L’incroyable histoire d’amitié qui va lier un esclave hébreu, Eliakoum à un prince égyptien : Ankhéfènie, sensible à la souffrance humaine.

Sur fond de sortie d’Egypte, découvrez au fil des épisodes comment un héritier du trône égyptien s’apprête à troquer le pouvoir absolu contre une vérité qui le transcende, au fil de ses débats théologiques avec l’un des représentants de la caste la plus méprisée et la plus vile de la société égyptienne.

Résumé de l’épisode précédent :

L’heure de vérité a sonné pour Eliakoum qui décide finalement de se rendre à Tamèné, malgré les risques, après tout, la proposition du prince Ankhéfènie est plus que tentante pour un simple esclave...

Se rendre à Tamèné depuis Goshen n’était pas une mince affaire. Le chemin était truffé de dangers. De plus, il fallait éviter les gardes de corvées. Eliakoum se leva comme tous les matins, avant le hurlement horripilant de l’officier chargé du réveil des ouvriers. Les brigadiers ne faisaient plus le recensement des esclaves, ils estimaient qu’ils étaient trop fatigués et abattus pour se sauver et trop effrayés pour rester dans leurs baraquements. De plus, tout le monde connaissait la cruauté des patrouilles du Pharaon et personne ne se risquait à enfreindre les règles.

Ce matin-là, Eliakoum sortit du baraquement avant le lever du soleil. Il longea les murs de Goshen, qui lui semblaient encore plus triste que d’habitude. Il était vêtu d’un  châle noir troué, dont il faudrait bien se débarrasser une fois hors de Goshen. Entre Goshen et la cité pharaonique, il y avait des heures de route, et pourtant Eliakoum comptait se rendre sur la place Tamèné avant midi. Ces quelques sous que le prince lui avait promis motivaient ses pas, et il accélérait son allure. En plus, il était curieux de faire la connaissance de cet homme qui lui semblait si différent des autres…

Il courait dans le bas-côté des grands champs de blé, et, pour dissimuler sa grande stature, il prenait soin de courber l’échine.

La course lui permettait de laisser libre court à ses pensées qui allaient dans tous les sens. (« Comment faire pour ne pas se faire attraper à Tamèné ? C’est une grande place… D.ieu est grand, nous verrons bien... De l’argent pour maman… elle en avait tellement besoin. Me donnera-t-il mon dû ? Oh, mon D.ieu, guide mes pas, mon Roi, et met un terme à nos souffrances… ». )

« Et si Rivka avait raison… ? »

« Pourquoi sommes-nous toujours asservis ? Peut-être que D.ieu… » …« Tais-toi Eliakoum et avance ! » Mais ses pensées couraient aussi vite que ses jambes. « Tu fuis les

questions Eliakoum ?! » « Stop. Il suffit ! »

« Regarde le peuple Eliakoum…il va à sa perte…Arrête ! » Il décida alors de s’affronter, comme toujours. « Ce n’est pas possible. D.ieu a créé le monde » Il poursuivit son

plaidoyer à l’intérieur de lui-même, suant sous le soleil lourd de  midi. « Une telle beauté et un tel ordre ne peut pas être le fruit du hasard comme le disait papa… D.ieu est au-delà du temps. Il connaît l’avenir. Quand il avait promis la libération à Avraham, Il nous voyait déjà enchainés à Pharaon , Il a prévu notre sort à l’avance, il n’a pas pu se rétracter, Eliakoum. » 

Ces arguments avaient quelques peu apaisé les tiraillements desquelles il était victime çà et là. Cela ne devait pas être le seul à Goshen, prit entre le désespoir et la foi. 

Le Rav Amram fils de Khéat et le Rav Aboulkabat Halévi les deux sommités, tenaient souvent des discours de renforcement de la foi au peuple, ils insistaient sur le fait, que nous ne connaissons pas les voies de D.ieu.

Mais nous savons qu’Il est bon et miséricordieux. Ils exhortaient le peuple à languir la venue du Machia’h, du libérateur. Lorsqu’on leur demandait la raison de ce terrible exil, ils répondaient qu’ Hachem peaufinait le peuple comme on ponce de l’argent, afin de l’élever à des sphères célestes inimaginable. Ils disaient aussi, que le joug de Pharaon laisserait place à une autre servitude, qui serait grandiose cette fois ci. Celle de D.ieu.

