Dans le chapitre précédent : Depuis son premier jour d’entrée à la fac, Marion avait fait la rencontre d’une nouvelle amie de confession juive. Très vite, nos deux jeunes filles se sont très bien entendues. On appelle ça le coup de foudre amical, qui n’arrive pas souvent. Et c’est avec un certain enthousiasme que Marion, qui travaille dans sa librairie de quartier, a choisi d’emporter chez elle un livre sur le… judaïsme !


Deux mois plus tard...

Ça y est, je suis en train de rédiger ma lettre pour le Consistoire de Paris, à l’attention du service des conversions, comme on m’a conseillé de le faire. D’après ce que le rabbin Levy m’a dit, il fallait qu’en quelques lignes, j’explique mes motivations et les raisons de ma démarche qui pouvaient paraitre surprenantes (et suspicieuses !) lorsque l’on n’a aucun lien avec le judaïsme.

J’allais vite comprendre que d’être « seulement » intéressée par la religion juive, comme je pouvais l’être, n’était pas suffisant aux yeux des rabbins et de toute la communauté des Lilas, que j’allais devoir activement et assidûment fréquenter.

Le délai pour avoir un retour à ma lettre variait entre deux à six semaines consécutives. C’était long ! Pendant toute cette durée où je n’avais pas de réponse de leur part, j’étais très angoissée à l’idée que l’on refuse d’emblée ma candidature spontanée. D’après les informations que j’avais glanées à droite à gauche, il arrive que cette institution refuse certaines personnes. Soit à cause d’une dénonciation (oui, oui, vous avez bien lu !), soit parce que la lettre n’était pas assez convaincante pour être prise au sérieux. Et ça, c’était mon stress numéro un sur l’échelle du stress.

Dès le premier entretien avec Rav Levy, le rabbin de la communauté des Lilas, et accessoirement celui de la famille Bismuth qu’il suivait depuis des années, lui aussi essayait de me dissuader dans ma démarche. D’ailleurs, à chaque fois que j’annonçais mon souhait d’appartenir au peuple juif, il y avait toujours quelqu’un qui essayait de me décourager, avec mille et un arguments pour ne pas « me casser la tête avec tout ça », et comme à chaque fois, je tenais bon.

Le premier jour où j’ai fait la connaissance du rabbin Levy, ce n’est qu’au bout de quarante-cinq minutes de discussion qu’il m’avait enfin prise au sérieux. Il avait compris que j’étais sincère et plus que motivée et que rien ni personne n’allait m’arrêter. Me voyant aussi déterminée, il avait sorti sa carte secrète, avec la question Boomerang qui allait revenir sans cesse pendant toute la durée de ma conversion :

– Fréquentez-vous un Juif ? Est-ce pour cette raison que vous vous intéressez tout à coup à nous ? Êtes-vous en couple avec un Juif ? Etc., etc.

Cette question sera constamment au coeur de toutes mes futures conversations, comme une espèce d’obsession générale.

Après avoir répondu fermement par la négative, Rav Levy m’avait mise en garde qu’à partir du moment où je prenais la décision de me convertir, toute relation avec un Juif m’était strictement interdite jusqu’à l’obtention complète de ma conversion. Dans le cas où je l’obtenais bien sûr, car, pour lui, les choses n’étaient pas aussi sûres. Beaucoup de candidats abandonnaient en cours de route tant la difficulté de s’adapter et la pression à laquelle nous étions soumis étaient grandes. Cependant, ce n’étaient pas les seules raisons pour lesquelles une conversion pouvait ne jamais aboutir. Il arrive parfois que des filles fréquentent dans le plus grand secret des garçons juifs et que l’info remonte jusqu’aux oreilles des rabbins du Consistoire, et là, c’est fini ! La candidate se fait convoquer pour se faire accuser de mensonges, ou de mensonges par omission, voire de trahison, ce qui justifie une interruption immédiate de la conversion en question. Je me souviens avoir dit :

– En même temps, c’est dommage de commencer sa vie de Juive par un mensonge aussi grave.

Il faut croire que ma réponse avait plu au Rav qui m’avait répondu tout sourire :

– C’est quoi votre prénom déjà ?

S’en était suivi une discussion de plus de deux heures trente, afin de m’expliquer en détail le programme qui m’attendait :

– Obligation de fréquenter tous les samedis matins et tous les samedis après-midis la synagogue ainsi que toutes les fêtes juives sans exception.

Si je m’engageais à venir toutes les fois qu’il m’avait citées, il se porterait témoin pour envoyer une attestation de présence pour moi au Consistoire. Ce qui était une pièce capitale pour mon dossier le jour où je passerai devant les trois rabbins, dit le Beth-Din.

Je me souviens avoir demandé ce qu’était exactement le Consistoire, parce qu’à part l’endroit où l’on convertit les gens, je n’en avais jamais entendu parler.

