Cela vous est-il déjà arrivé que quelqu’un arrive à l’improviste chez vous, alors que la maison est sens dessus dessous ?! C’est la honte, n’est-ce pas ?! Pourquoi cette honte n’est-elle ressentie que par la femme, et est bien moins ressentie par l’époux ou les enfants ?
Pour la simple et bonne raison que, pour la femme, la maison représente un peu d’elle-même. Si la maison est dans un désordre honteux, c’est la femme qui se sent honteuse. Même si parfois, cela peut être un peu exagéré, il y a un bien-fondé à ce ressenti. En effet, quand une maison est un endroit chaleureux et plein d’amour, dans lequel on se sent bien, c’est toujours grâce à la femme qui insuffle une telle atmosphère.

Ainsi, quand dans notre Paracha, Bil’am fait la louange des Bné Israël en disant : “Qu'elles sont belles tes tentes, ô Ya'acov ! Tes demeures, ô Israël !”[1], il complimente en tout premier lieu les femmes juives[2].

Rachi se pose la question : Qu’a-t-il vu pour lancer une telle exclamation ? Il répond : Il a vu chaque tribu campant à part sans se mélanger, il a vu que les entrées de leurs tentes ne se faisaient pas face, de sorte que l’on ne pouvait pas voir chez son voisin.[3]

Ce n'était pas simple du tout comme affaire ! En effet, il faut s'imaginer qu'il y avait plusieurs centaines de milliers de tentes et ils ont quand même réussi de façon très ingénieuse à arranger cette multitude de tentes dans une configuration digne des plus grands casse-têtes. Quelle prouesse ! C'est dire à quel point les Juifs étaient préoccupés à veiller à préserver l'intimité de chaque foyer...

Et ce n'est pas un fait anodin, puisque lorsque Balak a demandé à Bil’am s’il parviendrait à maudire le peuple juif, Bil’am lui a répondu qu’a priori oui, sauf si le peuple juif se trouve dans une atmosphère de Tsni'out (intimité) et de de Kédoucha (pureté), auquel cas, ses malédictions seront vaines, car la protection d’Hachem se trouve alors au niveau maximal.

Ainsi, préserver notre foyer des regards extérieurs est quelque chose d'essentiel.
Mais ce n’est pas seulement qu’il est important de protéger notre intérieur, il faut aussi veiller à empêcher notre propre regard de scruter chez les autres. Dans le désert, personne ne regardait ce que le voisin avait fait ou la voiture qu’il avait achetée ! Personne ne remarquait que le voisin avait acheté des nouveaux meubles ou qu’il avait élargi l'étendue de sa superbe terrasse. Ou encore, personne ne scrutait le comportement des enfants du voisin pour constater qu'ils se comportaient bien mieux que les siens ! En d'autres termes, chaque personne savait rester concentrée sur sa maison et savait faire en sorte que les membres de la famille s’y sentent bien, notamment parce qu’on ne se compare pas aux autres.

De plus, Rachi nous donne là une leçon d’une subtilité incroyable. Il fait le lien entre la notion de “tribu” et la notion de “tente”.
Que symbolise la notion de “tribu” ? Elle renvoie au particularisme. En effet, on sait que le peuple juif est partagé en tribus et que chacune de ces tribus possède un attribut spécifique. Les Juifs de la tribu d’Issakhar étaient doués pour étudier la Torah avec un dévouement particulier, ceux de Zévouloun étaient plus tournés vers le business, les Leviim étaient ceux en charge du service Divin dans le Sanctuaire etc.
La tente, quant à elle, renvoie, comme nous l'avons vu, à la notion d’intimité.

Ainsi, Rachi nous dit que le particularisme et l’intimité sont deux notions intimement liées. Comment ? C’est en ayant des moments d’intimité avec soi-même que l'on va pouvoir être à l’écoute de soi-même et, ainsi, découvrir son particularisme. À l'heure d'internet, des blogs, des tweets, il est devenu tellement difficile de savoir ce que l’on pense vraiment ou qui l’on est vraiment. On peut rapidement se trouver envahi par les avis des uns et des autres, jusqu’à ne plus savoir véritablement ce que l’on pense. C'est en passant régulièrement des moments seuls qu'on va apprendre à se connaître. C'est en réservant des petits moments qu’à soi (par exemple, en éteignant les téléphones, en allant marcher, en écoutant de la musique tranquillement chez soi, ou en faisant une activité créative, comme du dessin ou de la poterie) qu'on va aller véritablement à la rencontre de soi-même.

De façon plus profonde, il faut apprendre à se concentrer sur son propre projet de vie sans chercher à vouloir copier celui des autres. Prenons l'exemple d'un couple qui a décidé d'organiser un mariage simple sans artifices avec un budget raisonnable. Puis, la fille voit des photos de son amie qui vient de se marier : "Oh quelle belle robe", "Quelles fleurs magnifiques", "Olala ! Mais c'est le chanteur dernier cri qui est venu chanter sous leur 'Houppa" etc. Très rapidement, son avis change et elle se convainc qu'il faut investir, car oui, elle aussi mérite un beau mariage ! Et c'est ainsi que notre couple si raisonnable commence déjà sa vie de couple endetté...

Ou bien, par exemple, une femme qui ne ressent pas particulièrement le besoin de voyager, mais lorsqu'elle découvre sur les réseaux sociaux que son amie est partie en Thaïlande, tout d'un coup, elle ressent le besoin de faire le tour du monde ! Mais est-ce vraiment ce qu'elle veut ou est-ce l'influence de l'extérieur qui lui fait changer d'avis comme une girouette ?

Lorsque Bil’am parle du peuple juif, il emploie des expressions du type : “ce peuple”[4], ou “cette multitude”[5] et non pas d'individus ; il englobe tout le monde dans une masse. Pour lui, il n’y a pas d’individus, juste une masse de personnes qui se ressemblent. À l'inverse, la Torah fait le lien entre le mot "Tov" (bien) et la notion de “tentes” (particularisme); ce qui signifie que ce qui est bien dans la vie, c'est d'avoir conscience de nos particularismes ! Chacun d’entre nous est un être unique et spécial et ce sont nos différences qui nous permettent d'avoir des échanges enrichissants les uns avec les autres, et donc de nous bonifier.

La leçon de cette Paracha, c'est qu’il est très important de passer du temps à connaître la personne la plus importante au monde : nous-même. Et pour cela, il est nécessaire de passer du temps avec soi-même. De plus, il faut prendre conscience que chacun a une spécificité unique que l'on va découvrir au fur et à mesure de notre vie. C'est ainsi que l'on va prendre conscience de qui nous sommes vraiment et quel est notre rôle spécifique à jouer dans le monde. À nous de jouer !


[1] Bamidbar (24,5)

[2] Selon Rachi, “Ya’acov” fait toujours référence à la gente féminine et “Israël” à la gente masculine

[3] Rachi sur Bamidbar (24,2)

[4] À 12 reprises dans la Paracha

[5] Bamidbar (22,4)