Pour les lecteurs que ce titre surprendrait, il faut rappeler une fable de La Fontaine : « Les animaux malades de la peste ». Les animaux cherchent à savoir qui est responsable de l’épidémie de peste qui infeste les animaux. Alors, ils organisent un tribunal pour juger les fautes des animaux. Et, évidemment, on absout les animaux les plus forts, même s’il leur est arrivé de manger… le berger. Par contre, quand l’âne – le baudet en langage populaire – reconnaît qu’il a dévoré dans un champ de prêtres un peu d’herbe, de la largeur de sa langue, alors tous s’écrient : « On a trouvé le coupable ! Haro (Attaquons) sur le baudet » ; N’est-ce pas la réflexion qui vient à l’esprit, quand on entend qu’Israël est accusé de « crimes contre l’humanité » au Tribunal International de La Haye ?

Expliquons-nous ! Le but du Tribunal de La Haye n’est pas de découvrir qui est responsable de l’épidémie actuelle. Il n’est pas question d’accuser qui que ce soit de l’épidémie : le problème est l’existence d’Israël. On sait qu’Hertzl – en assistant comme journaliste autrichien, au procès inique d’Alfred Dreyfus, accusé à tort d’espionnage au profit de l’Allemagne, avait cru – ou peut-être, au moins espéré, que l’antisémitisme, qui le surprenait dans une France modèle depuis cent ans des droits de l’homme, il avait donc cru ou espéré que l’antisémitisme était un problème social, individuel. Quand il y aura un Etat juif, croyait-il, il n’y aura plus de haine des Juifs, et les Arabes accueilleront avec plaisir ces Juifs venus de l’Occident. Dans son livre Altneuland, il présente un personnage arabe sympathique, très ami avec les Juifs. C’est, clairement, le contraire qui s’est produit. L’Etat juif est le Juif parmi les Gentils. Il suffit de demander au représentant d’Israël à l’O.N.U. les sentiments qu’il éprouve, face aux autres diplomates. L’aversion du non-juif face au juif est bien décrite dans le livre de Roger Ikor « Les Eaux Mêlées », quand un paysan français non-juif apprend que sa fille veut épouser un juif, il éprouve une véritable répulsion. L’antipathie pour les juifs du milieu viennois dans lequel il vivait, que décrit Herzl dans son livre, s’est déplacée du plan personnel, individuel, vers le domaine national. C’est le peuple d’Israël qui pose problème.

La difficulté vient du fait que son existence ne s’inscrit pas dans les méandres de l’Histoire universelle. L’histoire du peuple d’Israël transcende le temps, puisque ce peuple est lié à la Transcendance Qui a créé le monde. Mais ce n’est pas cet aspect que l’on veut souligner ici. Paul Valéry écrit que les civilisations savent, elles, qu’elles sont éphémères. Lévi-Strauss en a fait la démonstration à propos des civilisations amérindiennes !  Le problème qu’il nous faut affronter, c’est la façon dont les nations acceptent ou refusent cette pérennité d’Israël.

C’est à ce stade que le problème est posé : pourquoi et comment cette toute petite minorité – quelques dizaines de millions face à six milliards d’êtres humains – se maintient, survit au-delà du temps et défie les circonstances. Ici apparaît le baudet, l’âne, qui n’a presque rien à se reprocher et qui fait face à un tribunal hostile. Seul, parmi les animaux, il n’a pas beaucoup de chances de résister devant l’hostilité des autres ! « On le lui fit bien voir », en l’exécutant, dit le fabuliste.

La survie d’Israël est un refus d’être le « bouc émissaire » des nations, de disparaître de la face de la terre. Certes, il y a des Justes parmi les nations. Il est intéressant de relever qu’une dizaine d’années après l’affaire Dreyfus, un colonel juif français, Mayer, a été un des officiers qui ont le plus influencé le Général de Gaulle (v. le livre de Jean Lacouture sur la vie de « De Gaulle »). De nombreux français vinrent en aide aux Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Mais l’orientation générale est cette difficulté face à une civilisation qui, même dans la globalisation actuelle, refuse d’accepter le particularisme d’Israël.

C’est précisément cette spécificité de la Torah qui consiste à ne pas se mêler aux autres nations qui le fait considérer comme le « baudet » de La Fontaine. Quelque révoltante que soit cette convocation à La Haye, elle nous rappelle notre particularité et nous impose la fidélité à notre tradition. Sans la fidélité à l’observance, sans les relations intimes entre le Juif et son Créateur, le peuple d’Israël perd sa raison d’être. Le Maharal explique que le rôle du Juif dans le monde est d’être le symbole de l’unité. Le Maharal insiste sur l’opposition entre les nations qui représentent le Multiple face à Israël qui représente l’Un, l’unité absolue. C’est à ce niveau qu’il faut comprendre l’invitation du Tribunal international. Sans parler du ridicule de reprocher à Israël des « péchés de guerre » alors que tant d’autres nations en commettent constamment, au-delà de cet aspect scandaleux en soi, il n’y a pas de plus grande opposition entre le Multiple et l’Unique. Rien n’est plus opposé que le matériel et l’éphémère, face au spirituel et l’éternel. Les empires, malgré leur puissance, sont fragiles, mais l’Unité, quelque faible qu’elle apparaît, est stable et porte le message du spirituel. Une civilisation en déclin, une société aux abois ne peut supporter le grain de sable qui met en doute la stabilité de l’édifice. Une infime parcelle de spiritualité assure le destin du Divin, la présence du Créateur dans la Création. Il nous importe de le comprendre, d’en être dignes, afin de repousser les scories de l’Histoire et permettre l’avènement de l’ère messianique.