"Sois attentif à un commandement facile (Mitsva Kala) comme à un commandement difficile ('Hamoura), car tu ne connais pas la récompense (Matan Skhar) des commandements."

Nous avons jusque-là évoqué diverses explications sur l'exhortation de la Michna de manifester autant de vigilance sur le respect des Mitsvot considérées comme Kalot (mineures) que celles classifiées comme 'Hamourot (conséquentes). Nous pouvons suggérer une autre interprétation possible en s'appuyant sur une idée fascinante de Rabbi 'Haïm de Volozhyne.

Il remarque que dans le Chemona Essré de Roch Hachana, nous disons que Hachem juge « Maassé Ich Oupékoudato » de chacun. Maassé Ich, ce sont les actions d'un individu, et Pékoudato est traduit littéralement comme la comptabilisation, mais qu'est-ce que cela signifie ? Il explique que chacun a une sphère d'influence au-delà de lui-même : sa famille, ses élèves, et toute personne avec laquelle il entre en contact. La manière dont il influe sur ces personnes par ses propres actions désigne ce terme Pékoudato, et il est jugé également dans ce domaine. Si, en observant sa conduite, ils apprennent à améliorer leur Avodat Hachem (service divin), il sera largement récompensé, mais si c'est le contraire, il sera jugé pour son rôle dans leurs fautes, tout comme il est jugé pour les siennes.[1] Les actions de l'homme n'ont pas lieu dans le vide, nous sommes toujours observés, et en conséquence, nous devons constamment avoir conscience de l'effet possible que nous pouvons avoir sur les autres, sans même communiquer directement avec eux.

En s'appuyant sur cette idée, nous pouvons suggérer que la Michna nous communique le message suivant : bien que la récompense pour chaque Mitsva varie, il n'en demeure pas moins qu'il existe un facteur supplémentaire qui détermine la rétribution réelle obtenue par l'individu pour la Mitsva : les effets indirects de sa Mitsva, qui peut inciter d'autres personnes à accomplir elles-mêmes plus de Mitsvot. Dans ce cas, l'individu ne reçoit pas seulement de récompense pour sa Mitsva personnelle, mais également pour les Mitsvot qu'il a entraînés d'autres à accomplir du fait qu'ils ont imité sa conduite. Par exemple, si un homme donne la charité, et que de cette manière, il inspire d'autres personnes à contribuer à cette cause, il est doublement récompensé : pour sa propre Mitsva et pour celle de son prochain.

Cette idée est illustrée par les récits suivants : attendant une grande foule à Yom Kippour, le Tsadik Rav Eliya Duchnitzer se mit à déchirer des morceaux de papier toilette pour l'usage du public dans les toilettes de la synagogue de Péta'h Tikva. Un homme laïc s'arrêta pour observer cette scène qui lui semblait étrange. « Pourquoi faites-vous cela ?» demanda-t-il. « Il y aura demain une grande foule, et je veux que personne ne se retrouve incommodé », répondit le Tsadik. Après avoir fait Téchouva, l'homme expliqua ce qui l'avait poussé à effectuer cette transformation. « Ce fut ce Rav. Chaque morceau de papier déchiré a formé une larme au plus profond de mon cœur. »[2]

Indécis sur la question d'aller à la Yéchiva à plein temps ou se lancer dans une carrière, le jeune Moché décida de se rendre à la Yéchiva pour observer de près les élèves. S'apprêtant à entrer dans la salle à manger, un élève fonça sur lui, et en conséquence, Moché renversa par inadvertance le café sur un autre garçon assis à table. Sans hésiter un instant, le garçon se leva et dit : « Hé, Chimon, apporte vite une tasse de café à Moché ! » Moché décida que si les élèves de Yéchiva se conduisaient ainsi, alors il resterait à la Yéchiva. Il devint Rav Moché Schwab, le Machguia'h de la Yéchiva de Gateshead.[3]

Dans ces histoires, des hommes ont accompli des Mitsvot relativement simples sans la moindre idée de la chaîne d'événements que ses actions enclencheraient. Lorsqu'ils recevront leur récompense dans le Monde à Venir, ils seront récompensés pour les myriades de Mitsvot qu'ils n'ont jamais réalisées, mais qu'ils ont poussé d'autres à effectuer.

Rabbi 'Haïm Chmoulévitz [4] va encore plus loin : il affirme qu'entraîner les autres à accomplir une Mitsva a encore plus de valeur que de réaliser soi-même la Mitsva. Il tire l'une de ses preuves dans la Guémara de Sota [5]: la Guémara explique que le corps de Yéhouda ne trouva pas de repos avant que Moché Rabbénou ne prie pour lui et mentionne l'un de ses mérites. Moché dit à Hachem : « qui a entraîné Réouven à admettre sa faute (d'avoir déplacé la couche de son père) ? Yéhouda (lorsqu'il admit l'incident avec Tamar). » Rav Chmoulévitz souligne que le seul mérite mentionné par Moché dans sa prière a été que Yéhouda a entraîné l'aveu de Réouven. Pourquoi n'a-t-il pas mentionné plutôt le grand mérite de la propre confession de Yéhouda, un remarquable acte de courage qui a sauvé la vie de trois personnes ?! Nous sommes contraints de répondre qu'inciter notre prochain à réaliser une Mitsva a plus de valeur que notre propre action et en conséquence, l'effet de son action sur Réouven a été supérieur à l'acte lui-même[6]!

 

[1] Cité dans Séfer Cerem HaTsvi du Rav Tsvi Hirsch Farber, Nitsavim, cité dans Meoré Tefilla du Rav Emmanuel Bernstein, p.207.

[2] Kaplan, Major Impact, p.96.

[3] Ibid, p.95.

[4] Si'hot Moussar, Maamar 94.

[5] Sota 7b.

[6] Si'hot Moussar, ibid. p.402-3.