– Mais Mademoiselle, ce n’est pas seulement pour les conversions. Le Consistoire s’occupe de toute la vie juive en France : les mariages, les divorces, les enterrements, la Cacheroute… C’est une institution qui a été créée pour nous, les Juifs français. Cette administration est née en 1808, sous le régime de Napoléon 1er qui voulait avoir la main mise sur le culte israélite en France. Il avait eu l’intelligence de nommer un Grand-Rabbin de France, des rabbins de villes et d’arrondissements, ainsi que des Présidents de communautés qui travaillent directement pour l’institution.

– En gros, pour lui !

– Oui, tout à fait. Ces mêmes Présidents viendront lui faire des rapports complets et réguliers sur ce qui se passe réellement au coeur des communautés pour savoir à tous moments si une guerre contre lui se préparait. Tous les livres disent que le petit monsieur était un grand paranoïaque. Donc reprenons, Mademoiselle, à partir du moment où vous rentrez dans le système administratif, il va falloir être patiente, car c’est partout pareil, juif ou pas, votre dossier sera traité, je l’espère, dans les meilleurs délais.

J’avais noté sur un cahier chaque parole que le Rav avait prononçait tant elles m’étaient précieuses. Je ressentais une forme de fascination et de respect envers ce Rav Levy qui me consacrait ce temps, moi Marion la non-juive, comme on me nommait certaines fois. Il m’informa que si je venais tous les samedis à la synagogue, il fallait que je vienne aussi à ses cours à lui, les mardis et jeudis soirs, et ceux que sa femme donnait, les lundis et mercredis soirs aussi. Ce qui tombait pile avec mes horaires où je travaillais à la librairie. Ma motivation était tellement grande que j’avais pris ce « détail » à la légère et je me revoyais confirmer volontiers que je serai bien présente toutes les prochaines soirées. Il m’expliqua aussi qu’une certaine Kim, d’origine vietnamienne, et son frère « Eliezer », étaient dans la même situation que moi. Il me conseilla vivement de faire équipe avec la sœur, car elle était un peu plus avancée que moi. Le Rav me donna son numéro et une liste de bouquins à lire sur une période de trois mois. Il y en avait tellement que je me demandais avec quel argent et quel temps j’allais pouvoir les acheter et les lire. Au comble de l’information, il m’avait aussi prévenue que, si mon dossier était accepté, je devrais faire un chèque au Consistoire avec un certain montant. Rien que de penser à tout l’argent que je devais débourser m’avait donné des sueurs froides, même si ce n’était certainement pas cela qui allait m’arrêter.

Une fois sortie de mon rendez-vous, je m’étais directement rendue chez Ilana, avec qui nous étions de nouveau très proches depuis notre fameuse réconciliation. J’avais retrouvé son sourire, ainsi que nos vieilles habitudes, comme celle de passer Chabbath dans sa famille. J’étais heureuse d’avoir envoyé la lettre sans le lui dire. Cela faisait plusieurs semaines que je guettais sa moindre réaction pour voir si on nous avait répondu, mais en vain…

Pendant toute ma période de conversion, il y a bien eu une chose qui m’avait terriblement surprise, même si les parents d’Ilana avaient essayé de me prévenir à l’avance : on ne rentre pas dans une communauté juive comme on rentre à l’église ! Pardon pour la comparaison qui est, je l’avoue, assez inappropriée, mais tellement vraie !

Et pour cause…

Mon amie qui m’avait promis de m’accompagner était définitivement une vraie marmotte Chabbatique. C’était plus fort qu’elle, il lui fallait ses dix-sept heures de sommeil par weekend, (même si moi, en revanche, à 9h pétantes, j’étais déjà installée avec mon livre en phonétique, car, bien évidemment, je ne savais pas encore lire en hébreu).

Lorsque j’étais arrivée pour la seconde fois à l’office du samedi matin à la synagogue des Lilas, seule, côté femmes, quelques femmes de la communauté, pendant la prière, étaient venues à la pêche aux infos :

– Bonjour Mademoiselle ! Vous êtes qui ? Vous venez d’où ? Vous faites quoi ? Pourquoi vous êtes là ? Pour combien de temps ? C’est qui votre mère ? Elle vient d’où ? De Tunis ? Vous êtes mariée ? Vous avez un petit copain ? C’est qui ? Non, personne ? Vous êtes sûre ? Parce qu’une jolie fille comme vous, c’est pas possible qu’elle soit seule ! En tout cas, si c’est le cas, j’ai un fils, Lionel/Samuel/Isaac/Robert, formidable, pas marié, lui aussi, à vous présenter. Il est dentiste/ophtalmo/paléontologue/médecin (pour les animaux), je sens que ça peut coller entre vous. Quand vous venez manger à la maison ? Samedi midi de la semaine prochaine, c’est bon ?

J’étais assaillie de questions de mères juives Séfarades qui voulaient tout savoir ! J’avais vite compris que si je voulais mener à bien ma conversion, il fallait que je mette aussi un terme à tout malentendu qui pourrait très vite nuire à ma situation.

