La parasha Shemini est une paracha emblématique à différents égards. Tout d’abord, elle évoque un évènement fondamental dans l’histoire du peuple Juif : l’inauguration du sanctuaire. En effet, notre texte porte le nom de ce « huitième » jour qui coïncide avec Roch Hodesh Nissan, où les Bné Israël ont assisté à l’inauguration du Temple par Aharon. Ils ont alors pu assister à l’apparition d’un feu céleste qui a consumé les sacrifices et témoignait que l’Eternel agréait la construction de ce sanctuaire. Les Enfants d’Israël ont alors vécu une joie indescriptible et un moment de grande proximité avec l’Eternel.

Ensuite, note paracha évoque un évènement tristement célèbre : la mort des deux fils d’Aharon qui, en dépit de leur grande piété et de leur grande élévation spirituelle, ont pris une mauvaise initiative en amenant un feu « étranger » (non ordonné par D.ieu) sur l’autel des encens. Cet épisode permettra à la Torah d’exposer la conduite attendue des Grands-Prêtres et les prescriptions qu’ils doivent respecter.

Enfin, notre paracha se conclut sur les lois fameuses de la cacherout, elle nous décrit les aliments autorisés et ceux qui sont interdits, comment les distinguer et selon quels critères nous devons apprécier leur cacherout.

Ces différentes thématiques peuvent sembler, à première vue, trop disparates pour être rassemblées sous une même paracha. Cependant, à y regarder de plus près, elle semble nous enseigner une même leçon : quelle est la voie vers la « sainteté », vers la « kedousha » ?

Cette idée de « sainteté » est, en effet, difficile à saisir car, d’une part, elle peut parâtre vague et aux contours imprécis, et d’autre part, elle peut sembler exclusivement « divine » et hors de portée pour de simples hommes, faits de chair et de sang, aux prises avec leur matérialité, leurs instincts et leurs désirs, bons ou mauvais. Comment l’homme qui se débat toute la journée avec lui-même pour éviter de « fauter », peut-il prétendre atteindre la « sainteté » ?

Et pourtant, notre paracha est explicite dans sa conclusion : « Vous vous sanctifierez et vous serez saints car Je suis Saint ». Tout cela semble incompréhensible. Certes l’homme a été fait à l’image de D.ieu, mais il n’est que l’image, il n’est pas D.ieu. Comment peut-on attendre de lui d’être ce que D.ieu est ? Comment l’homme peut-il être « saint » ? N’est-ce pas faire fi de sa dualité intrinsèque, partagé entre spiritualité et matérialité, un bon et mauvais penchant, un « yetser hatov » et un « yetser hara’ » ?

La Torah, chers amis, n’ignore évidemment aucune de ces objections majeures. C’est elle qui nous les a enseignées. Mais, elle ne s’en tient pas à cet état de fait, elle propose à l’homme de la dépasser et elle lui trace le chemin de la sainteté, la route vers la « kedousha ».

Notra paracha trouve son unité précisément dans cette quête de « sainteté » et elle nous présente différentes options pour y parvenir. La première option consiste à vivre la kedousha à travers des moments, exceptionnels et donc rares, de grande élévation spirituelle. Il est, en effet, parfois donné à l’homme de vivre des moments de spiritualité intense où il s’extrait du tourbillon de sa vie matérielle. La présence de D.ieu semble alors l’effleurer et il ressent un sentiment de « kedousha », de grande sainteté. C’est le cas notamment de l’inauguration du Mishkan au début de notre paracha, et dans notre vie quotidienne, de certains moments clefs : la houppa, la naissance d’un enfant, la téfila de Yom Kipour…

Mais, un écueil guette alors l’homme qui peut être pris d’une « ivresse » de cette sainteté et risquer d’en faire trop. Même s’il nous est impossible de juger l’acte de Nadav et Avihou dont la grandeur et la piété dépassent notre entendement, la Torah semble nous dire que l’homme doit se méfier des impulsions spontanées de son cœur. Ces dernières ne sauraient se confondre avec la « kedousha », car elles peuvent égarer l’homme et le conduire à la démesure. L’homme doit certes servir l’Eternel avec « tout son cœur » mais il doit le faire conformément à ce que D.ieu lui ordonne, il ne peut aller au-delà.

Enfin, les derniers développements de notre paracha consacrés à la cacherout nous suggèrent probablement comment atteindre la « kedousha » dans le quotidien. Celle-ci ne doit pas dépendre uniquement de circonstances extraordinaires comme nous l’avons décrit plus haut, elle peut s’appréhender dans la vie quotidienne, y compris dans les actes les plus matériels comme ceux de l’alimentation, nécessaire à notre survie physique.

Et, de fait, il est intéressant de noter que lorsque la Torah évoque la sainteté, elle commence bien souvent par évoquer la nourriture. Le préalable à la « kedousha » semble passer par la cacherout. Différentes interprétations ont été données pour expliquer ce principe. Il est vrai que la nourriture fait corps avec l’homme, elle lui donne son énergie, et lui permet ainsi de déployer sa spiritualité. Aussi, seule une nourriture saine, préservée des influences néfastes et déstabilisatrices de l’équilibre du corps peut servir l’homme dans sa mission spirituelle.

