La Haftara de cette semaine, Yitro, est issue du livre de Isaïe et notamment des chapitres six et sept. Selon notre tradition, cette Haftara coïncide avec le début de la vocation prophétique d’Isaïe et avec les premières paroles que D.ieu lui transmet.

Les chapitres qui précèdent cette Haftara, notamment le premier qui contient la Haftara de Dévarim que nous lisons avant Ticha Béav, forment selon nos Sages une sorte d’introduction au livre d’Isaïe et pose d’emblée les termes du défi que devra relever le prophète. Ce dernier aura effectivement pour mission de susciter le repentir du peuple et d’amender son comportement. Il s’adresse également aux dirigeants du peuple, les exhortant à consolider l’esprit de justice et de morale qui doit prévaloir au sein de leurs royaumes.

Comme nous le voyons dans notre texte, Isaïe avait développé une très grande élévation spirituelle, puisqu’il lui a été donné le mérite de voir le Trône divin avant même d’être distingué comme prophète.

Notre Haftara évoque un passage bien connu du livre d’Isaïe, qui est inclus également dans la liturgie quotidienne que nous prononçons lors de la répétition de la Amida. Il s’agit des versets de la Kédoucha où nous disons : « Kadoch Kadoch Kadoch Hachem Tsévaot, Mélo Khol Haarets Kévodo » (Saint, Saint, Saint, Hachem Tsévaot, toute la terre est emplie de Sa gloire). Comme nous le voyons, ces paroles sont prononcées par les anges autour du Trône divin.

Suite à cette vision, Isaïe entend D.ieu s’interroger sur la difficulté de trouver un émissaire qui puisse relayer la Parole divine auprès du peuple. Isaïe propose alors immédiatement d’être lui-même cet envoyé de D.ieu auprès du peuple juif. Cette spontanéité dans la volonté de servir Hachem est considérée comme un des grands mérites d’Isaïe et qui lui a valu notamment sa grande élévation spirituelle.

Les premières missions prophétiques que doit remplir Isaïe concerne d’une part l’exhortation du peuple à faire Téchouva, à revenir vers D.ieu. Il prophétise également l’exil et la désolation mais aussi le retour du peuple sur sa terre ancestrale ; et, enfin, l’engagement de D.ieu que le peuple juif aura une présence éternelle sur terre.
 

Liens entre la Haftara et la Paracha

Nous pouvons relever plusieurs points communs entre notre Haftara et la Paracha. Nos deux textes évoquent tout d’abord une révélation extraordinaire : la Paracha évoque la révélation d’Hachem sur le mont Sinaï et le don de la Torah. La Haftara, pour sa part, évoque la révélation et la vision du Trône divin par Isaïe.

Nous remarquons également que suite à la perception de la Présence divine, le peuple d’Israël craint de mourir dans notre Paracha et demande à Moché d’être leur intermédiaire ; de même, Isaïe est pris de frayeur après sa vision du Trône divin.

Notre Paracha nous présente le peuple juif acceptant la Torah avant même de l’avoir étudié : « Naassé Vénichma » (nous ferons et nous écouterons). De même, dans la Haftara, Isaïe accepte sa mission prophétique sans en avoir les détails, dès qu’Hachem demande qui sera Son émissaire.

Par ailleurs, de même que Moché évoque sa difficulté à parler et redoute de ne pas être à la hauteur de son destin, le prophète Isaïe également déplore « ses lèvres impures » et craint de ne pas être à la hauteur de sa mission.

Enfin, dans la Paracha, le peuple juif est qualifié de peuple saint. De même, à la fin de notre Haftara, le prophète nous rappelle qu’avec l’aide d’Hachem, la descendance sainte du peuple d’Israël sera présente pour toujours sur terre.
 

L’écho de la Haftara

Avant de prononcer l’éloge d’Hachem (la Kédoucha), Isaïe nous précise que les anges s’interpellent mutuellement. Et nos Sages de nous préciser qu’en réalité, avant de prononcer cette louange, les anges se demandent mutuellement la permission de parler, et s’invitent à parler. Ces égards témoignent ainsi d’une forme de réserve et de courtoisie des anges. Ils ne cherchent pas à s’exprimer en premier ni à imposer leurs paroles. Ils ne ressentent pas de compétition entre eux mais se consultent entre eux avant de parler collectivement.

Cette vertu des anges est effectivement assez rare notamment dans les relations sociales entre pairs. Et, de fait, les hommes ont bien souvent la tentation de dire ce qu’ils savent le plus vite possible afin de se distinguer et témoigner de leur intelligence et de leur sagesse.