Tous ces préceptes accompagnaient le peuple qui s’attachait aux Lévites pour puiser  la sagesse divine qui les élevait au-dessus de leur condition misérable.         

C’est Amitaï, le père d’Eliakoum qui lui avait appris le maniement de l’arc. Dans la tribu de Binyamin, c’était la coutume. Amitaï était aussi un érudit qui passait beaucoup de temps dans le quartier des lévites. Il était très proche du rabbin Aboulkabat Halévi, avec qui il discutait des lois que D.ieu transmit à Yaakov. Avec son maître, il étudiait également le livre de la Yetsira, cet ouvrage sur les connaissances ésotériques, écrit et transmis par Avraham, le premier patriarche du peuple hébreu. Les deux hommes s’entretenaient aussi de sujets théologiques comme l’Unicité de D.ieu, les causes de l’exil et la venue du Messie. Amitaï était un homme sage, toujours souriant malgré ses graves problèmes de santé. Il répétait inlassablement à son fils qu’un beau jour, un sauveur viendrait délivrer le peuple de sa servitude. Il transmit à son fils la foi en un D.ieu unique, et surtout l’espoir de voir un jour la libération.

Le soleil était à son zénith lorsqu’Eliakoum s’approcha de la cité pharaonique. Des gardes étaient placés à l’entrée de la ville entourée par d’immenses murailles de pierres. Ils contrôlaient les visiteurs et leurs cargaisons. Eliakoum était caché derrière une plaine, et de là-bas, il observait la file qui avançait lentement pour entrer dans la cité.

La plupart des gens venaient pour le marché de Taménè. C’était le plus grand regroupement de marchands de toute la région, les visiteurs affluaient. Les poteries, les bijoux, les esclaves, tout se vendait à Taménè. Les salles des bains crachaient leurs vapeurs de fumée, les marchands de fruits et légumes criaient pour vanter la valeur de leurs agrumes, des tables de jeux de hasard étaient dressées au bonheur des badauds, des chamans charmeurs de serpents étaient installés çà et là, une ambiance vrombissante se tenait à l’intérieur des murs de la cité impériale.

Eliakoum sentait que quelqu’un tirait son châle. « Mon papa dit que les hébreux sont dangereux… ». Il se retourna et fit face à un petit garçon égyptien. A son apparence, on pouvait distinguer qu’il faisait partie de la noblesse : crâne rasé avec une longue natte partant de la nuque, et des beaux habits parfumés. « Et toi ? » lui demanda Eliakoum. Qu’en dis-tu ? Je suis dangereux, moi ? » 

« Tu n’en as pas l’air » répondit l’enfant. « Mais on raconte que vous tuez des enfants et buvez leur sang, est-ce vrai ? »

« Il ne faut pas que tu crois tout ce que l’on te raconte. Nous, les hébreux, on aime beaucoup les enfants ! D’ailleurs, dès qu’ils naissent, on leur fait une grande fête, et on distribue des sucreries à tous les invités… ». Il lui souriait avec douceur.

« Des noix et des amandes sucrées ? ». demanda l’enfant de sa voix juvénile.

«  On donne même du sucre de vanille et des pommes à la cannelle ».

« C’est génial votre fête. Moi, personne ne m’a fait de fête quand je suis né… », dit-il un peu déçu.

« Si j’assiste à une de ces fêtes, je garderai pour toi quelques amandes ». Il lui tendit la main pour sceller sa promesse. Le jeune enfant l’empoigna avec énergie.

« Tu sais, tu peux rentrer avec nous dans la ville ! Mon papa a des caisses entières de marchandises à amener au marché. Les gardes le connaissent bien, ils ne le contrôlent plus. Je peux te montrer où tu peux te cacher dans une des grandes malles. Suis-moi ».

Il pénétra prudemment dans une malle qui contenait des châles et des habits luxueux.

Quelques rayons de soleil transperçaient la caisse de bois dans laquelle Eliakoum était caché. Il se sentait remué de tous les côtés par les porteurs. Son cœur battait vite, très vite… s’il était découvert, ce serait la mort assurée.

