Rapportons un Midrach quelque peu surprenant, liant Batya, sauveuse de Moché Rabbénou (et donc de l’ensemble du peuple juif asservi en Égypte) et la Echet ’Haïl qui se montre prévoyante. À propos du verset : « Il fait encore nuit qu’elle est déjà debout » (Michlé 31), le Midrach affirme qu’il s’agit de Batya, la fille de Pharaon. Elle était non juive, puis s’est convertie. Son nom est mentionné quand on évoque les femmes vertueuses. Étant donné qu’elle s’est occupée de Moché, elle mérita d’entrer dans le Gan Eden, de son vivant.

Le Midrach n’est pas seulement difficile à comprendre, il semble carrément ne pas être lié au verset précité. Batya, qui se convertit au judaïsme, mérita d’entrer « vivante » dans le monde futur, du fait de son souci pour Moché. La plupart des gens meurent avant d’entrer dans le Gan Eden ; seules quelques personnes, au cours de l’Histoire, entrèrent au Gan Eden de leur vivant. En quoi le souci de Batya pour Moché est preuve de prévoyance et pourquoi cela mène-t-il à une vie éternelle, différente de celles des autres femmes mentionnées dans le texte de Echet ’Haïl ?

L’histoire de la « fille de Pharaon », telle qu’on nous la présente la première fois, pourrait être considérée comme un récit quelque peu banal d’une femme choyée, qui cherchait à satisfaire son instinct maternel. Une riche princesse se promenait, accompagnée de ses servantes, pour aller prendre son bain dans le Nil. À cette époque, un décret royal avait été émis, stipulant que tous les nouveau-nés mâles juifs devaient être jetés au fleuve (en effet, Pharaon avait été prévenu par ses astrologues qu’un enfant juif allait naître et qu’il ébranlerait son royaume). Pendant que Batya – qui était la fille aînée de son père – se baignait, elle entendit un bébé pleurer. Batya comprit que l’enfant était juif, mais elle eut pitié de lui et décida de l’élever comme son propre fils. Batya avait tout intérêt de s’assurer que tous les garçons juifs soient tués. Et pourtant, quand elle découvrit un bébé abandonné, elle ne le tua pas et n’alla même pas prévenir les autorités. Elle le sauva donc d’une mort certaine.

Batya voulut qu’une Égyptienne le nourrisse, mais l’enfant refusa. Au lieu de tuer ou d’abandonner le bébé, elle envoya une fille juive (Myriam, la sœur de Moché) chercher une mère juive (Yokhéved, la mère de Moché) qui pourrait l’allaiter. Puis, elle ordonna qu’il soit élevé dans un foyer juif pendant deux années complètes (chez ses propres parents !). Batya aurait pu exiger que le bébé reste au palais avec la nourrice, mais elle fit en sorte que l’enfant grandisse avec des valeurs juives, et le plaça aux bons soins d’une famille juive.

Ces détails supplémentaires donnés par nos Sages prouvent que les intentions de Batya étaient manifestement très différentes de celles de son père. Elle véhicula un message clair et public, à tout son peuple ainsi qu’aux Juifs, et montra que le décret de Pharaon n’était pas pris au sérieux. Batya fut apparemment une participante active au renversement du pouvoir de son propre père.

Nos Sages racontent que le jour où Moché fut déposé sur le Nil ne fut pas un jour ordinaire dans la vie de Batya. Cette dernière avait compris que son père était un homme méchant et cruel, elle réalisa qu’il y avait un D.ieu unique ; la religion de son père et sa volonté de proclamer son pouvoir étaient grotesques. Ce jour-là, Batya alla au fleuve pour se laver de toutes les fautes de son passé et pour se convertir à la religion juive.

Comme nous le précise le Midrach sur Echet ’Haïl, « Elle s’occupa de Moché. » Elle ne se contenta pas de lui donner à manger et de se soucier de lui par instinct maternel. Elle voulut préparer cet enfant à devenir le leader de la nation juive : le dirigeant qui ferait sortir le peuple de l’Égypte et qui le mènerait au mont Sinaï, là où il renoncerait — une bonne fois pour toutes — au paganisme de son père.