Le Rav Avraham Pam rapporte une anecdote édifiante à cet égard. A l’époque du Rav Israël Salanter, vivait le Rav Isaac Blaser, connu sous le nom de Rav Itsele Peterburger (il vivait à Saint-Pétersbourg). Il était l’un des élèves les plus proches du Rav Israël Salanter, l’éditeur de ses livres, et était lui-même connu pour sa grande érudition et sa grande piété.

Un jour, il fut invité à participer à une rencontre de Rabbanim autour du Beth Halévi, le Rav Yossef Beer Soloveitchik de Brisk. Cette réunion entre rabbins éminents donnait lieu à de nombreux débats et à des discussions enflammées entre ces collègues qui avaient l’occasion de pouvoir échanger avec le Rav de Brisk. Ce dernier leur posa ainsi une première question qui suscita de grands échanges. Au terme des échanges, le Rav apporta sa solution qui émerveilla chacun des participants. Il révéla également la solution de son fils, le Rav ‘Haïm de Brisk, toute aussi merveilleuse.

Et les débats de reprendre de bon train entre les éminents rabbins présents pour essayer de concilier les deux analyses proposées. Seul le Rav Itsele Peterburger ne parlait pas. Il restait ainsi attentif aux discussions mais ne donnait pas son avis. Au terme des échanges, le Beth Halévi donna sa synthèse à la grande satisfaction de tous les participants.

De retour chez lui, le Rav de Brisk s’étonna du silence du Rav Itsele Peterburger, d’autant plus qu’il était connu pour sa grande érudition. Il se demandait comment il était possible qu’il n’ait pas pris part aux débats de toute l’après-midi. Il demanda alors à son serviteur de lui amener le livre qu’avait écrit ce Rav pour voir son approche des textes. Il parcourut le livre et, tout d’un coup, s’arrêta, stupéfait. Le Rav mentionnait dans son livre la même question que le Beth Halévi avait posée durant l’après-midi, et proposait même les deux réponses suggérées par lui-même et son fils.

Le Beth Halévi s’émerveilla de l’humilité de cet homme qui résista à la tentation de dire qu’il avait étudié cette question, et qu’il avait même déjà écrit dans son propre livre les deux avis qui venaient d’être présentés. Il incarnait cette qualité si rare et précieuse des anges qui savent se mettre en retrait pour honorer leurs pairs.

Un autre point de notre Haftara est resté célèbre pour les enseignements qu’il recèle. Après avoir perçu la vision du Trône divin et entendu les louanges entonnées par les anges, le prophète Isaïe est saisi d’effroi : « Malheur à moi, je dois périr car je suis un fauteur ! Je réside au sein d’un peuple aux lèvres impures, or mes yeux ont vu le roi Hachem Tsévaot… »

Ces mots du prophète traduisent tout d’abord sa crainte de ne pas être à la hauteur de la révélation à laquelle il venait d’assister. Il regrette de ne pas s’être associé aux louanges prononcées par les anges qui auraient pu lui permettre de s’élever encore davantage spirituellement. Aussi, ces mots traduisent dans un certain sens sa grande ambition spirituelle, mais comme toujours, l’ambition et l’exigence que nous nous fixons doit s’appliquer à nous-mêmes. Dans notre relation à autrui, nous devons nous efforcer de juger nos proches avec bienveillance, et ne pas leur appliquer la même sévérité que nous avons pour nous-mêmes. Or, Isaïe n’a pas mentionné simplement ses propres « lèvres impures » mais a également évoqué « l’impureté du peuple ».

Hachem était mécontent de cette accusation lancée contre Son peuple et le fit savoir à Isaïe : « Tu as eu tort de dire du mal de toi-même, néanmoins tu es pardonné. Mais tu n’avais aucun droit de donner un avis sur Mes enfants. Comment peux-tu attribuer ces termes de « lèvres impures » aux enfants d’Israël qui ont prononcé les mots « nous ferons et nous entendrons » au Sinaï et qui récite le Chéma deux fois par jour, proclamant de ce fait Mon unité ? »

Cet épisode nous rappelle combien l’honneur des enfants d’Israël est cher aux yeux de D.ieu. Hachem n’attend donc certainement pas des hommes qu’ils soient des accusateurs, D.ieu préserve, les uns contre les autres. Au contraire, Hachem attend de nous que nous nous jugions avec bienveillance, que nous soyons les avocats de nos frères et non leur procureur.

Aussi vrai que D.ieu aime le peuple juif comme un père aime ses enfants. Il attend que chacun ait le cœur de défendre l’honneur de ses frères comme son propre honneur, comme nous le ferions pour nos propres frères et sœurs, ainsi que pour nos parents les plus proches dont l’honneur nous est précieux.