Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !


Je ne pensais jamais revenir un jour dans cette maison, surtout après la façon dont j’avais quitté dans la rue Alexandre et Ilana.

Cependant, les choses sont différentes à présent. Si je suis là, aujourd’hui, devant cette porte, c’est qu’il ne s’agit pas de retrouver mon amitié perdue, mais de venir chercher de l’aide. Pour sonner à cette porte, j’ai dû ravaler ma fierté que je n’ai pas le luxe de disposer, car je n’ai que cette famille pour réussir ce que je souhaite.

Autant vous dire que lorsque j’étais rentrée chez moi le jour de la dispute, j’étais folle de rage ! J'étais envahie d’un sentiment d’injustice profond sous prétexte que je ne suis pas juive. Apparemment, je ne pourrais jamais entamer une relation amoureuse avec un des leurs :

– Comme si j’en avais envie ?

J’avais parlé à voix haute toute seule dans le métro. Les gens m’avaient dévisagé tant ils devaient me prendre pour une folle, alors, tant qu’à faire, autant continuer :

– Ils ne méritent même pas qu’on leur parle ! Pour qui se prennent-ils, à la fin ?

Lorsque j’étais rentrée à la maison, la colère ne m’avait pas quittée, jusqu’à ce que je voie, posée sur ma petite table, la lettre que je devais envoyer pour mon amie à l’internat dans lequel elle voulait rentrer. Au début, je voulais la déchirer en mille morceaux, en me disant que je n’étais qu’une idiote ! Me prendre la tête pour cette petite prétentieuse, c’est vraiment trop stupide.

À mesure que je pensais de cette manière à Ilana, j’avais un pincement au coeur. Je n’aimais pas ce que je disais, parce qu’en réalité, c’était tout le contraire que je pensais, car justement, c’était une fille qui ne se prenait jamais la tête. Plus que ça ! C’était râce à elle que j’avais pu observer le Chabbath dont j’étais tombée littéralement amoureuse. C’était la première fois que je l’admettais, et c’est peut-être pour cette raison que les paroles du frère et de la sœur m’avaient autant blessée. La réalité était telle que je ne pourrais jamais vivre comme eux, alors que c’était ce que je voulais le plus au monde.

Et puis, d’un coup, en admettant le désir de faire partie de la communauté juive, j’avais l’impression qu’une lumière s’était allumée dans le vide que je ressentais en permanence dans mon for intérieur depuis toujours.

– Mais oui ! C’est exactement ce que je vais faire ! Peu importe les embûches !

Il m’a fallu trois semaines pour trouver le courage de faire tout le trajet jusqu’à la famille Bismuth. J’avais les mains moites tant j’étais stressée… et c’est Monsieur Bismuth qui m’ouvrait :

– Marion ? Quelle bonne surprise ! Entre, je t’en prie.

Je m’attendais à un accueil glacial, mais, à mon grand étonnement, son père me souriait et me fit entrer directement chez lui. Il me confia qu’il était très heureux de me revoir et, dans la foulée, ce n’était pas Ilana qu’il appelait, mais... sa femme.

J’en étais drôlement soulagée, même si je m’étais quand même préparé à l’éventualité de me retrouver nez à nez avec leur fille. Madame Bismuth arriva à son tour, et, tout en se penchant pour me dire bonjour, elle me serra fort dans les bras pour justement m’informer qu’Ilana n’était pas à la maison, si c’était elle que j’étais venue voir :

Un peu gênée, je décidais d’être complètement honnête avec eux :

– En fait, je ne sais pas si vous êtes au courant, mais, depuis un moment, nous ne sommes plus très amies toutes les deux.

– J’avais saisi, mais je préfère te mettre à l’aise tout de suite, elle ne nous a rien confié. Si c’est pour te réconcilier que tu es venue aujourd’hui, tu risques d’attendre un petit moment. Je crois qu’elle rentre un peu tard ce soir. Elle doit réviser avec une amie, je crois.

– Eh bien, pour tout vous dire, c’est vous que je suis venue voir, ce soir.

– Nous ? Mais pourquoi, ma jolie ?

– Voilà, vous avez été si gentils avec moi, et cela dès le premier jour, que je veux être transparente avec vous. De ce fait, je ne veux rien vous cacher, j’ai trop de respect pour vous et votre famille.

– Tu m’inquiètes là. Qu’est-ce qu’il se passe ? Rien de grave, j’espère ?

– Non, pas du tout, ne vous inquiétez pas. Alors voilà, je me lance :

La première fois que je vous ai vu allumer les bougies de Chabbath a étrangement allumé une flamme en moi. D’ailleurs, sachez que, même si on ne se voit plus autant qu’avant, de mon côté, chaque vendredi soir, j’installe une table et je continue d’allumer deux bougies.

– Si tout ceci te fait du bien ma chérie, j’en suis ravie.

– Merci. Sauf que ce n’est pas tout… j’ai pris la décision de me convertir.

