« Hachem appela Moché… » (Vayikra 1,1)

Le Midrach raconte que Moché Rabbénou avait dix noms, chacun mettant en relief sa grandeur ou sa contribution dans le monde. Par exemple, il s’appelait Avigdor, car il était « Avihem Chel Guédarim – le père des barrières », en référence aux décrets qu’il appliqua. Il s’appelait également Yéred, parce qu’il fit descendre la Torah du Ciel… Hachem lui dit que parmi tous ces noms, Il n’utiliserait que celui que Bitya, la fille de Pharaon lui donna – Moché. Elle le nomma ainsi, parce qu’elle le retira des eaux (Chémot 2,10).

Nous savons que le nom d’une personne fait allusion à son essence. Rav ’Haïm Chmoulewitz[1] pose deux questions sur ce Midrach. Tout d’abord, pourquoi Hachem choisit-Il précisément ce nom parmi tous les autres qui indiquaient sa grandeur ? En quoi le prénom « Moché » révèle-t-il davantage son essence que les autres ? Et deuxièmement, les autres noms font l’éloge direct de Moché, tandis que le prénom « Moché » semble chanter les louanges de Bitya qui le retira du Nil. Ce prénom n’étant pas intrinsèquement lié à son essence, on comprend mal pourquoi c’est celui qui est utilisé pour le nommer.

Rav Chmoulewitz répond en rapportant un principe important – quand une certaine Mida (un trait de caractère) est utilisée à l’égard de quelqu’un, elle est absorbée en lui. Bitya fit preuve d’une grande Messirout Néfech pour faire sortir Moché de l’eau. Son père était un véritable dictateur et elle dérogea de manière flagrante à son décret de tuer tout garçon juif. Cette grande Messirout Néfech fut « imprégnée » en Moché Rabbénou. On peut ainsi répondre à la deuxième question – certes, Moché est un prénom qui fait l’éloge de Bitya, mais il montre également que Moché excella dans ce domaine, parce qu’il fut le réceptacle de cette Mida. Et pour répondre à la première question, Rav Chmoulewitz affirme que la Messirout Néfech est la plus nécessaire des qualités chez un dirigeant ; elle fut donc considérée comme plus précieuse que toutes les autres Midot ou accomplissements de Moché.

Rav Chmoulewitz ajoute une preuve au principe mentionné. Le Talmoud Yérouchalmi[2] affirme que les Juifs sont dotés de trois qualités particulières ; ils sont Ra’hmanim (miséricordieux), Baïchanim (ont honte) et Gomlé ’Hassadim (prodiguent des bienfaits). Le verset rapporté pour évoquer les bienfaits des Juifs est : « Hachem ton D. te gardera l’alliance et la bonté… »[3] Selon le sens simple, ce verset signifie qu’Hachem gardera Sa promesse de prodiguer des bienfaits à l’égard du peuple juif, mais non que les Juifs eux-mêmes se montreront bienveillants. Rav Chmoulewitz affirme que le principe énoncé s’applique également ici ; quand on fait preuve d’une certaine Mida envers autrui, cette Mida s’imprègne en lui. Donc le fait qu’Hachem prodigua des bienfaits au peuple juif transforma ce dernier en peuple charitable.

Rav Chmoulewitz estime que même un objet inerte peut être imprégné d’un trait de caractère[4]. Il souligne que Noa’h fit de gros efforts, durant une très longue période, pour construire l’arche qui éviterait l’anéantissement total du monde. Par conséquent, le bois de l’arche s’imprégna grandement du « Koa’h Hahatsala – pouvoir de sauvetage ». Le Yalkout Chimoni précise que cette force se manifesta quand Haman voulut pendre Mordékhaï, il prit une poutre de l’arche pour construire la potence. Or, cette poutre était imprégnée du « pouvoir de sauvetage » de Noa’h, plusieurs siècles auparavant. Ce Koa’h Hahatsala transforma cette poutre et la fit passer d’un élément de destruction du peuple juif à un vecteur de sauvetage !

Ce principe s’applique de diverses façons dans nos vies, mais se fait ressentir surtout dans le domaine du ’Hinoukh. On sait que l’enfant suit l’exemple de ses parents, mais l’explication du Rav Chmoulewitz va plus loin. Quand un parent agit avec une certaine qualité à l’égard de son enfant, ce dernier prend exemple, mais en plus, il absorbe cette qualité. Ainsi, celui qui fut élevé avec beaucoup d’amour et d’affection sera probablement un parent aimant et affectueux. Inversement, un enfant maltraité par ses parents a souvent tendance à maltraiter les autres.

Dans nos relations interpersonnelles, nous apprenons que la meilleure façon d’influer sur le trait de caractère de quelqu'un est de le traiter avec la qualité qui lui manque. Par exemple, agir avec bonté envers une personne égoïste pourra l’aider à devenir plus bienveillante[5].

Moché fut traité avec Messirout Néfech et incarna, à son tour, cette Mida. Puissions-nous mériter de nous imprégner des qualités avec lesquelles nous sommes traités et d’en faire preuve dans nos relations avec les autres.

 

[1] Si’hot Moussar.

[2] Kidouchin 4,1.

[3] Dévarim 7,12.

[4] Voir Si’hot Moussar, Maamar 3, p. 9-12 qui donne plusieurs preuves.

[5] Il existe bien sûr d’autres facteurs qui jouent un rôle déterminant sur les traits de caractère, mais l’idée développée indique un facteur essentiel.