L’approche des fêtes de Tichri nous invite à réfléchir sur l’importance que la Torah accorde au temps, et à l’insertion du fidèle dans le temps. Le temps est-il un vecteur dynamique ou s’inscrit-il dans un horizon statique, qui ne fait que se renouveler chaque année, ou chaque jour ? Ascension, c’est-à-dire élévation permanente (ou, ce qu’à D.ieu ne plaise, chute constante), ou répétition d’un processus banal. En réalité, ces deux phénomènes se recoupent : statique et dynamique s’inscrivent dans un même développement historique : chaque jour ressemble à l’autre jour, chaque semaine ressemble à une autre semaine, et chaque année, les fêtes reviennent aux mêmes dates. Et malgré cette répétition, tout change : le monde n’est nullement immobile. L’immobilité est apparente, mais l’homme vieillit, le monde matériel se transforme, même si la transformation n’apparait pas à l’œil nu, pendant la vie d’un homme. Cette double appartenance se traduit pour le Juif lié à la Transcendance – qui est, elle, immuable et invariable – par un double processus : aventure cyclique, d’une part, où tout semble se répéter, mais de plus attraction vers le haut dans une ascension spirituelle. Deux termes hébraïques expriment cette double dimension : en hébreu, deux mots définissent les fêtes juives, c’est-à-dire les étapes dans le temps : le terme « ‘Hag » - qui signifie « tourner ». Les fêtes s’inscrivent ainsi dans un rythme circulaire et reviennent chaque année : c’est le temps qui se répète. Le deuxième terme est le mot « Moèd » qui vient de la racine ‘Ad (jusqu’à – vers l’éternité) qui implique un objectif, une élévation « jusqu’à », et  La’ad traduit une idée d’éternité. Ces deux termes construisent donc la base du temps : répétition (cycle) et progression (ascension) vers le haut.

En hébreu, on le sait, le temps et l’espace sont exprimés par le même mot « ’Olam » - – qui concerne aussi bien l’univers (espace) que la permanence du temps. Et l’on retrouve, dans ce cadre, cette double source : « Baït » - (maison) résume l’intérieur, la pause, l’aspect statique, et « Dérekh » - (voie, chemin) introduit l’aspect dynamique (la route que l’homme doit suivre). Ces deux termes incluent dans le domaine de l’espace les mêmes concepts que ceux qui définissent le temps. C’est d’ailleurs pour cette raison que ce sont les vocables utilisés pour le LIEU dans lequel on doit réciter le Chema. De même qu’il faut réciter le Chema dans le TEMPS (à ton coucher et à ton lever), il faut le réciter à la maison ou en voyage. L’aspect statique et l’aspect dynamique s’inscrivent, pour le Juif, dans la texture du temps et de l’espace.

Deux tribus d’Israël traduisent cet aller-retour entre la voie et la demeure, Yossef et Yéhouda. Yossef, fils de Ra’hel, elle-même morte « en chemin », va passer 22 ans en Egypte éloigné de sa famille. Il représente la base qui donne sa force à la voie, en restant fidèle à l’enseignement de Yaacov. Selon la tradition, il étudiait, lors de sa vente, un passage de la Torah touchant à la loi relative à un personnage mort en voyage (texte de la « ’Egla ‘Aroufa », la génisse à la nuque brisée). Yossef est le symbole de la voie. C’est le chemin de l’homme qui sait qu’il est toujours en ROUTE. Tous les livres de Moussar évoquent la route : « Messilat Yecharim » (Sentier des Hommes Intègres), Or’hoth Tsadikim (Voies des Justes), Dérekh Hachem (Route de l’Eternel), Netivot Olam (Démarches du Monde). Pour Yéhouda, il symbolise la stabilité de la Maison. Il interdit le meurtre de Yossef, il protègera Binyamin et il prépare, à Gochen, la maison d’études de Yaacov qui l’envoie à l’avance. De la tribu de Yéhouda descend David et donc le Machia’h. Il annonce la permanence de la Maison d’Israël. Les deux options dynamique et statique sont ainsi déjà annoncées dans le texte même de la Torah.

Cela nous touche particulièrement à l’époque des Yamim Noraïm – des Jours Redoutables – mais en fait, c’est chaque jour, chaque semaine que les jours se répètent, et aussi progressent. Le cantique « Lekha dodi » que l’on chante à l’entrée du Chabbath illustre merveilleusement cette convergence du TEMPS (le Chabbath) et du LIEU (le Temple de Jérusalem). Les 2 premières strophes expriment la joie de l’accueil du Chabbath (aspect dynamique et statique du Temps), et les 6 strophes suivantes inscrivent dans ce chant une évocation nostalgique, mais en même temps constructrice du Temple de Jérusalem, en espérant le voir bientôt dans sa splendeur. Evoquer en parallèle la sainteté du Chabbath et la puissance transcendante du Temple de Jérusalem, c’est assurément rejoindre les deux dimensions de la Gueoula. En ces jours de fête, il nous faut tenter de nous rapprocher de la Source, de l’Infini, pour que nous puissions voir bientôt la Gueoula. Notre effort doit se faire dans le quotidien, mais il doit nous aspirer vers le haut. Telle est la tâche du Juif, dans son histoire personnelle, et dans son intégration à l’Histoire universelle, condition indispensable à la venue de l’ère messianique.