Dès que j’avais lâché à ces dames, aussi chaleureuses que charmantes (quoiqu’un peu curieuses), mon nom de famille, il y avait généralement un froid quasi instantané qui se faisait bien sentir. Elles me dévisageaient en me disant :

– Je vois. Bon bah…. Chabbath Chalom !

Et elles repartaient vers leur strapontin pour ne plus me parler, ou carrément pour m’ignorer. Dans un sens, j’étais contente, car, bien que ce soit un peu sauvage, j’avais la paix pour prier et essayer de me retrouver dans la prière, chose qui était loin d’être facile.

Ça, c’était pour le côté des femmes. En ce qui concernait les hommes, les choses se sont avérées un peu plus compliquées. J’étais naïvement descendue après l’office pour le Kiddouch, et plusieurs messieurs étaient venus à leur tour me poser des questions, pas aussi directes que leurs femmes, mais tout aussi intéressées. Ils voulaient savoir d’où je venais et pourquoi j’étais là ! C’est à ce moment que la fameuse Kim était arrivée pour me sauver d’un monsieur « particulièrement insistant pour savoir si j’avais quelqu’un en ce moment » :

– Non. Personne, Monsieur Cohen. Chabbath Chalom.

– Ah Elishéva (Kim ?) ! Je ne vous avais pas vue. Chabbath Chalom à vous aussi.

Pour nous tourner le dos définitivement, et parler à d’autres fidèles de la communauté.

– Salut, moi c’est Kim, mais tout le monde ici m’appelle par mon nom hébraïque Elishéva.

– Hello, moi c’est Marion.

– Et ?

– Et…

– C’est quoi ton nouveau prénom ?

– Je t’avoue que je n’y ai pas encore pensé.

– Ah ! Mais il faut absolument que tu en choisisses un ! Tu ne peux pas garder ton prénom d’origine. C’est la première chose qu’on nous apprend en cours, c’est l’identité. Si on veut vraiment se sentir juive, hormis la pratique, il faut se trouver un prénom.

– Franchement, je n’en ai encore aucune idée. Je sais que ma copine Ilana voulait que je prenne Ruth ou Naomie, mais moi je n’ai pas eu le coup de foudre pour l’un des deux.

– Ruth ou Naomie ? Non mais laisse tomber, c’est super cliché ! Autant écrire sur ton front que tu es une convertie. Non pas qu’on doive s’en cacher, mais un peu de doute ne fait pas de mal non plus… Rabbin Levy m’a parlé de toi et m’a proposé que l’on forme un binôme pour les révisions, si cela te dit, bien que moi, je prenne déjà un professeur particulier pour aller plus vite.

– Je n’ai pris personne en extra. Je ne savais pas que l’on pouvait le faire.

– Tu en es où ?

– J’ai déjà envoyé ma lettre au Consistoire et j’attends leur réponse.

– T’es au tout début alors ! T’as pas encore eu d’entretiens, tu vas voir, c’est pire que le BAC !

– J’imagine.

– Non, tu ne peux pas imaginer tant que tu ne l’as pas vécu. Bon, tu manges où ce midi ? Je suis invitée chez le rabbin et sa femme.

– Je vais chez les Bismuth, d’ailleurs le père de mon amie m’attend pour y aller. On se tient au courant. Chabbath Chalom Kim… pardon, Elishéva.

Soudain, Kim me prit à part, et me parla très bas en s’assurant que personne ne pouvait nous entendre :

– Tu sors avec le frère de ton amie ? Il est grand, brun, toujours bien coiffé. Tu sais, tu peux tout me dire à moi. Je suis de ton côté, je te jure que je ne répèterai rien à personne.

Un peu agacée qu’à peine après avoir fait sa connaissance, elle me prenne elle aussi pour une potentielle menteuse, je lui répondais du tac au tac :

– Pas du tout ! Rien à voir, je ne sors avec personne !

– Allez, à d’autres. Je connais plein de filles du cours du mardi soir qui m’ont dit pareil au début et au final elles ont quasi toutes quelqu’un. Tu sais, c’est pas moi qui vais te juger.

– Que les feujs me posent la question et que je doive me justifier, franchement, je comprends, mais que toi aussi, sans me connaitre, tu aies des doutes, permets-moi de te dire que ça m’énerve. Je te laisse, à bientôt.

Je m’éloignais d’elle sans mon reste, je savais que par la force des choses, j’allais devoir revoir Kim qui, à mon sens, ne méritait certainement pas le si joli prénom qu’était Elishéva.

Sur le chemin du retour, j’avais été particulièrement silencieuse tant cette suspicion constante m’énervait au plus haut point, mais le rabbin m'avait prévenue que mes nerfs allaient être mis à rude épreuve et que je devais montrer que les miens étaient plus que solides.

J’allais devoir la côtoyer elle et les autres, avec les coups bas, et la notion de Ahavat Israël (amour de son prochain) allait être particulièrement difficile…

La suite la semaine prochaine…