Un peu surpris, Madame et Monsieur Bismuth se regardèrent et ne savaient plus trop quoi me répondre… jusqu’à ce que la mère d’Ilana me dise :

– Qu’attends-tu de nous au juste ?

– Je veux que vous m’aidiez.

– Excuse-moi par avance de te dire ça, mais je ne suis pas convaincue que tu mesures l’importance de ta décision.

– Si, et je n’ai jamais été aussi sûre de moi ! Je veux devenir juive comme vous.

– Je vois ça, mais as-tu pris tous les paramètres en compte ? Comme tes parents, par exemple ?

– Oui, j’ai bien réfléchi et je n’ai pas besoin de leur aval pour faire ce que je veux faire de ma vie.

– Tu as raison en ce qui concerne ton choix professionnel ou ta vie amoureuse. Cependant, tes parents ont signé normalement pour avoir leur mot à dire jusqu’à ce que tu te maries. Comment comptes-tu leur expliquer que tu ne pourras plus fêter Noël en leur compagnie ? Ou que tu ne pourras plus manger chez eux… du tout ? Il faudra que tu respectes toutes les fêtes juives à la lettre ! Et ta façon de t’habiller, tu y as vraiment réfléchi ? Fini les pantalons, les décolletés et les manches courtes, été comme hiver ! Fini les soirées au dancing ! Fini les restaus sans que ce ne soit Cachère !

Sans parler du fait qu’il arrivera que tu te fasses rejeter par certaines personnes de notre communauté qui ont encore du mal à accepter le statut des convertis ! Crois-tu que tu aies les épaules assez larges pour supporter autant de contraintes ? Tu es si jeune… Le mieux c’est que tu prennes plus de temps pour y réfléchir.

– Mais pour vous, et ceux de votre communauté, vous ne percevez pas tout ça comme un poids, d’après ce que j’ai vu !

– Tu te trompes lourdement ! En tant que juifs, nous n’avons pas le choix de faire du mieux que nous pouvons, mais toi, pourquoi vas-tu te mettre dans cette galère ?! Toi, tu as ce choix !

– C’est surtout que je ne veux plus une vie comme celle que j’ai vécue jusqu’à maintenant. Je veux me lever le matin et compter les jours qui me séparent de Chabbath. Je veux cette notion de famille, ces retrouvailles hebdomadaires, cette communication que vous avez entre vous. Cette chaleur humaine que seule la pratique intense du judaïsme peut nous donner. Chez mes parents, c’était tout le contraire, et vous voulez que je vous dise, rien que de penser que je vais continuer à vivre comme eux me donne la sensation de ce poids dans ma poitrine que vous venez d’évoquer !

– Je comprends ce que tu dis, mais sache qu’il ne faut pas que tu nous prennes comme exemple. Bien sûr que nous essayons de respecter du mieux que nous pouvons nos lois, mais tu n’as aucune idée de tout ce que cela implique.

– Il y a bien des juifs qui ne respectent pas tout comme vous et cela ne les empêche pas de dormir pour autant ?

– C’est ce que j’essaye de t’expliquer ! Pour devenir juive, tu vas devoir être plus juive qu’une juive de naissance. Et attends, je ne t’ai pas parlé de tous les cours que tu devras suivre pour acquérir une certaine connaissance !

– Mais justement, j’ai soif d’apprendre, je veux tout savoir ! Je suis même prête à arrêter la Fac pour m’y mettre à fond.

– Tu délires complètement ! N’arrête pas tes études, si ta mère était là, je suis sûre qu’elle serait d’accord avec moi !

– Ça m’étonnerait… ma mère n’est pas comme vous !

– Ne parle pas comme ça de celle qui t’a donné la vie. Un peu de respect !

– Et voilà ! C’est pour ça que je veux devenir juive ! Pour cette morale !

– Ok, je vois, mais permets-moi de te donner un exemple pour que tu visualises mieux ce qui t’attend, jeune fille : mon cousin s’est marié avec une femme non-juive.

– Ah ! Donc c’est possible !

– C’est beaucoup plus compliqué que ça en a l’air ! Même si je t’expliquais, tu ne comprendrais pas ! Donc mon cousin a eu deux enfants, que l’on peut considérer en théorie comme à moitié juifs, puisqu’ils ont grandi dans un environnement judaïque.

– Oui, c’est assez logique !

– Eh bien, quand ses enfants sont arrivés au consistoire, malgré le côté juif, ça a été loin d’être évident.

– Ah, c’est exactement l’institut que je cherchais : « Le consistoire » ! C’est à cet endroit que je dois aller. Est-ce que vous pouvez me donner l’adresse ?

– Tu n’écoutes vraiment pas ce que je te dis, Marion ! Les enfants de mon cousin ont mis plus de quatre ans pour se convertir. Ils ont dû aller à la synagogue tous les Chabbath pour avoir une attestation qui prouvait leur assiduité ! Ils ont dû changer complètement de vaisselle. Ils avaient l’interdiction totale de fréquenter des gens de la communauté. Non, vraiment, le mieux c’est que tu rentres chez toi et que tu réfléchisses à tout ça, au calme. Tiens ! Pourquoi tu n’en profites pas pour retourner voir tes parents à Bordeaux pour le week-end prochain ! Ça te fera du bien, d’être loin de Paris, de nous, des juifs, et qui sait ? Peut-être que l’envie te passera !

