Rachi explique le premier verset de la Paracha : « Yitro entendit » :… Yéter, parce qu’il ajouta une section à la Torah, [celle commençant par] « Et tu verras… ».

« Le beau-père de Moché lu dit : "Ce que tu fais n’est pas bien." » (Chémot, 18:17)

« Et tu verras et choisiras parmi tout le peuple, des hommes éminents, craignant D.ieu… » (Chémot 18:21)

La Paracha commence par la réaction du beau-père de Moché Rabbénou, Yitro, aux miracles dont profitèrent les Juifs à leur sortie d’Égypte. Rachi souligne que Yitro avait sept prénoms ; l’un d’eux était « Yéter », qui signifie « supplémentaire ». Ce nom lui a été donné parce qu’il mérita d’ajouter toute une section à la Torah, dans la suite de la Paracha, alors qu’il proposa un nouveau système judiciaire pour remplacer celui déjà en place – dans lequel Moché devait gérer chaque cas. Ce prénom fait donc la louange de Yitro.

Toutefois une question peut être soulevée sur l’interprétation de Rachi. La critique de Yitro commence au verset 17 (« Ce que tu fais n’est pas bien »), alors pourquoi Rachi cite-t-il le verset 21 pour évoquer cet épisode ? Pourquoi ne pas rapporter le verset qui marque le début du dialogue entre Yitro et Moché ?

Ce passage de la Torah vient faire l’éloge de Yitro qui mérita d’ajouter une section dans la Torah. Or les quatre premiers versets de sa proposition ne sont pas des propos positifs, ce sont des critiques quant aux problèmes du système existant. Ce n’est qu’au verset 21 qu’il suggère une nouvelle approche. Le mérite de Yitro n’est pas sa capacité à blâmer (il est très facile de décrier sans donner d’idée constructive pour améliorer les choses), mais il est félicité pour l’alternative avancée.

Ceci nous enseigne une leçon importante. Il n’est pas nécessaire d’avoir de grandes qualités pour voir les points négatifs d’une situation ou d’une personne, cela indique plutôt que l’individu a un Ayin Raa – tendance à se concentrer sur les aspects négatifs des événements et des gens, ce qui est malsain. En revanche, savoir comment rectifier les problèmes présents demande une capacité à penser de manière positive, constructive.

La critique peut être utilisée pour le bien et pour le mal. Cela peut être un défaut ou une qualité. Pour qu’elle soit correcte, il faut qu’elle soit vecteur de changement, d’amélioration. Rav Yérou’ham Leibovitz écrit que Yitro était un personnage très critique, mais qu’il utilisa ce trait de caractère pour le bien[1]. Pour savoir si une personne fait bon emploi de ses remarques, il suffit d’analyser sa manière d’agir et ses motivations : essaie-t-elle d’améliorer les conditions de l’autre ou bien cherche-t-elle à grandir et parfaire sa propre situation ?

La mauvaise critique consiste à ne voir que ce qui va pas chez l’autre, mais sans user de cet outil pour examiner ses propres failles ou erreurs. Yitro eut un esprit contestataire qui lui permit de se demander s’il vivait réellement dans le Vrai et s’il le recherchait sincèrement. ’Hazal affirment qu’il était un grand idolâtre, servait plusieurs divinités et comprit qu’elles étaient toutes fausses. Et quand il reconnut la véracité de la Torah, il adhéra à cette Vérité, ne ménagea aucun effort pour changer complètement son mode de vie et pour rejoindre le peuple juif.

L’opinion personnelle est très importante dans l’étude de la Torah et dans la vie en général. Le judaïsme ne prône pas l’acceptation aveugle de tout ce que l’on entend, sans se poser de questions et sans chercher à comprendre et à approfondir. Une personne de nature critique en arrivera plus facilement à la Vérité.[2] Et la critique accompagnée d’un œil positif est une base qui permet d’accomplir des changements bénéfiques dans le monde. Yitro réalisa que le système judiciaire était problématique, mais il ne se contenta pas de le blâmer – il chercha et trouva une solution.

L’histoire suivante illustre bien idée développée. Lors d’une réunion de plusieurs dirigeants spirituels de la génération (à l’époque du ’Hafets ’Haïm qui était donc présent), Rav Yé’hezkel Sarna, le Roch Yéchiva de ’Hevron prit la parole et surprit tout le monde en affirmant qu’il existait une personne qui avait accompli plus, pour le peuple juif, que toutes les personnes alors réunies ainsi que leurs illustres ancêtres. Il ajouta que cette personne n’avait jamais appris un Daf de Guémara. Puis, il termina en attestant qu’une fois qu’il aurait dévoilé qui était cette personne, tout le monde consentirait. Il s’agit de Sarah Shneirer ; cette femme vécut à une époque où les filles juives ne recevaient aucune éducation « formelle » en Torah. Par conséquent, plusieurs jeunes femmes issues de familles pratiquantes s’écartaient de la Torah. De ce fait, de nombreux érudits en Torah ne pouvaient se marier, parce qu’il n’y avait pas suffisamment de partis convenables. L’avenir du peuple juif était en danger. Sarah Shneirer prit en compte cette menace et fonda la première chaine d’écoles juives pour filles, le Beth Yaacov. Elle dut faire face à une forte opposition à cette époque, mais grâce à la guidance des Guédolim tels que le ’Hafets ’Haïm et le Rebbe de Gour, son succès dépassa ses attentes et elle garantit effectivement l’avenir de l’observance de la Torah. Elle ne fut certainement pas la seule à avoir remarqué la gravité de la situation de l’époque, mais elle seule fit preuve de critique constructive et fut motivée à trouver une solution au problème.

Puissions-nous apprendre des exemples de Yitro et de Sarah Shneirer et ainsi utiliser notre esprit critique de manière constructive.


[1] Daat Torah, Yitro, p. 181-182

[2]  C’est, bien sûr, à la condition qu’il soit honnête et qu’il n’utilise pas sa nature condamnatrice pour justifier sa subjectivité. De plus, il faut faire très attention lorsqu’on critique les autres, de le faire de manière sensible, en gardant à l’esprit l’intérêt d’autrui.