« Ils prirent Loth et ses biens - le fils du frère d’Avram - ils s’en allèrent, car lui demeurait à Sodome… Avram entendit que son frère avait été fait prisonnier. Il arma ses disciples, ceux qui avaient grandi dans sa maison, trois cent dix-huit, il poursuivit jusqu’à Dan… Il rapporta tous les biens. Et il ramena aussi Loth, son frère, et ses biens, et aussi les femmes et le peuple. » (Béréchit 14,12-14-16)

La Paracha décrit la première guerre mondiale de l’histoire, celle entre les quatre rois et les cinq rois. Les quatre rois capturèrent Loth, le neveu d’Avraham. De ce fait, Avraham sortit en guerre contre ces puissantes nations avec une armée relativement minuscule - trois cent dix-huit hommes[1] seulement - et parvint à sauver Loth

Plusieurs commentateurs soulèvent une question Halakhique à propos de la décision d’Avraham d’aller combattre quatre peuples afin de libérer Loth.[2] La Torah nous enjoint : « Tu ne te tiendras pas sur le sang de ton prochain ». [3] Cela nous oblige à ne pas rester les bras croisés lorsque notre compatriote juif est en danger, mais à faire tout notre possible pour le secourir. Or, la plupart des décisionnaires statuent que cette injonction n’est en vigueur que s’il n’y a pas ou s’il y a peu de danger à essayer de sauver la personne. En revanche, si ce sauvetage présente un risque sérieux, nous ne sommes pas tenus de l’entreprendre. Ils tranchent même qu’il serait interdit d’essayer de sauver la personne, parce qu’il n’est pas permis de mettre sa propre vie en danger. Le Choul’han 'Aroukh [4] semble également statuer de cette façon. Or, nos Sages enseignent que les Avot ont respecté toute la Torah, et l’on se demande donc comment Avraham se permit-il de risquer sa vie pour sauver Loth.[5]

Le Da'at Nota propose une réponse. Avraham savait qu’il serait miraculeusement à l’abri de tout danger et il ne courait donc aucun risque réel.[6] Cette explication pose toutefois un problème ; un principe connu stipule que « Ein Somkhin Al Haness » - il est interdit de compter sur les miracles. Mais on peut l’expliquer par l’opinion du Ramban sur un autre épisode de la Paracha.

Avraham quitta Erets Israël immédiatement après son arrivée, à cause d’une famine. Le Ramban explique que ce fut un grand péché[7]. Il estime qu’Avraham aurait dû avoir confiance en Hachem et rester en Erets Israël, malgré la terrible famine qui mettait les vies humaines en péril, d’après les lois de la nature. Rav Berkovits explique l’opinion du Ramban — les lois de la nature ne s’appliquent pas à Avraham, donc celui-ci était tenu de rester et d’avoir confiance en Hachem qui lui donnerait à manger, d’une manière ou d’une autre.

D’après le Ramban, pourquoi le principe de « Ein Somkhin Al Haness » ne concerne-t-il pas les Tsadikim ? Hachem n’aime pas enfreindre les lois de la nature pour un individu. En effet, lorsque de tels événements se produisent, ils retirent à l’homme son libre arbitre, sa capacité de décider de servir D.ieu ou non. Une fois qu’il a vu clairement la manifestation de Sa présence, il n’a pas d’autre choix que de croire en Lui. De ce fait, une personne normale ne peut pas compter sur un Ness, parce qu’elle force Hachem à changer les lois de la nature et à provoquer une sorte de déséquilibre dans son libre arbitre. En revanche, le Tsadik sait clairement que tout vient d’Hachem, au point que les événements qui transcendent la nature ne modifient pas sa façon de penser ni son libre arbitre. En effet, indépendamment de ces « miracles », il est pleinement conscient de la présence d’Hachem. Puisque pour lui, le Ness ne diffère pas de la nature, le Ramban estime qu’il n’est pas soumis à l’interdit de compter sur des miracles. Nous comprenons donc pourquoi Avraham fut autorisé, voire obligé, d’essayer de sauver Loth, parce qu’il était à un niveau où il pouvait compter sur des miracles.

Bien sûr, nous ne sommes pas à ce niveau et nous ne sommes pas autorisés à nous mettre en danger pour sauver une personne. Cependant, les décisionnaires limitent cet interdit aux situations où il y a un risque réel, mais quand il n’y a qu’un petit danger, nous devons sauver nos compatriotes juifs de situations dangereuses. D’ailleurs, cela ne s’applique pas seulement aux situations de danger physique, mais aussi aux cas où une personne risque de subir une perte financière, un déclin spirituel ou autres domaines

Avraham Avinou nous apprend que, dans le cadre de la Halakha, nous devons faire notre possible pour sauver nos semblables de tout type de préjudice.

 

[1] Nos Sages affirment qu’il s’agissait en fait d’un seul combattant — Eliézer.

[2] Voir Ohel Moché, Béréchit 14,14 ; Ahavat ’Hessed, introduction ; Da'at Nota, Parachat Lèkh Lékha, p. 425 ; Guévourat Its’hak Lekh Lékha, Siman 15.

[3] Vayikra 19,16.

[4] Voir Chout Radbaz, 3ème partie, Siman 1052, Sma, Choul’han Aroukh, ’Hochen Michpat, Siman 426, Séif Katan 2 ; cf. Kessef Mishné Hilkhot Rotséa’h, chapitre 1, halakha 14.

[5] Le Néfech Ha’haïm explique qu’avant le don de la Torah, les Avot respectaient la Torah mais elle n’était pas aussi contraignante qu’après Matan Torah. Ainsi, ils savaient parfois qu’il convenait de faire quelque chose qui aurait été interdit après le don de la Torah. Par exemple, Ya'acov Avinou se maria avec deux sœurs, Amram se maria avec sa tante, Yokhévèd. L’avenir du Klal Israël dépendait de ces deux décisions, mais cela n’explique pas pourquoi Avraham estima qu’il était justifié de risquer sa vie pour sauver celle de son neveu emprisonné.

[6] Da'at Nota, Parachat Lèkh Lékha, p. 425 — une réponse de Rav ’Haïm Kanievski. Autre réponse proposée ; Avraham avait déjà reçu la promesse qu’il aurait une progéniture. Étant donné qu’il n’avait pas encore d’enfant, il ne craignait pas de danger. Le Guévourat Its’hak donne une réponse différente. Les quatre rois avaient pour but, en emprisonnant Loth, d’inciter Avraham à venir le libérer pour pouvoir tuer ce dernier. C’était donc une guerre entre les quatre rois et Avraham. Or, les décisionnaires tranchent qu’en temps de guerre, l’interdit de se mettre en danger ne s’applique pas.

[7] cf. Rachi, ibid. qui affirme que Avraham avait raison de partir d’Erets Israël.