– Je ne pense pas que cela va me passer, j’y pense jour et nuit ! Je sais que je suis juive dans mon coeur et mon âme, vous rencontrer a été le déclic.

– Tu es au courant que cela peut te prendre des années ! Réfléchis bien Marion !

– Et je m’en fiche ! Mon seul but est d’avoir une chance de construire un foyer juif.

– J’espère que tu comprends que je ne suis pas contre toi, ma chérie, mais avec toi. Comme tu as pu t’en apercevoir, nous ne sommes pas une religion qui encourage la conversion. C’est de notre devoir de te prévenir à l’avance, car, une fois que tu seras une de chez nous, nous ferons partie du même bateau !

– Et de la même famille dans un sens…

Face à ma détermination, nous gardions tous les trois le silence. Soudainement, nous avons été interrompus par le bruit de la porte d’entrée… Comme je le craignais, c’était Ilana qui était rentrée. En me trouvant dans le salon, en compagnie de ses parents, on peut dire que son accueil était radicalement opposé à celui de ses parents :

– Salut ! Humm… Quelle bonne surprise ! Je suis contente de te voir Marion.

Mettant toutes mes rancœurs de côté, je la pris dans mes bras et elle en fit de même. Et c’est comme si rien n’avait changé entre nous. Elle me proposa d’aller dans sa chambre, et, avec une extrême facilité, je lui racontai ma prise de conscience jusqu’à ma décision finale de devenir juive comme elle :

– T’es sûre ? As-tu conscience de ce dans quoi tu vas mettre les pieds ?

– Tu ne vas pas t’y mettre toi aussi ! Quand tu n’étais pas là, cela faisait une heure que tes parents essayaient de m’en dissuader, mais je n’ai toujours pas changé d’avis !

– Bon, si papa et maman n’ont pas réussi, c’est qu’ils ont fait le maximum. En tout cas, moi je te soutiens !

– Quoi ? T’es sûre ?

– Oui ! Mais j’ai une condition. Si un matin t’en as ras le bol et que tu veux arrêter tout en cours de route, parce que cela devient trop difficile, jure-moi que tu arrêteras ? Je veux qu’avec moi tu ne sentes ni honte ni échec, car, quoi que tu décides, tu es la fille la plus courageuse que je connaisse !

Un peu plus tard, nous étions redescendues pour aller grignoter un petit quelque chose. Mon amie retrouvée, partie dans le bureau de son père pour revenir avec un calepin en cuir noir où étaient notés des tas de numéros, elle consulta la lettre R. et composa un numéro :

– Qu’est-ce que tu fais ?

– Tu vas voir ! Prends vite l’autre téléphone pour écouter ce que le rabbin de ma communauté va nous dire. Je vais lui demander des infos pour toi.

Sans un mot, je notais avec attention toutes les instructions que j’entendais :

– Il faut que votre amie vienne se présenter à moi pour m’expliquer ses motivations. Il faut aussi qu’elle fasse une lettre au Consistoire de Paris qu'elle adressera au service de conversions. Une fois qu’ils la recevront, ils l’étudieront, puis elle recevra une lettre à son tour, avec une date précise à laquelle elle devra se présenter. Ce courrier sera accompagné d’une liste de livres qu’elle devra lire et étudier de façon approfondie. Elle devra choisir un rabbin-tuteur qui sera à même de juger du sérieux et de l’aboutissement de la démarche. Il faudra fréquenter assidûment sa communauté et participer à toutes ses activités. Toute occasion sera bonne pour progresser. C’est à votre amie de prendre contact, et l’initiative de lire, de progresser dans sa connaissance.

Le tuteur chargé du dossier de la conversion fera passer un examen de conversion au candidat ainsi qu’un entretien privé. S’il estime qu’elle est prête, il lui permettra de se présenter devant le Beth-Din composé de trois rabbins qui décideront.

– Ok, je vais le lui dire. Merci beaucoup pour toutes vos précieuses informations. Est-ce que je peux venir avec mon amie ce Chabbath pour vous la présenter ?

– Très certainement, mademoiselle Bismuth. Passez le bonjour à vos parents.

Et là, dans cette cuisine, je jubilais, mon coeur faisait des bons de bonheur. Quelque temps plus tard, j’allais très vite comprendre que les mises en garde de Monsieur et Madame Bismuth n’étaient pas vaines. Même si je savais dès le départ que rien n’allait être facile, je n’avais pas pris en compte que si, dans mon cas, mes intentions étaient pures, j’allais découvrir l’origine de cette énorme méfiance liée à ce sujet : le mensonge, la comédie humaine, et la trahison de certaines candidates allaient faire partie de mon quotidien. La difficulté était de tout faire pour ne pas tomber dans ces travers dans le but de rester “Cachère” jusqu’au bout…