Mais l’enjeu de la cacherout ne se limite pas à cela. Ses lois sont qualifiées également de « ‘houkim » c’est-à-dire de « lois irrationnelles », quelles que soient les explications que l’on peut leur donner. Et, c’est précisément en ce sens que la cacherout peut être qualifiée d’école de la « sainteté ». En se soumettant à ces règles, l’homme témoigne de sa capacité à se soumettre à toute la Torah. Il accepte ainsi de mettre entre parenthèse son entendement pour obéir simplement à la volonté de D.ieu.

La sainteté, la « kedousha » repose fondamentalement sur la capacité de l’homme à accepter les distinctions que la Torah lui ordonne entre les « nourritures permises » et les « nourritures interdites », entre le « pur » et « l’impur », entre la « lumière » et l’ « obscurité ».

Ces distinctions ne résument pas toute la « sainteté », mais elles en constituent le socle. Solidement ancré sur un respect scrupuleux de ces distinctions, l’homme peut ensuite laisser vibrer son cœur et pénétrer plus profondément dans l’intimité et l’esprit de la Torah pour faire ce que D.ieu attend de lui en matière de ‘hessed, d’amour du prochain, et de raffinement de ses qualités de cœur.

La cacherout, ainsi que les autres dispositions de la Torah, ne sont pas suffisantes pour atteindre la « kedousha » mais elles sont nécessaires, et on ne peut en faire l’économie. Elles représentent les fondations sur lesquelles on peut bâtir sa spiritualité.

Voilà pourquoi, lorsque des personnes désireuses de faire « teshouva », de progresser dans la spiritualité, interrogent les grands Sages pour savoir par quoi commencer, bien souvent, ils leur conseillent de commencer par la cacherout. Bien que les raisons profondes nous échappent, tout semble se passer comme si les nourritures interdites bouchaient les canaux qui nous relient à la « sainteté », les encrassaient, alors que les nourritures permises ouvrent le cœur et fluidifient la circulation des flux de sainteté.

Ce qui se joue dans la cacherout n’a, en réalité, rien à voir avec l’observance d’un régime alimentaire spécifique. On ne mange pas « cacher » comme on mange « végétarien » ou « sans gluten ». La cacherout s’appuie sur l’alimentation de l’homme pour élever sa spiritualité, et l’éduquer au respect de la parole divine.

Il est intéressant de constater que les grands antagonismes spirituels qui ont traversé la naissance de l’humanité se sont joués autour de la nourriture. La faute originelle, d’une part, repose sur la transgression de consommation d’un fruit défendu, et, d’autre part, la civilisation occidentale est issue d’Essav ou d’Edom, frère rival de Yaakov, qui se caractérisait par son goût pour la viande : « il mettait de la viande dans sa bouche », et sa rivalité avec Yaakov est née autour d’un plat de lentilles, dont la couleur rouge fait écho à son nom « Edom ».  La bénédiction originelle de Isaac avait pour préalable la réalisation d’un plat savoureux « mat’amim » (Rav Rozenberg).

Il se joue donc dans la relation à la nourriture un enjeu spirituel fondamental que l’on ne saurait réduire à un quelconque régime alimentaire, ou bien un choix binaire « moutar/assour » « aliment autorisé/aliment interdit ». Le fait que ces règles aient traversé des millénaires et soient observées avec la même minutie est déjà un miracle en soi !

La « cacherout » est ainsi une école de la maîtrise des passions, des instincts, des désirs. Elle subordonne leur satisfaction à la fidélité à la loi, et à la parole divine. Elle invite l’homme à établir des distinctions dans sa vie, entre le permis et l’interdit qui sont la porte d’entrée à une spiritualité authentique. Elle suppose, enfin, de mettre en suspens sa propre intelligence pour obéir à la Parole divine, fût-elle incompréhensible à l’entendement humain !

Revenons sur l’un des derniers versets de notre paracha. 

Nos maîtres nous invitent à ne pas interpréter cette exhortation à être saint comme une obligation de résultat qui repose entièrement sur l’homme, mais plutôt comme une obligation de moyen, une invitation à travailler sa volonté, et à donner des gages de sa bonne volonté. L’Eternel n’exige pas de l’homme qu’il devienne « saint », mais il lui demande de faire de petits pas dans Sa direction. Il lui demande, à travers certains gestes, certaines décisions, de montrer ne serait-ce que son désir d’accomplir la volonté de D.ieu. Or comme nous le disent nos Sages, lorsque l’homme crée dans sa vie une ouverture d’épaisseur du châs d’une aiguille en direction de l’Eternel, D.ieu fait tomber tous les murs et lui accorde une aide providentielle pour atteindre ses objectifs. Cette conception correspond à l’adage « Aide-toi et le Ciel t’aidera » et, comme nous le dit Rav E.Munk, « elle prend à contre-pied des doctrines non juives qui proclament que le salut de l’âme provient de la grâce » ; non, le salut de l’âme provient bien plutôt de l’effort. Et, de fait, on ne saurait mieux résumer l’esprit du Judaïsme. Comme le disent les Maîtres du Talmud, D.ieu « conduit l’homme dans la voie dans laquelle il veut aller » (Makot,10 b).

Voilà comment nous pouvons donc interpréter ce verset « Vous devez vous sancitifier et vous serez saints parce que Je suis saint » (Levitique, 11. 44) : c’est en faisant des efforts pour se sanctifier, en commençant, chacun à son niveau, à observer les commandements de l’Eternel, que l’homme peut susciter la bénédiction divine et inscrire sa vie dans le chemin de la « kedousha ».