Quatre-vingts ans plus tard, Moché entra dans la cour de Pharaon et lui enjoignit d’exempter les Juifs de leur esclavage. S’il refusait, tous les aînés, garçons ou filles, allaient mourir. Et effectivement, cette même nuit, Hachem tua Lui-même tous les premiers-nés égyptiens du pays. Seule une aînée, Batya, fut sauvée de ce terrible sort. Batya avait pris conscience de la véracité de l’unicité d’Hachem quatre-vingts ans plus tôt, durant la période la plus sombre et la plus amère de l’exil des Juifs. Et la lumière dans la vie de Batya continua à éclairer après la rédemption du peuple. Dans Divré Hayamim, on nous raconte que Batya se maria avec Méred, qui était en réalité Calev, prince et dirigeant de la tribu de Yéhouda. Ensemble, ils méritèrent d’avoir des enfants qui devinrent des prophètes et de grands érudits en Torah.

Le Midrach précise que sa véritable récompense fut d’entrer vivante dans le Gan Eden. Depuis la faute d’Adam Harichon, la quasi-totalité des êtres humains doit se débarrasser de la matérialité (de leur corps physique) et mourir avant d’entrer dans le Gan Eden. Mais Batya transcenda la matérialité de son vivant, se montrant prête à renoncer à tous les plaisirs de ce monde en vertu du Vrai et de la spiritualité. En tant que princesse, elle jouissait de tout le luxe possible. Et pourtant, elle considérait sa vie de privilèges comme vide de sens et fit tout pour compromettre son statut et son confort personnel en s’occupant de Moché. Contrairement au reste de l’humanité, Batya n’eut pas besoin de mourir pour que son corps se perfectionne et soit prêt pour le ‘Olam Haba. À travers ses choix difficiles, son âme avait déjà ennobli son existence physique dans ce monde. Ainsi, elle put entrer vivante dans le Gan Eden, sans avoir besoin d’expérimenter la mort.

Nos Sages définissent la sagesse comme la capacité à anticiper les conséquences futures des événements actuels et à prendre les précautions nécessaires. La Echet ’Haïl détient ce genre de sagesse. Elle comprend qu’autant dans le domaine spirituel que matériel, tout ce qu’elle fait ou ne fait pas, a des conséquences. Sa grandeur ne résulte pas seulement de cette compréhension des corollaires à son comportement, mais des changements concrets qu’elle effectue pour garantir les meilleurs résultats.

En pratique, nous devons prévoir la journée du lendemain, en effectuant un travail préparatoire de façon à ce que les choses se passent paisiblement. La lessive doit être pliée, les repas doivent être prêts, et il faut parfois savoir demander de l’aide avant que la crise n’éclate.

À un niveau spirituel, nous devons aussi être comme Batya et nous préparer à des objectifs spirituels. Nous devons programmer notre réaction quand notre petit bambin émiettera du ’Hamets dans toute la maison, que notre charmant fils de huit ans lancera des répliques pleines d’esprit ou d’insolence ou encore que notre mari rentrera tard et qu’il oubliera d’appeler pour prévenir. En programmant tout cela, nous pourrons agir avec dignité plutôt que de réagir aux crises quand elles surviennent.

Batya anticipa de grandes choses pour le peuple juif. Elle se prépara à participer à la création d’une nation. À l’origine, elle fit des choix difficiles, mais qui, finalement, furent à son bénéfice. Elle prit ces décisions, parce qu’elle réalisa la grandeur, la valeur de ce qu’elle s’apprêtait à construire.

Nous aussi, nous avons l’opportunité d’aider à former un peuple. Nos enfants vont un jour, avec l’aide d’Hachem, avoir leur propre famille et réaliser leur propre potentiel. En investissant temps et efforts pour eux, dans leur enfance, nous les préparons à la grandeur qui les attend. Notre implication, qui semble banale avec nos actes routiniers au sein de notre foyer, a des ramifications très importantes sur le long terme. Notre implication spirituelle portera aussi ses fruits...

Adapté d'un extrait du livre "Echet 'Haïl aujourd'hui"