Après avoir mentionné les lois de la Sota et du Nazir, la Torah enjoint aux Kohanim de bénir la nation (Birkat Cohanim).[1] La bénédiction termine par les mots « Véyassem Lékha Chalom – Qu’il place pour toi la paix ». Le Sifri rapporte une divergence d’opinions quant à la paix à laquelle la Torah fait référence : Rav ’Hanina Sgan Hakohanim estime que cela correspond au Chalom Baït, l’harmonie conjugale, tandis que Rav Nathan pense que cela se réfère à la paix nationale (de la royauté de David). Le Mikdach Mordékhaï[2] affirme que ce débat est difficile à comprendre – comment la même bénédiction peut-elle mener à deux avis tellement différents ?

Il explique que le Livre de Bamidbar parle d’abord de sujets relatifs à l’ensemble de la nation (comme la taille, le rôle et la position des différentes tribus). Puis, la Torah passe soudainement à la Sota. Elle décrit le processus que doit suivre celui qui suspecte sa femme d’avoir commis un adultère avec un autre homme ; il l’avertit, lui enjoint de s’éloigner de cet homme, mais la trouve, par la suite, isolée (Yi’houd) avec lui. Cette Mitsva se focalise sur la relation conjugale et semble n’avoir aucun rapport avec le sujet précédent, qui concerne l’ensemble du peuple.[3]

Il ajoute qu’il existe en réalité un lien très étroit entre ces deux sujets ; il s’agit de « Lémichpé’hotam Lébeth Avotam – selon leurs familles, selon la maison de leur père ». La Torah répète l’idée d’une nation composée de familles et insiste sur leur compte. Il s’agit, certes, d’un peuple de 600 000 hommes aptes au service militaire, mais elle met l’accent sur la formation de ce peuple et de ces tribus. Le Mikdach Mordékhaï précise que l’on fait ici allusion au fait que le peuple d’Israël est basé sur la cellule familiale. Si celle-ci est forte et stable, elle permettra à la nation de l’être également. D’où l’insertion du paragraphe concernant la Sota. La Torah nous enseigne que quand la cellule familiale est affaiblie, comme dans le cas de la Sota, tout le peuple est ébranlé. Si elle n’est pas solide, on en viendra à suspecter l’adultère de la femme. Et finalement, toute la structure du peuple s’effondre…

Grâce à cette explication, il concilie les deux opinions concernant la Birkat Kohanim ; les deux Sages ne sont pas en désaccord. Tous deux admettent que l’accent est mis sur la paix au sein du peuple. Mais pour atteindre ce but, deux sortes de paix sont nécessaires – la paix avec les peuples alentours et celle qui règne dans les foyers. Or pour être digne de cette dernière, l’harmonie familiale est impérative. Ce grand peuple – le Klal Israël – n’est autre qu’un groupe de familles et si elles sont en déséquilibre, la paix nationale est menacée.

Nous tirons de ce développement la leçon suivante : nous ne pouvons espérer la paix parmi la nation si l’harmonie ne règne pas au sein des couples. Rav Chlomo Zalman Auerbach personnifiait ces deux aspects. Il était connu pour être l’« homme de paix », aimé de tous et les milliers de personnes présentes à son enterrement, venues pleurer l’immense perte, en fut la preuve. Il fut également inégalé dans son Chalom Baït, ce qu’il démontra lors de l’enterrement de sa femme. L’habitude veut que les proches du défunt lui demandent pardon pour les éventuelles peines qu’ils lui causèrent. Quand Rav Auerbach prit la parole, il affirma qu’il était certain de n’avoir jamais affligé sa femme, durant les nombreuses décennies passées ensemble, mais qu’il demandait tout de même pardon, conformément à la coutume. Il n’est pas étonnant qu’une personne qui fut capable d’atteindre un tel niveau puisse également incarner la paix au niveau national.

 

[1] Bamidbar 6,23-27.

[2] Rapporté par Rav Issakhar Frand.

[3] On pourrait poser la même question sur le paragraphe du Nazir qui suit celui de la femme Sota. Mais la Guémara (Sota 2a) donne la raison de son positionnement dans la Torah. Elle explique que le soupçon de débauche a probablement pour origine, l’abus de vin. Ainsi, l’individu, en voyant ce qu’il est advenu de la Sota, souhaitera s’abstenir de vin. Ainsi, une fois que l’on comprend la position du paragraphe de la Sota, on peut comprendre pourquoi celui du Nazir le suit.