La paracha de Vayakhel s’inscrit dans la série de textes débutée avec Terouma et qui sont consacrés à l’édification du Mishkan, le sanctuaire. Ces textes se complètent mutuellement tout en reprenant un champ lexical commun, notamment quant aux qualités requises pour participer à cette entreprise sacrée.

Comme nous l’avons vu ces dernières semaines, les artisans devaient être « sages de cœur » « ‘hakham lev », doués des différentes nuances d’intelligence (‘hokhma, bina, da’at), obéissant fidèlement la parole de D.ieu, mais aussi généreux.

En effet, depuis les premiers mots de la paracha de Terouma, le texte nous précise qu’il était fait appel à la générosité spontanée du peuple pour apporter les matériaux nécessaires à la confection du sanctuaire. « Invite les enfants d'Israël à me préparer une offrande de la part de quiconque y sera porté par son cœur » (Exode 25.2), ou encore cette semaine « Prélevez sur vos biens une offrande pour l'Éternel; que tout homme de bonne volonté l'apporte, ce tribut du Seigneur » (Exode 35.5). Les contributions dédiées au mishkan devaient être prélevées non pas sous la contrainte, mais librement, spontanément et avec générosité de cœur.

Et de fait, nous constatons que les Bné Israël, les femmes comme les hommes, ont répondu avec enthousiasme à cette demande. Ils ont été si généreux que Moshé a dû leur demander d’arrêter d’apporter des offrandes car ce qui avait été collecté était suffisant.

Il est intéressant de constater que la description de la construction du sanctuaire se trouve dans le livre de Shémot, l’Exode, consacré à la formation du peuple Juif qui passe d’un état de servitude à la liberté, et y reçoit la Torah. On aurait pu penser que la place naturelle de ces textes était dans le troisième livre du Lévitique qui décrit notamment le service divin lié au Mishkan.

Comme le suggère le Rav Jonathan Sacks, la présence de cette description dans le livre de l’Exode, où se bâtit le peuple Juif et où il fait l’apprentissage de sa liberté, nous rappelle que l’indépendance et la proximité avec D.ieu ne s’acquièrent que par le travail, l’effort, et l’autonomie et non dans un état de dépendance.

Nous pouvons également noter que durant ces passages où le peuple travaille, il ne se plaint pas, il ne se révolte pas, contrairement aux autres récits de la Torah où nous assistons à une série de plaintes et de rebellions. Il est bien connu que la nature a horreur du vide, or, si nous laissons notre esprit oisif, la « nature » se chargera de l’occuper en lui suggérant des occupations, des « passe-temps » souvent délétères, mais aussi des motifs d’insatisfaction, de désagrément et de plainte. En revanche, quand l’homme s’attèle, librement bien-sûr, à une tâche, qu’il fournit un effort et s’inscrit dans un projet constructif, il ne pense plus à se plaindre et s’accomplit pleinement dans son travail.

Voilà le sens probablement du conseil donné par les Sages : ne dites pas vos « enfants » (banayikh) mais vos « bâtisseurs » (« bonayikh »). L’ambition de la Torah n’est pas de maintenir l’homme dans un état d’enfance et de dépendance mais plutôt de lui permettre d’accéder au stade adulte, de « bâtisseur ».

Pour paraphraser ce que disait Kennedy lors de son discours d’investiture, nous pourrions dire qu’il convient de se demander non pas ce que D.ieu peut faire pour nous, mais plutôt ce que nous pouvons faire pour D.ieu. C’est ainsi que l’on peut espérer devenir de véritables associés de l’Eterrnel dans le projet de la création, et acquérir notre dignité par le travail, l’effort et la construction intérieure.

C’est ainsi que le livre de l’Exode commençait par le travail servile et contraint de la construction de villes pour Phraraon et qu’il s’achève par le travail volontaire et libérateur de la construction du Mishkan. Les hommes ont quitté la servitude de l’Egypte pour s’élever dans le service divin.

Examinons à présent, la dynamique principale qui sous-tend l’édification du mishkan : la générosité. Comme nous l’avons vu dès les premiers mots de Terouma, la Torah exigeait des offrandes volontaires et non contraintes, comme il est dit « asher yidevenou libo » « que son cœur le portera spontanément à donner ».

A travers cet acte libre et généreux, le peuple imite à son niveau, la générosité du Maître du monde lors de la Création. En effet, la construction du mishkan doit être lue en parallèle de la construction du monde, car le sanctuaire a vocation à être un « microcosme ». C’est ainsi que Betsalel a été choisi pour construire le mishkan car il avait une connaissance intime de la création du monde « il connaissait les lettres par lesquelles le ciel et la terre ont été créées ».

En « donnant », l’homme s’ouvre au monde, s’ouvre à son prochain, et il comprend que sa vie est elle-même le fruit d’un don, le don de D.ieu. Il perçoit également que l’ensemble de l’univers est un cadeau que l’Eternel a fait aux hommes. Il porte alors un nouveau regard sur la réalité qui l’entoure, il comprend que « le monde est l’immense « galerie d’art » de D.ieu est que Ses chefs d’œuvre sont partout » (R. J. Sacks).

Les grands maîtres du judaïsme confiaient ainsi que la contemplation de la nature suscitait en eux une intense émotion et une immense gratitude vis-à-vis du Créateur. A-t-on déjà pris le temps de porter un regard authentique sur la nature, et de s’attarder, par exemple, sur une simple rose, pour remarquer la douceur de ses teintes, sa parfaite symétrie, la beauté fragile de ses pétales ? Lorsque nous portons un tel regard sur le monde, nous allons d’émerveillement en émerveillement, et de gratitude en gratitude !

Notre quotidien est en réalité rempli des cadeaux que l’Eternel nous donne, et nous ne pouvons en prendre réellement conscience que lorsque nous-mêmes nous nous attelons à donner ! Nous agissons alors à l’image du Maître du monde Qui donne sans cesse, et nous Lui témoignons par notre générosité notre gratitude pour tous le dons dont Il nous comble.

Aucune méditation ne rapproche autant de D.ieu que le simple fait de donner à son prochain ou pour une œuvre spirituelle. Lorsque l’homme se dessaisit de ce qu’il possède, il s’élève au-dessus de sa condition humaine qui le pousse naturellement à l’égoïsme, il reconnaît que ce qu’il détient ne lui appartient pas réellement mais lui a été donné par l’Eternel comme un cadeau dont il doit faire le meilleur usage.

La grande sainteté du mishkan provient précisément de la pureté des cœurs qui ont contribué à son édification, et non de son agencement matériel.

Puissions-nous, avec l’aide de D.ieu, retrouver cette pureté afin d’être à nouveau appelés à fouler le parvis du troisième Temple et y accueillir le Mashia’h.