La fête de Chavouot est, apparemment, la plus courte des Trois fêtes, puisqu’elle ne dure pas une semaine, à la différence de Pessa’h et Souccot. Cependant, elle est peut-être la plus profonde, car Pessa’h, fête de la naissance du peuple, appartient au passé, et Souccot, bien qu’assurément basée sur un événement passé, annonce essentiellement la Guéoula, la sanction finale de l’Histoire. Chavouot, au contraire, s’inscrit davantage dans le présent, dans la mesure où la promulgation de la Torah doit être toujours actuelle. C’est l’explication du terme « Ha-yom », que nous disons dans le Chéma : « (ces paroles) que je te prescris aujourd’hui » (Devarim 6, 6) et Rachi commente : « Que la Torah ne t’apparaisse pas comme un document ancien, mais qu’elle t’apparaisse toujours actuelle » et Sifté ‘Hakhamim explique le commentaire de Rachi en soulignant que c’est le terme « aujourd’hui » qui n’était pas nécessaire car, quand Moché Rabbénou parle dans Devarim, il se réfère à un événement vieux de 40 ans, la Révélation au Sinaï. C’est donc l’actualité permanente de la Révélation qui est ici évoquée.

La dimension de la Révélation se trouve ainsi au centre de la perspective temporelle de l’histoire d’Israël : fondée sur le passé, actuelle à chaque instant, et préparant l’issue messianique. Nous retrouvons ici les 13 Principes de la Foi, de Maïmonide, résumés en trois par le Rav Yossef Albo dans son livre « Ikarim » : Création, Révélation et Rédemption. Il importe, aujourd’hui, d’éprouver le sens de la scène du Sinaï, son caractère universel, et spécialement extratemporel, puisqu’il s’agit de vivre à chaque instant le moment de la Révélation. On peut illustrer cette actualisation de la scène du Sinaï par plusieurs exemples : tout d’abord, la présentation faite par les ‘Hazal de l’obligation pour le peuple d’Israël de recevoir la Torah. La Guemara rapporte que le peuple d’Israël était, au moment de la Révélation du Sinaï, sous la montagne, et l’Eternel a dit : « Si vous acceptez la Torah, ce sera bien. Sinon, ici sera votre tombeau » (Chabbath 88a). Obligation, presque menace. Le Maharal explique que la liberté du choix est ici annulée parce que précisément, c’est le devenir du monde qui est l’enjeu dans la Révélation. Pour que le monde continue à exister, pour qu’Israël puisse survivre, il faut que la Torah soit reçue dans le monde. Un deuxième exemple illustre la même idée : dans le chapitre général sur les sacrifices, le sacrifice quotidien est cité en référence à « l’holocauste offert au Mont Sinaï » (Bamidbar 28, 6). Le Mont Sinaï est la référence. Dans un autre contexte, le Midrach rapporte que Moché Rabbénou assista à une discussion entre les Sages et, assis au Beth Hamidrach, il ne comprend pas la discussion, mais soudain, il entend l’un des Sages qui dit : « c’est une règle fixée par Moché au Mont Sinaï ». Et Moché est rasséréné, car il sent, il pressent le lien entre la Révélation du Sinaï et la pérennité de l’être juif (Traité Mena’hot 29b).

Il importe, donc, de saisir l’ampleur de l’événement. Le Créateur S’est révélé sur une montagne dans le désert du Sinaï et cet événement prodigieux a un impact sur l’Histoire universelle. L’événement métaphysique – porté dans l’Histoire et la géographie – est une intrusion exceptionnelle de l’Eternel dans l’éphémère, de l’Infini dans le fini, et c’est cette rencontre qui ne peut se faire que dans un désert, non lié à un peuple, mais ouvert à toute l’humanité. Il n’y a pas non plus de date précise pour cet événement – les sages hésitent entre le 6 et le 7 Sivan – bien que, pratiquement, une date ait dû être précisée. Le don de la Loi est, on l’a vu, une totalité absolue, obligatoire, et concernant le devenir, puisqu’il s’adresse à toutes les générations, toutes les époques, et même à chaque individu. En ce sens, bien que la Révélation ait eu lieu 7 semaines après la Sortie d’Egypte pour le peuple désigné comme « Am Segoula », elle a une portée qui dépasse le lieu et l’instant. Ici se situe une rencontre inouïe entre l’Unique, et le multiple, rencontre qui transcende toutes les données matérielles et spirituelles. C’est le sens de l’affirmation surprenante du verset : « Ils virent les voix » (Chemot 20, 15). Mélange exceptionnel de la vue et de l’ouïe. De même, les ‘Hazal rapportent qu’au moment de la Révélation, « les âmes de tout le peuple d’Israël se sont élevées vers l’Eternel, et ensuite l’Eternel les leur a rendues » (Chabbath 88a). Ce texte veut dire que le but de la Création était atteint, mais qu’il restait à agir dans l’Histoire. La totalité de la Révélation nous inclut dans sa généralisation : l’univers, aussi bien dans le temps que dans l’espace, est l’objet de la Révélation. Cela signifie, en réalité, que Chavouoth est la solennité qui nous invite le mieux à ressentir le lien de la créature avec le Créateur, notre relation spirituelle avec le monde matériel, et l’obligation de renforcer notre alliance avec le Tout-Puissant.