Après quelques instants, la caisse fut posée, Eliakoum avec. Il ne savait pas quoi faire, sortir vêtu de la sorte était beaucoup trop risqué, mais le temps jouait en sa défaveur. Alors qu’il était en pleine hésitation, un son métallique se fit entendre.

Eliakoum se cacha derrière les longs manteaux de lin. C’était un tour de clef. Elle tournait difficilement. La porte s’ouvrit. C’était l’enfant. « Viens l’hébreu, mieux vaut pas que tu restes ici trop longtemps » lui dit-il. « Les commerçants ne vont pas tarder à décharger les caisses ».

« Prends ce manteau et cette perruque, tu passeras presque inaperçu », dit-il, un brin amusé.

« Merci cher ami, mais je ne peux pas. Il  nous est interdit de prendre ce qui ne nous appartient pas, et il me semble que ton père est le propriétaire de toute cette marchandise… », répondit Eliakoum.

L’enfant considéra un instant les paroles de l’hébreu. Il n’avait jamais entendu personne parler ainsi. « Tu n’as pas à t’inquiéter pour cela, toute cette marchandise m’appartient, mon vrai père est décédé, il y a des années. Le mari de ma mère qui dirige ses affaires, je l’appelle papa, pour faciliter les choses. Prends ses affaires et file vite ».

« Je n’ai pas de mots pour te remercier, jeune homme. Comment t’appelles-tu ? », demanda l’hébreu ?

« Je m’appelle Erkan », répondit l’enfant.

« Que D.ieu te bénisse, Erkan. » 

Eliakoum s’empressa de s’habiller, il sortit de la caisse en direction de la place Taménè. 

Il n’en revenait pas. La place était bondée, les gens riaient, insouciants, se baladant de façon nonchalante. Les marchands présentaient leurs marchandises sur des stands mobiles, les cuisiniers faisaient rôtir du poulet fumant sur la place, les parfumeurs inondaient des senteurs fleuries… Pendant ce temps, tout le peuple hébraïque vivait dans la misère, les gens mouraient de faim, de froid, de mal. Personne ici ne semblait se soucier du sort des pauvres hébreux en esclavage, l’atmosphère était à la légèreté et aux plaisirs. Il retenait ses larmes tant bien que mal.

Après cette secousse, Eliakoum reprit ses esprits. Il savait qu’il ne devait pas quitter son objectif, trouver le prince Ankhéfènie.

« Où peut bien être cette galerie de peinture ? Attend-il seulement ma venue ? »

Le soleil déclinait déjà. La nuit s’apprêtait à remplacer le jour. Soudain, un son de trompette fit aussitôt cesser le vrombissement général. Le prince faisait son entrée dans la place, escorté de ses gardes.

Le prince était amateur d’art et il aimait les gens du peuple. Il se rendait souvent au marché pour dégoter quelques bagatelles venue des quatre coins de la région. Il affectionnait tout particulièrement les peintures.   

Encadré par ses gardes, le prince s’approchait de la galerie de Shinkorè. Eliakoum saisit l’occasion et se positionna sur les côtés de la grande tente, cherchant le monarque du regard.

Les gardes commençaient à éparpiller la foule pour sécuriser le périmètre lorsque le prince descendrait de sa loge. Eliakoum resta encore un moment, puis fut emporté avec les autres, balayé par les gardes imperturbables. Le prince se dirigeait lentement vers le stand des tableaux paysagistes de l’artiste. Eliakoum cria subrepticement « Enfoncez les pieds dans le sol pour bien tirer l’arc jusqu’à votre nez… ». Un garde fixa l’hébreu qui rompit le silence solennel, et se dirigea vers le dissident.  

Le prince comprit immédiatement de quoi il s’agissait. Il s’arrêta sous les yeux de la foule haletante, mit la main délicatement sur le garde qui faisait écran entre lui et l’hébreu pour qu’il se pousse et fit entrer l’hébreu dans le couloir d’hommes de garde du prince. « Maître », dit Eliakoum, « j’ai peur qu’on me reconnaisse ».

« Tu es sous mon autorité à présent, tu ne risques rien », lui répondit le prince de sa voix rassurante.