« Quelle est la voie de rectitude (Dérekh Hayachar) que l’homme doit adopter ? Tout ce qui l’honore (Tiféret) à ses propres yeux et l’honore aux yeux d’autrui. »

Pourquoi être Tiféret avec les autres ?

Un certain nombre de commentateurs comprennent le terme Tiféret dans son sens littéral : être agréable.

Ils s’interrogent : pourquoi est-il nécessaire que les actions d’un homme soient agréables pour les autres, pourquoi n’est-il pas suffisant que ses actions soient Tiféret pour lui-même ? Si un individu accomplit des Mitsvot ou agit de manière qu’il juge objectivement correcte, pourquoi devrait-ce être plaisant pour les autres ?

Réponse possible : nos actions, dans la vie, ne se déroulent pas dans le vide. La manière dont nous agissons a de multiples effets sur les autres. La Michna nous enseigne que lorsqu’un homme décide d’agir d’une certaine manière, même si cela constitue une Mitsva, il doit prendre en considération le fait de savoir si ses actes auront un effet positif ou négatif sur les autres.

Un exemple courant : si l’on accomplit une Mitsva, on doit veiller à ce que la manière dont on la réalise n’entraîne aucune gêne inutile à autrui.[1] Rabbi Israël Salanter insistait souvent sur ce point : un jour où il était invité, lorsqu’il se leva pour procéder à l’ablution des mains (Nétilat Yadayim), il ne se lava que les doigts, bien qu’il convienne de se laver toute la main. Son hôte lui demanda pourquoi il avait agi de cette façon, et il expliqua qu’à cette époque, l’eau utilisée dans de nombreux foyers était puisée par une servante à une assez grande distance, ce qui constituait une tâche difficile. Plus on utilisait de l’eau dans un foyer, plus la servante devait chercher de l’eau. Il était préférable, conclut Rabbi Salanter, de renoncer à une pratique recommandée par la Halakha afin d’épargner à une servante un travail supplémentaire.

Lorsqu’on lui demanda quelles étaient les intentions principales à avoir en réalisant la Mitsva du Talith, Rav Salanter répondit qu’il fallait veiller à ce que les fils qui volent ne heurtent personne lorsqu’on s’enveloppe du Talit.

Une autre fois, alors qu’il cherchait de l’eau pour la Nétilat Yadayim, un élève passa par des chambres où des personnes dormaient. « Nétilat Yadayim est une Mitsva instituée par nos Sages », remarqua-t-il, « mais voler le sommeil des autres est interdit par la Torah. »[2]

Ces exemples sont fréquents dans la Avodat Hachem, le service divin de l’homme. Autre scénario commun : lorsqu’on sort le Séfer Torah pendant la prière, il est certes louable de l’embrasser, mais si pour ce faire, on risque de pousser les autres en chemin, les décisionnaires sont d’avis que l’action louable d’embrasser le Séfer Torah est supplantée par la nécessité de ne pas blesser notre frère juif.[3] Autre exemple fréquent : un individu qui prie longuement le Chémona Essré peut occasionner un grand désagrément à la personne devant lui. Les décisionnaires sont d’avis de recommander à un homme qui prie lentement de prier à un endroit où il n’y a personne autour.[4]

Autre manière d’agir qui peut être Tiféret pour soi, mais non pour les autres est l’idée de Mékhzi Kéyéhora, d’apparaître hautain. Nos Sages nous enseignent que parfois, un homme peut paraître arrogant s’il adopte certaines mesures de rigueur, et dans de tels cas, il ne doit pas adopter ces mesures.[5] Nous en trouvons un exemple frappant dans l’une des Responsa de Rabbi Moché Feinstein.[6] On lui demanda s’il était permis de boire du blended whisky, du whisky entreposé dans des fûts qui contenaient autrefois du vin non-cacher et on redoute que le whisky ait absorbé le goût du vin interdit. Il trancha que c’était permis, mais étant donné que certains illustres décisionnaires sont stricts sur la question, il trancha qu’un Ba’al Néfech (c’est-à-dire un homme qui « maîtrise son âme », à savoir un homme d’un haut niveau spirituel) devait se montrer strict.[7] Il fit remarquer ensuite qu’en privé, il se montrait strict, mais lorsqu’il on lui proposait un verre d’un tel whisky en public, il en buvait un peu pour éviter de transgresser l’interdit de Mékhzi Kéyéhora. C’est remarquable, car il est fort probable que la plupart des gens n’auraient pas considéré un tel homme vertueux comme un arrogant s’il respecte une mesure de rigueur, mais c’est pourtant de cette façon qu’il avait compris cette directive de nos Sages.

 

[1] Pour certaines occurrences, le fait d’accomplir une Mitsva engendrera inévitablement un inconfort nécessaire aux autres, et dans de tels cas, il n’y a pas d’autre option. Par exemple, si l’on doit adresser une remontrance à quelqu’un, même si on le fait le mieux possible, il est fort probable que l’interlocuteur en souffrira. Nous nous concentrons sur des situations où causer un tel inconfort est inévitable.

[2] Zaitchik : Sparks of Mussar, p.21.

[3] Pisské Téchouvot, 2ème partie, 148, p.209.

[4] Pisské Téchouvot, 1ème partie, 102, p.785.

[5] Brakhot, 17b, Baba Kamma, 59a.

[6] Iguérot Moché, Yoré Déa, 1ème partie, 62.

[7] Inutile de préciser que l’on ne doit pas s’appuyer sur le récit ci-dessus pour déterminer notre ligne de conduite, mais plutôt s’adresser à un Rav orthodoxe compétent.