquement à cette fraternité ? Comme vous pouvez le deviner, la réponse n’est pas si évidente ; elle connaît bien sûr beaucoup de variations.

La fraternité idéale

Des frères, c’est sûr que c’est un lien très fort ! N’avons-nous pas l’exemple illustre de Moché et Aharon ? Chacun a accepté son rôle avec une grande sérénité intérieure. Leur sœur Myriam, elle aussi, avec calme et mue d’un amour fraternel très grand, a sauvé et protégé son frère Moché ! C’est la fraternité idéale ! Il ne fait aucun doute que l’amour fraternel est une merveille, mais la question demeure, où se trouve-t-il ?

Équité dans l’amour ?

Ce n’est pas simple : papa, maman et les enfants. Les parents doivent s’efforcer d’aimer chaque enfant pour lui-même, selon sa personnalité propre, en s’efforçant de ne pas faire de différences. Chaque enfant est une personne à part entière. Un moyen puissant de conduire des frères et sœurs à l’amour fraternel consiste à s’interdire de comparer les enfants entre eux. Mais, il arrive quelquefois qu’un parent se reconnaisse plus dans un enfant que dans un autre. Il est plus facile, par exemple, de s’identifier à un enfant qui ressemble à son grand-père, ou à celui avec lequel on dispose d’affinités de caractère. Pour une raison ou pour une autre, l’amour équitable se trouve compromis, voire lésé. Les enfants ne sont pas dupes.

La place

Parfois, dans le contexte familial, il arrive que des enfants prennent, occupent des places « d’une manière forcée » : « le bon enfant obéissant », « l’enfant studieux » … Il y a aussi quelquefois l’enfant moins bon, pour ne pas dire « le mauvais ». Pourquoi un enfant occupe-t-il un rôle plutôt qu’un autre ? Qui attribue ces places ?

C’est évidemment le regard des parents qui engendre, dans la plupart des cas, la conduite de l’enfant. Il arrive souvent que dans la famille, il se trouve un « petit canard noir », celui qui n’est pas comme les autres, et généralement par famille, il y en a un qui se révèle à l’adolescence en particulier. Les rapports fraternels sont induits d’abord par les parents, ensuite par les rôles occupés par chacun dans la famille, généralement d’une manière inconsciente.

L’enfant-dialogue

Parfois, il existe dans la famille un besoin de repousser un enfant. Cela vous paraît insensé, n’est-ce pas ? C’est pourtant une réalité. Les pressions sociales, familiales, financières, créent le besoin de rejeter sa colère, sa détresse sur toute la famille. Et quelquefois alors, un enfant « acceptera » le rôle d’absorber les colères. Si c’est le cas, cela doit constituer pour nous un signal d’alarme, qui doit nous amener automatiquement à réfléchir sur nous-mêmes et sur notre couple.

L’enfant à problèmes a lui aussi le rôle d’unir le couple. Comment ? En pointant les difficultés de leur propre enfant, les parents ignorent leurs difficultés personnelles et/ou leurs problèmes de couple, et vont ensemble réfléchir sur les problèmes de l’enfant. Cela fait longtemps qu’ils n’ont plus de dialogue ; cet enfant va les aider, même s’ils ne sont pas d’accord sur les moyens, ils auront au moins de quoi entretenir une discussion… Ces relations influent beaucoup sur la fraternité. La fraternité commence depuis l’enfance. Si elle a manqué, elle fera défaut longtemps.

Fraternité et vie de couple

Il est malaisé de vivre avec un conjoint qui entretient une vie fraternelle positive et forte. Ces liens fructueux peuvent créer un désarroi chez le partenaire, qui se sent exclu de cette zone affective et cela peut être perçu comme menaçant pour son couple. Pourtant, c’est le contraire qui prime : des liens forts entre parents, frères et sœurs, permettent une décharge affective qui soulage le conjoint des attentes qu’il projette sur l’autre membre du couple. Il est plus sain qu’un individu reçoive sa « ration affective » par le biais de plusieurs canaux.

De l’amour à la haine

Les liens fraternels très puissants peuvent aussi naître d’une situation tragique, comme le décès de la mère. J’ai rencontré Esther quelques mois après la disparition de sa mère. Sa sœur aînée était déjà mariée et Esther a dû assumer l’éducation de ses quatre jeunes frères. Face à cette situation nouvelle et tragique, Esther, consciente de la passivité de son père, a montré un grand dévouement. Les frères ont grandi, se sont épanouis, se sont mariés. Esther a réussi, mais elle est restée seule. Intelligente et travailleuse, pourquoi ne s’est-elle pas mariée ? Le temps et l’énergie déployés pour sa famille ne lui ont pas permis de prendre le temps nécessaire pour envisager un mariage. Et que se passe-t-il à présent ? Sa sœur aînée se plaint de la place centrale qu’occupe Esther auprès de ses frères, qui instinctivement se tournent vers elle. Une véritable guerre fratricide entre les deux sœurs s’est installée ! Ce n’est pas étonnant qu’Esther n’ait pas l’énergie mentale d’entrevoir une vie de couple ! La sœur aînée sait qu’elle a perdu sa place, mais elle n’est pas prête à accepter son rejet.

La fratrie, les liens du sang, sont pour le meilleur comme pour le pire, mais jamais neutres. Il n’y a pas d’indifférence entre les frères et sœurs, c’est soit de l’amour, soit de la haine.

L’aîné

Le frère aîné a une place maîtresse dans la famille, il a la force de faire régner la fraternité au sein de sa famille, encore faut-il qu’il assume cette place ! Les lettres qui constituent le mot “Béror”, aîné, en hébreu, sont les mêmes lettres qui forment le mot “Brakha”, bénédiction. Un bon “Béror” est une bénédiction pour toute la famille. Pourtant, il m’est arrivé d’entendre : « Entre nous, nous avons des liens formidables, nous sommes tous unis … contre notre frère aîné ! »

Frères et Cie

Que faut-il faire quand des frères travaillent ensemble ? Il y a un siècle, c’était une attitude fréquente de voir des frères reprendre la succession du père. De nos jours, elle se fait plus rare, pourquoi ? Serait-ce parce que l’homme recherche son chemin selon ses affinités ? Ou bien, qu’il préfère ne pas avoir affaire à sa famille ?

Réussir

Quand un frère est dans la détresse, les frères et sœurs, même s’ils n’entretiennent pas de bons rapports, ramassent leurs forces, et s’unissent pour venir en aide au frère ou à la sœur en peine. Dans l’épreuve, les liens du sang parlent.

L’histoire nous a montré les liens merveilleux de Moché et Aharon, mais la première rivalité fraternelle fut illustrée par Caïn et Abel, dont aujourd’hui encore nous payons le prix. Toutes les haines, toutes les jalousies découlent en effet de ce premier crime, crime ô combien violent et douloureux ! Caïn ignorait que sa volonté d’anéantir son frère irait réellement jusqu’à la sortie de la Néchama, l’âme d’Abel ... Pour nous, un homme averti en vaut deux.

Les frontières de l’amour et de la haine sont tellement proches, elles réclament prudence et vigilance. Aussi, éviter la rivalité, savoir prendre des distances, c’est le secret de la fratrie.

La réflexion et la prière aident l’individu à voir clair en lui, et à regarder lucidement ses faiblesses. Chemin faisant, il gagne en confiance en lui et en foi en Hachem. Alors, il pourra avancer, rassuré… avec son frère !